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Cet ouvrage rassemble quinze textes rédigés à partir de communications présentées à l’occasion d’une conférence internationale qui a réuni en mai 2005 plusieurs des plus grands experts sur les questions d’économie politique et de sécurité en Asie du Nord-Est. Suivant l’évolution politique à Taïwan après l’élection présidentielle de 2004, mais également en réponse à la transformation du contexte sécuritaire dans la région, cette conférence tenue aux États-Unis avait pour mission d’analyser l’évolution de la dynamique triangulaire liant les États-Unis, la Chine et Taïwan.

Depuis quelques années, différents paramètres modifient considérablement le paysage géopolitique en Asie du Nord-Est, ce qui laisse présager un bouleversement de l’équilibre qui prévaut dans le détroit de Taïwan. L’objectif principal de l’ouvrage dirigé par Peter C.Y. Chow est de proposer une synthèse de ces paramètres, d’en analyser les causes et les conséquences attendues dans la région, puis d’en vérifier les implications pour les intérêts économiques et stratégiques des États-Unis.

Le coeur de l’ouvrage, en plus du chapitre d’introduction et d’une courte postface, est divisé en trois parties portant sur trois principales causes du recentrage politique en Asie du Nord-Est. La première partie renferme cinq chapitres qui traitent des effets sur les relations sino-taïwanaises et sino-américaines de l’évolution de la politique domestique à Taïwan ; la seconde section contient quatre chapitres portant sur les effets de l’intégration économique et politique qui s’accentue en Asie depuis plus d’une décennie; et la dernière partie se compose de quatre chapitres traitant de sujets liés aux questions de sécurité en Asie du Nord-Est et des intérêts américains qui y sont liés.

Dans le chapitre introductif, Chow souligne avec justesse les trois principaux éléments à l’origine du changement de dynamique dans la région : la montée économique de la Chine et sa modernisation militaire, le processus de démocratisation à Taïwan qui se réalise depuis les années quatre-vingt et l’évolution des politiques des États-Unis envers la Chine.

L’évolution politique interne à Taïwan est sans contredit une composante qui influence de façon substantielle les politiques taïwanaises de la Chine et des États-Unis. Pour la Chine, les auteurs soulignent que, si d’un côté le processus de démocratisation a permis l’émancipation de l’identité taïwanaise, cette évolution est en contrepartie désormais manipulée par Beijing dans le but de fragmenter et d’affaiblir le mouvement indépendantiste taïwanais. Du côté américain, la démocratisation de Taïwan, combinée avec le renforcement de l’identité taïwanaise, a pour conséquence de compliquer la poursuite de sa politique bicéphale qui, tout en soutenant Taipei, s’en tient à la politique d’une seule Chine dans sa relation avec Beijing. Ces politiques paradoxales deviennent de plus en plus ambiguës et difficiles à soutenir pour les États-Unis non seulement en raison de l’évolution politique à Taïwan, mais également à cause de la montée en puissance de la Chine. Cet aspect est brillamment souligné par Nat Bellocchi dans le sixième chapitre.

L’accroissement de l’intégration économique dans la région est également un vecteur de changement qui vient troubler la relation triangulaire entre Washington, Beijing et Taipei. La Chine étant devenue un partenaire économique incontournable pour Taïwan, la dépendance asymétrique de l’île au marché chinois modifie déjà sa politique envers le géant chinois. Puisque cette tendance est susceptible de se poursuivre, deux auteurs distincts préconisent l’établissement d’un accord de libre-échange entre les États-Unis et Taïwan. Selon ces deux auteurs, une telle entente permettrait à Taïwan de réduire certains effets négatifs de son intégration accrue avec la Chine, tout procurant des bénéfices considérables aux États-Unis.

Les intérêts stratégiques américains sont considérablement menacés par le changement de dynamique en cours en Asie du Nord-Est, et l’ensemble des chapitres de l’ouvrage analyse ce recentrage de façon substantielle. Si le leadership des États-Unis apparaît en déclin, il n’est néanmoins pas encore dépassé par l’émergence de la Chine. En effet, les différentes contributions s’entendent sur la position de tête qu’occupent toujours les États-Unis dans la région. Les auteurs font un tour d’horizon des différents enjeux géopolitiques mettant Washington et Pékin en situation de face à face, et, que ce soit à propos des négociations à six à propos du problème nord-coréen ou encore pour ce qui est du rôle revitalisé que le Japon espère jouer en Asie, les intérêts américains, à court terme du moins, s’en trouvent renforcés.

En somme, les différents sujets abordés dans cet ouvrage ne sont peut-être pas totalement novateurs, mais la qualité des analyses ainsi que la justesse et la richesse du chapitre introductif qui résume efficacement la relation triangulaire entre les États-Unis, la Chine et Taïwan rendent l’ensemble du livre largement approprié pour tout lecteur intéressé par la situation politique en Asie du Nord-Est. De plus, malgré la nouvelle donne politique, concrétisée à la suite des élections législatives et présidentielles tenues respectivement en janvier et mars 2008 à Taïwan, la richesse des analyses avancées dans les différentes contributions permet à l’ouvrage de demeurer pertinent. En effet, au lieu d’analyser les événements de façon isolée, les auteurs ont habilement démontré l’interdépendance des politiques américaines, chinoises et taïwanaises.

Cet ouvrage montre comme principale faille d’avoir abordé un nombre important de sujets, ce qui a pour conséquence de diluer considérablement l’argument central. L’ajout d’un chapitre récapitulatif aurait pu pallier cette lacune et enrichir l’analyse de façon substantielle. Ainsi, dans un domaine au sein duquel les ouvrages portant sur la relation triangulaire entre les États-Unis, la Chine et Taïwan foisonnent, l’ouvrage dirigé par Peter C.Y. Chow ne semble pas suffisamment se démarquer du lot.