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L’ouvrage discuté ici s’inscrit dans la lignée des recueils contemporains s’intéressant aux problématiques techniques et opérationnelles de la guerre moderne. Il en existe en abondance, qui s’interrogent sur les modifications apportées aux conditions de la guerre dans le monde à l’heure actuelle, aux évolutions technologiques mises en place pour tenter d’y répondre ainsi qu’aux conséquences, directes ou indirectes, qui en découlent.

Parmi la littérature internationale, ce livre s’impose à la fois par son exhaustivité, sans cependant prétendre couvrir l’ensemble des notions, et par la qualité des auteurs sollicités, que l’on parle de savoir-faire rédactionnel ou d’analyse. Souvent des professeurs donnant leurs cours dans des universités reconnues, les auteurs sont des professionnels de la matière et font partie du Réseau multidisciplinaire d’études stratégiques (rmes), reconnu pour ses qualités.

Les villes citées dans cet ouvrage font toutes référence, dans notre mémoire individuelle et collective, à des combats, souvent violents, longs et fortement létaux. Concernant ces zones de conflit : Vukovar, Srebrenica, Sarajevo, Grozny, Mogadiscio, Falloujah… nos souvenirs s’affichent sous forme de combats urbains, de crimes de guerre, d’objectifs difficiles à atteindre et de difficultés pour gagner la guerre. Les batailles urbaines sont parmi les plus dures et les plus marquantes de ces dernières décennies. Elles nécessitent un arsenal de réponses qui passe tant par la mobilisation d’acteurs variés – militaires bien entendu, civils, organisations humanitaires, internationales, sociologues et anthropologues – que par le système appelé pour y répondre : les analystes politiques, stratégiques, militaires, diplomatiques, économiques, culturels et juridiques sont sollicités. On le voit, l’analyse de la matière n’est pas évidente et la synthèse est difficile. Et elle l’est d’autant plus si l’on considère l’importance prise par ces nouveaux centres de gravité au coeur des doctrines militaires modernes : les populations civiles sont les plus touchées par ces guérillas urbaines, tandis que le prix de la vie humaine, s’il n’est pas le même partout dans le monde, va croissant.

Cet ouvrage peut aider à comprendre les questionnements qui pèsent actuellement sur les militaires : ils sont contraints, face aux modifications de leur environnement, de reconsidérer les techniques, leurs réflexions, leurs moyens, leurs modes opératoires et les technologies associées.

Malgré la complexité du projet, la multitude d’auteurs et la difficulté de la science étudiée, l’ouvrage – découpé en trois parties – parvient tout de même à imposer une ligne directrice. L’approche générale, dans une première partie, sert à poser le décor, à délimiter les contours de l’étude et revient sur les concepts fondamentaux. Elle impose un langage commun et une vision historique aux lecteurs, qui devront plonger dans cet univers particulier pour suivre les deux parties suivantes. Cette première étape réussit la mission qu’on lui avait imposée : elle autorise la poursuite de l’ouvrage avec les bases de compréhension nécessaires. Sans toutefois se noyer sous un didactisme exacerbé, elle pose à la fois les concepts et la théorie.

Quant à la deuxième partie, elle s’impose comme une fine analyse des aspects techniques de la guerre urbaine, telle qu’on doit l’entendre aujourd’hui. L’évolution des concepts a poussé à l’adaptation des moyens et à une autre sélection des hommes. L’ouvrage décline le concept d’adaptabilité au combat en développant par exemple le besoin de complémentarité des hommes, de l’impératif lié à leur sécurité, de technicité, sans oublier la réactivité et la nécessaire étude des comportements humains.

La troisième partie met ces concepts à l’épreuve de la réalité : sans oublier le caractère didactique de l’approche, les auteurs analysent quelques cas pratiques. Choisis pour leur pertinence, ces « cas d’application » constituent une parfaite illustration des diverses théories explicitées auparavant, des moyens mis en oeuvre pour s’y adapter et des circonstances exposées.

L’ensemble fournit un univers homogène, les différentes parties et auteurs se complétant. Une bibliographie assez exhaustive permettra aux plus intéressés de poursuivre l’analyse. L’ouvrage ainsi constitué est assez lourd, parce que le concept est essentiel : il apparaît désormais comme un domaine stratégique de référence, s’imposant aux grandes puissances comme aux plus petites.

Déjà Sun Tzu affirmait qu’il ne fallait attaquer les villes que lorsque l’on n’avait pas d’autres choix, parce que c’est toujours la pire des solutions. Cependant, la configuration actuelle des hostilités armées ne permet que très rarement de faire l’économie des combats urbains. En effet, la supériorité des forces militaires ne suffit plus aujourd’hui à déterminer la victoire de l’une ou l’autre des parties. On le voit au quotidien désormais, les guerres ne sont plus celles du siècle dernier. Asymétrie, dissymétrie, guerre de quatrième génération, révolution des affaires militaires des années 1990, action préemptive, forces spéciales… tout a été dit et tout a déjà été étudié, mais la guerre urbaine reste malgré tout un défi permanent pour nos armées. Afin d’aider à la réflexion, cet ouvrage propose une approche multidimensionnelle du phénomène de la guerre en zone urbaine. Sans se limiter à une vision occidentaliste de la guerre, il adopte un point de vue à la fois historique et international : il se distingue en cela de la plupart des manuels étudiant la question de la guerre urbaine.

Il reste que cet ouvrage est difficilement accessible aux lecteurs non encore expérimentés et aguerris aux divers concepts développés ici. On ne peut cependant pas en vouloir aux auteurs, la qualité de l’écriture récompensant largement les éventuels efforts d’adaptation intellectuelle !