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Depuis les attentats du 11 septembre 2001, une pléthore d’ouvrages, d’articles et d’analyses journalistiques ont fait du renseignement leur objet d’enquête. Dans un contexte global marqué par une politique de la peur et par une surenchère de préoccupations sécuritaires et de mesures prises au nom de la lutte contre le terrorisme, des questions cruciales concernant une imputabilité démocratique ont néanmoins été posées sur les dispositifs de contrôle et de supervision des agences du renseignement dans plusieurs États. L’ouvrage collectif dirigé par Hans Born et Marina Caparini entreprend justement de poser de front la question du contrôle et de l’imputabilité démocratiques des services du renseignement en procédant à une analyse comparative basée sur plusieurs études de cas provenant de contextes régionaux et politiques diversifiés, allant de gouvernements au passé autoritaire en Europe centrale et de l’Est à des régimes parlementaires en Occident.

On sera peu surpris de constater que l’ensemble des auteurs du livre jugent l’activité de renseignement cruciale et essentielle. On s’intéressera sans doute davantage à la préoccupation commune qui les anime et les inquiète, à savoir leur constat de la quasi-absence d’imputabilité démocratique dans laquelle les services du renseignement du monde évoluent. Reconnaissant d’emblée que la polarisation et la politisation des activités de renseignement sont ce qui menace le plus l’état des démocraties – plus que les menaces réelles et imaginées dont les services de renseignement ont besoin pour fonctionner, qui sont leur raison d’être et qui représentent ni plus ni moins « leur pain et leur beurre » –, les chapitres qu’ont rassemblés Born et Caparini évaluent les défis à relever pour en arriver à une meilleure coordination et à une plus grande supervision indépendante des agences. Ils procèdent à une comparaison internationale de l’état des services du renseignement en fonction de leur imputabilité démocratique et notamment de leur réussite ou échec d’en arriver à établir un équilibre entre les besoins de protection des libertés civiles et les impératifs de sécurité nationale.

Ce livre contient d’excellentes études de cas sur les réformes des systèmes en Europe centrale et de l’Est et en Occident, notamment celle d’Ian Leigh sur les systèmes de renseignement et de sécurité britanniques en lien avec la guerre en Irak, ou encore les analyses de David Banisar et de Laszlo Majtényi sur la protection des données et les mesures de protection du public contre les prérogatives de la sécurité nationale en ce qui concerne le libre accès à l’information dans les cas états-uniens et hongrois. La conclusion de l’ouvrage tire des leçons des expériences de réformes décrites et analysées dans les chapitres. Ses auteurs, Hans Born et Fairlie Jensen, concluent à la primordialité de la surveillance et de la supervision démocratique des activités du renseignement, tout en soulignant que les plus grands obstacles à une architecture internationale du renseignement qui soit plus légitime résident au niveau de la coopération internationale qui se fait entre les agences du renseignement et de la présence globale croissante d’agences privées du renseignement. Si la critique plus profonde de la raison d’être de l’activité du renseignement est jugée impossible dans ce livre, les auteurs s’efforcent néanmoins d’expliquer quelle peut être l’utilité des services du renseignement et pourquoi il s’avère important de les rendre plus légitimes et, surtout, comment cela peut être rendu possible. En ciblant la supervision démocratique des activités du renseignement, l’ouvrage reconnaît que des caractéristiques particulières – le caractère secret entre autres – des agences de renseignement les rendent difficiles à contrôler et que la question de la légitimité démocratique ne devrait pas être sacrifiée au nom de la sécurité.

On pourrait être porté à croire que ce collectif souffre de problèmes chroniques inhérents à plusieurs travaux collectifs, à savoir que les chapitres sont d’inégale qualité et que l’approche et la présentation de l’argumentation ne sont pas suffisamment uniformisées, ce qui contraint alors le lecteur à compenser lui-même l’absence de ligne directrice de l’ouvrage. Il n’en est rien. Ainsi, la base analytique de l’ouvrage, qui comprend les deux premiers chapitres, parvient bien à asseoir les paramètres du débat, de même que les projets et les possibilités de réforme des services du renseignement. L’introduction de Marina Caparini met bien en relief les exigences et les difficultés qui accompagnent la surveillance et le contrôle des activités du renseignement dans les États démocratiques, tandis que le second chapitre, signé par Fred Schreier, constitue une excellente exposition sur le plan légal pour que les services du renseignement soient plus légitimes et plus efficaces sans que l’un nuise à l’autre. De plus, il nous faut admettre que nous nous trouvons en présence d’un véritable tour de force en matière de travaux comparés sur la problématique de l’imputabilité et du contrôle démocratique des agences du renseignement dans des contextes spatio-temporels allant de la fin de la guerre froide à la « guerre contre la terreur » et à la lutte globale contre le terrorisme. On mêle ainsi les travaux, y allant de réflexions plus approfondies sur les systèmes du renseignement et les expériences de supervision démocratique du renseignement à ceux relevant davantage de questions de politiques publiques et liés aux expériences de réformes institutionnelles, ce qui rend l’exercice analytique d’autant plus méritoire qu’il fait bien se rencontrer les deux sphères. De ce fait, il s’avère fort utile de pouvoir confronter, par exemple, les réformes politiques et institutionnelles apportées dans des contextes aussi variés que la Hongrie, la Roumanie et la Grande-Bretagne, pour présenter et débattre les points de vue légaux et sécuritaires et les différences de traditions politiques que la recherche d’équilibre entre la sécurité nationale et la protection des droits et libertés individuels met en relief.