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À côté des nombreuses publications portant sur l’état de l’Union européenne (ue), l’ouvrage dirigé par Yannis Stivachtis se distingue par la largeur des points de vue abordés et la qualité des interventions. Le fil rouge choisi, celui des problèmes de l’Union européenne, et l’organisation du livre en chapitres n’empêchent pas une certaine dispersion. La richesse et l’à-propos des contributions font toutefois l’intérêt du livre.

L’ouvrage s’organise en cinq thèmes particulièrement importants : le rôle de l’ue comme acteur international, les élargissements successifs et leurs effets, la question de l’adaptation des nouveaux États membres, le degré de cohésion dans l’ue et, enfin, les défis monétaires et financiers auxquels l’ue doit faire face. Les thèmes sont traités après une introduction qui présente les objectifs du livre et résume chaque contribution. L’ensemble constitue un assemblage stimulant de réflexions sur l’état du projet d’intégration européenne.

Dans la première partie, les contributeurs dressent un état des lieux de la Politique étrangère et de sécurité commune (pesc) et de ses développements. Les interventions tournent essentiellement autour des divisions d’une pesc largement soumise aux États membres, souffrant de leurs divergences mais leur fournissant aussi un outil supplémentaire pour mener leurs politiques nationales. Les contributions reviennent aussi sur la nature de la « puissance » européenne, précisant l’image d’une ue puissance du verbe, du maintien de la paix et des pressions financières ou politiques, mais manquant des marqueurs de la puissance « dure » que seuls détiennent des États souvent divisés entre eux. L’article de Stivachtis sur ce sujet est particulièrement intéressant. S’attaquant à la question des divisions de la politique étrangère européenne, la contribution de Whitman et Thomas donne aussi une perspective intéressante sur la présidence du Conseil européen comme possible chef d’orchestre du chaos européen. On peut lier cette contribution au débat soulevé par les déclarations récentes du président français Nicolas Sarkozy demandant que la présidence quitte l’état de « responsabilité sans pouvoirs » qui est le sien.

Immenses défis posés aux institutions européennes, les élargissements récents font l’objet dans le livre d’une partie un peu courte. Ainsi, Christopher J. Bickerton souligne avec raison le désenchantement qui préside à l’après-élargissement à la fois dans les nouveaux États membres et à l’intérieur de l’ue, alors qu’à l’Est comme à l’Ouest les espoirs de la construction européenne et de l’après-guerre froide s’affaissent. Bickerton et les autres auteurs de la partie soulignent aussi les facettes du débat sur la possible accession de la Turquie, Bickerton insistant sur le fait que les contradictions et les incertitudes mêmes du projet européen nourrissent les incertitudes concernant la Turquie. Le débat est avant tout un débat sur l’Europe, marqué par la plus grande des confusions. Les contributions reviennent aussi sur le processus par lequel les nouveaux entrants ont été influencés par leur accession à l’ue, un processus de diffusion de normes important et qui ne va pas sans problèmes d’un côté comme de l’autre.

Les contributions sur la légitimité et la démocratisation de l’ue reviennent sur des thèmes connus et importants. Le sentiment d’incompréhension des citoyens européens par rapport au travail des institutions, le manque d’une identité commune affirmée sont des éléments familiers du débat sur l’ue politique. Le livre s’intéresse également aux difficultés de la transition, en particulier dans une contribution intéressante de Gareth Dale sur les difficultés de l’Allemagne de l’Est à s’adapter à son nouveau statut après la réunification. Le livre revient encore sur les difficultés d’établir une cohésion interne à l’ue, en particulier dans le domaine social. La contribution de Juraj Daxler sur l’État-providence en Europe est ici particulièrement intéressante, alors que celle d’Akis Kalaitzidis, en revanche, laisse un goût d’inachevé.

L’ouvrage se termine sur les questions monétaires et financières. Ces questions ont pris une nouvelle importance avec la crise financière de l’automne 2008, et les conclusions de la plupart des contributeurs sur les possibilités offertes pour renforcer les coopérations économiques européennes ne sont pas optimistes. Le dernier chapitre, écrit par Heather Baca-Greif, Poul Thøis Madsen et Esben Tranholm Nielsen, porte en particulier sur l’importance des circonstances dans la mise en place de l’Union monétaire européenne. La contribution revient de manière intéressante sur la nature de l’attachement des élites allemandes à l’emu, rappelant l’imbrication des notions politiques et économiques, identitaires et techniques, nationales et européennes. Les auteurs insistent sur la nécessité d’adopter plusieurs filtres théoriques à l’analyse de décisions complexes, ce à quoi nous ne pouvons qu’applaudir.

Les thèmes qui se dégagent du livre sont classiques des analyses des difficultés rencontrées par l’ue de nos jours. On découvre une intégration européenne fortement développée mais aussi ambiguë, prise entre les États et les institutions communes. Chacun des exemples techniques proposés fournit une bonne occasion d’observer les divisions du projet européen et les tensions qui animent cette organisation à part, coincée entre les modèles fédéraux et intergouvernementaux, souvent paralysée par les divergences d’intérêts et les différences d’analyse entre États membres. La question de l’existence ou non d’un niveau européen politique, démocratique, identitaire, économique est également posée avec insistance. La pesc en donne le meilleur exemple, avec la question de l’existence même d’un intérêt stratégique commun européen posée d’entrée par Müftüler-Baç. On pourrait dans ce cas rappeler le jugement de Pierre-Marie Gallois sur la défense européenne, qui invitait à ne pas confondre une réalité institutionnelle (les communautés européennes) avec un possible théâtre stratégique. Dans tous les domaines, l’ue telle qu’on la présente dans ce livre bute sur ses contradictions, mais présente aussi dans certains domaines une coordination, voire l’émergence d’un véritable niveau européen commun.

Le livre est à conseiller à des étudiants ou à des spécialistes ayant déjà un solide bagage de connaissances concernant le fonctionnement des institutions européennes. Les notes et les listes de bibliographie sont bien faites et utiles. En définitive, le livre fournit un bon outil de travail sur un sujet complexe. Les évolutions continues et rapides des politiques européennes peuvent toutefois rendre certains développements obsolètes.