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Le processus de consolidation de l’Union européenne a tracé la voie à de nombreux questionnements au sujet de la place qu’occupe une structure régionale comme vecteur et déterminant de la politique étrangère des entités qui la composent. Très souvent, le débat tourne autour de l’opportunité d’attribuer un rôle central à une entité intergouvernementale dans la prise en charge de certains domaines clés considérés comme axes stratégiques de la politique d’États souverains. On cherche surtout à savoir si, et dans quelle mesure, les normes et institutions adoptées à l’intérieur d’un espace d’intégration donné peuvent avoir un impact significatif sur les choix des gouvernements, particulièrement en matière d’orientation de leur politique extérieure. À ce sujet, l’ouvrage dirigé par Gordon Mace de l’Université Laval invite à explorer en profondeur les contours d’une question plus que pertinente : une structure régionale joue-t-elle un rôle observable en matière de convergence des priorités et préférences politiques de ses États membres sur le plan de la politique étrangère ?

En étudiant « l’influence d’une structure régionale sur le comportement des gouvernements », l’ouvrage part du postulat que les institutions, nationales ou internationales, influencent les politiques gouvernementales. Les contributeurs qui y sont associés entreprennent de « soutirer des conclusions fermes au sujet du lien analytique existant entre les institutions et les choix des gouvernements ». Leurs travaux respectifs cherchent à explorer les tenants et aboutissants de ce hard case dans le cadre de l’espace nord-américain (alena) et au-delà. La plupart des auteurs font partie du Centre d’études interaméricaines de cette même université.

Le livre comporte, en plus de la présentation de la perspective théorique choisie et d’une synthèse de clôture (Gordon Mace), six chapitres thématiques, tous liés d’une manière ou d’une autre à l’impact du processus d’intégration régionale nord-américain sur un enjeu de politique extérieure, par exemple la question de la création d’un espace de libre-échange américain (Gordon Mace et Louis Bélanger), les politiques relatives au commerce international (Louis Bélanger), la sécurité territoriale (Stéphane Roussel, Michel Fortmann et Martin Duplantis), la démocratie et les droits de la personne (Jean-Philippe Thérien), la lutte contre le narcotrafic (Guillermo Aureano) et l’orientation stratégique à l’endroit du régime cubain (Hugo Loiseau).

C’est à Gordon Mace qu’il revient de débroussailler le terrain en présentant l’univers théorique dans lequel s’inscrivent les contributions respectives des auteurs. La perspective empruntée par Mace est fondamentale et utile à plusieurs égards, du moins pour la compréhension de l’ensemble de l’oeuvre ; il est important qu’on s’y attarde. Non satisfait des interprétations théoriques développées dans le cadre des approches traditionnelles et conventionnelles (réalisme, libéralisme et interdépendance globale), lesquelles « n’envisagent pas que le régionalisme peut avoir une influence sur les acteurs qui en font partie », Mace accentue de préférence « le pouvoir des normes comme facteurs contraignants du comportement des acteurs ». Notant au passage l’absence d’institutions régionales fortes dans l’espace nord-américain, il observe du même coup que le cadre normatif inséré dans le traité de l’alena demeure la seule contrainte pour la participation des gouvernements au niveau communautaire. L’approche de Mace laisse suggérer que la solidité de l’ordre normatif régional agirait comme contrainte sur les choix politiques adoptés par les trois gouvernements nord-américains. Du fait de son haut niveau de légalisation, et en dépit de faibles structures de gouvernance, précise-t-il, le modèle de l’alena pourrait avoir une forte influence sur les préférences politiques de ses États membres.

En d’autres termes, même dans le cas d’une structure régionale qui présente un très faible niveau d’institutionnalisation, les normes demeurent source d’influence. Si cette influence n’est pas toujours perceptible, il faut tout au moins la chercher dans ce que l’auteur identifie comme étant la convergence ou l’harmonisation des politiques. La combinaison de l’ordre normatif régional et les pratiques administratives qui surviennent postérieurement pourraient très bien créer une « convergence politique forte », suggère Mace. Par le filtre d’une démarche hypothético-déductive, l’ouvrage entend donc identifier ces points de convergence – que Mace prend bien soin de distinguer de l’alignement politique – ou de divergence, introduits par et à cause de l’alena, sur certains dossiers précis de politique étrangère des tres amigos (États-Unis, Canada, Mexique).

Les articles passent au peigne fin cette hypothèse de la convergence forte. On y trouve d’innombrables sources et ressources qui arpentent des dimensions jusque-là inexplorées tant sur le plan de l’articulation de la structure régionale proprement dite que sur celui du chevauchement de la politique extérieure des trois États. Les textes adoptent un ton mesuré et réservé, évitant toute certitude qui laisserait sous-entendre l’adhésion des auteurs à une vision triomphaliste de la convergence des politiques étrangères en Amérique du Nord. Sur des dossiers étroitement liés à l’agenda de l’alena, comme les questions relatives aux politiques commerciales (Bélanger), il se dégage plus de préférences politiques divergentes que de convergence. On en arrive au même constat s’agissant de l’analyse des politiques de défense des trois pays (Nelson Michaud) ou de l’étude des questions de sécurité non militaire (Roussel et al.).

Les autres enjeux de politique étrangère abordés dans le livre, tels que la promotion de la démocratie dans les Amériques (Thérien), la coopération antidrogue (Aureano) et la politique à l’égard du régime cubain (Loiseau), témoignent pour leur part du « phénomène de l’alignement ». Dans ces domaines précis, aussi bien le Canada que le Mexique parviennent à modifier sensiblement leurs positions antérieures pour rencontrer celles exprimées par les États-Unis.

À un moment où le débat autour de l’alena refait surface en Amérique du Nord, cet ouvrage arrive à point nommé. Il apporte un éclairage nécessaire sur beaucoup d’idées reçues et d’opinions préconçues, surtout celles qui agitent le spectre de la perte progressive d’autonomie des États en raison de l’adhésion de ces derniers à des espaces de libre-échange ou à des initiatives d’intégration régionale. En tout et pour tout, l’ouvrage démontre que, selon le secteur choisi et l’État considéré, l’alena peut constituer un facteur conditionnant. Néanmoins, ce dernier n’est nullement une variable explicative de la politique étrangère des trois États nord-américains.