Corps de l’article

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (otan), la seule alliance de l’histoire à avoir survécu au-delà de son ennemi fondateur, a suscité et continue de susciter maints débats parmi les universitaires. À ceux portant sur la nature de l’Alliance (est-ce une communauté de valeurs ou un pacte militaire seulement ?) et à ceux dont l’objet est son existence après-guerre froide (est-elle destinée à une mort certaine ?) s’ajoutent désormais les débats qui, à la lumière de la première opération « hors-zone » en Afghanistan, s’interrogent sur son rôle futur. L’otan est morte. Vive l’otan !

D’un côté se trouvent ceux qui privilégient une approche axée sur la défense collective des membres actuels de l’Alliance. La résurgence de la Russie fait craindre une expansion encore plus à l’Est, de même que les répercussions possibles de l’installation de radars et de missiles intercepteurs dans le cadre du système de défense antimissile. En un mot, le « retour » de la menace russe en amène plusieurs à souhaiter que l’otan se consacre exclusivement à la protection militaire de ses membres et à la gestion diplomatique de ses relations avec Moscou, donnant dès lors raison à John Mearsheimer.

D’autres estiment que le rôle de l’otan doit être beaucoup plus ambitieux. Dans la logique d’un rôle axé sur la « sécurité coopérative » (c’est-à-dire une voie médiane entre une vocation purement défensive et une autre, non viable, de sécurité collective), certains jugent que le seul avenir de l’otan passe par les opérations de paix hors zone euro-atlantique. Jennifer Medcalf fait partie de ceux qui croient en une otan « mondiale ». Dans son ouvrage Going Global or Going Nowhere ?, l’auteure penche nettement pour le premier choix. En fait, elle procède à l’examen chronologique des opérations militaires de l’Alliance atlantique et conclut que l’« otan globale » est un fait accompli. Pour nous en convaincre, elle relate l’évolution de la nature et de la localisation géographique des missions sous l’égide de l’otan depuis 2001, en particulier celles sur la Méditerranée, au Darfour, en Somalie, en Irak, au Pakistan et, bien entendu, en Afghanistan.

Medcalf ajoute un second objectif à celui de décrire de manière historique les débats américains et européens entourant une otan mondiale. Elle propose d’évaluer le succès de la transition de l’otan vers un rôle de bras armé de l’onu, c’est-à-dire comme acteur contribuant à la sécurité collective. Son hypothèse est que, malgré ses lacunes politiques et militaires, amplement démontrées sur le terrain opérationnel, l’otan demeure l’outil militaire le plus efficace afin de répondre aux menaces pesant contre les Alliés dans l’ère post-11 septembre 2001. On comprend donc que l’hypothèse proposée ne répond pas à la question soulevée. Pour étayer l’hypothèse, le lecteur aurait pu s’attendre à une évaluation comparative des opérations de l’otan par rapport à celles, par exemple, de l’onu ou de l’ue, ce qui n’est pas effectué. Plutôt, Medcalf se contente de décrire l’évolution des expéditions militaires de l’Alliance en ne fournissant aucun indicateur qui aurait pu permettre d’évaluer l’« efficacité » de la transition vers une otan à vocation mondiale.

L’ouvrage est divisé en trois parties. La première offre une description historique de l’otan au cours de la guerre froide, en particulier comment l’idée d’une otan aux responsabilités mondiales émerge lors la guerre du Vietnam chez certains dirigeants politiques américains. Mais devant le refus des alliés et, comme la guerre du Golfe le démontrera à nouveau, devant la persistance de la menace soviétique, le rôle de l’otan dans la sécurité collective se borne à des consultations politiques au sein du Conseil de l’Atlantique Nord. Il faut donc attendre l’implosion de l’Union soviétique pour qu’une véritable reconceptualisation du rôle de l’otan ait lieu. Cela s’amorce au début des années 1990, mais le débat, selon Medcalf, oppose d’un côté les États-Unis qui souhaitent rendre l’otan plus apte à répondre à la menace posée par la prolifération d’armes de destruction massive et donc à élargir son mandat à l’ensemble de la planète, et de l’autre, une Europe (homogène ?) préoccupée par les menaces sur le continent européen, lesquelles nécessitent de plus grands efforts et moyens en matière de résolution des conflits.

La seconde partie de l’ouvrage porte sur la transition vers une otan globale, principalement incarnée par la mission en Afghanistan. Sans le reconnaître, Medcalf suggère que le passage soudain vers une otan mondiale, précipitée par les attentats terroristes du 11-Septembre, représente un compromis entre Américains et Européens, dans la mesure où l’otan joue depuis 2002 environ un rôle substantiel à l’extérieur de sa zone traditionnelle (ce que souhaitaient les États-Unis) et contribue à la résolution des conflits (un rôle privilégié par les Européens).

La troisième partie de l’ouvrage porte exclusivement sur la mission en Afghanistan. L’auteure tente d’évaluer les succès de la mission en fournissant une analyse détaillée et fouillée des défis qui se sont posés aux membres de l’Alliance jusqu’à présent. Elle propose ensuite quelques prospectives quant aux probabilités, qu’elle juge bonnes, que l’otan poursuive son rôle de contributeur à la sécurité collective à l’extérieur de la zone euro-atlantique.

La faiblesse de Going Global or Going Nowhere ? réside dans l’absence d’un cadre théorique, lequel aurait sans doute permis de cerner quelques indicateurs de « succès » du rôle, non précisé, que l’otan joue ou devrait jouer par rapport à la sécurité collective. Mais l’ouvrage de Medcalf demeure riche en information pour toute personne s’intéressant à l’otan et, en particulier, à l’intervention militaire en Afghanistan. L’auteure fonde son analyse sur de nombreuses entrevues effectuées auprès de responsables américains, britanniques et français, ce qui enrichit incontestablement l’ouvrage et apporte un contenu original et intéressant. C’est donc dans les détails plutôt que dans l’esprit général de l’ouvrage que le lecteur trouvera l’essentiel de la contribution de Going Global or Going Nowhere? au débat actuel sur le rôle de l’otan dans le monde.