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Choisir un titre pour un ouvrage tient souvent de la quadrature du cercle. En l’espèce, il n’est pas certain que Copeland ait surmonté la difficulté de la meilleure manière qui soit. Guerrilla Diplomacy aiguise certes la curiosité, mais le lecteur devra patienter pour en comprendre le sens, lequel ne sera explicité que dans le dernier quart du livre. Quant au sous-titre, Rethinking International Relations, il induit le lecteur potentiel en erreur, car le propos de Copeland n’est pas de repenser les relations internationales mais bien de refonder la diplomatie, voire, plus largement, la politique étrangère. De surcroît, si cette dernière entreprise s’appuie sur une analyse de l’état du monde contemporain, elle ne relève pas d’une approche réaliste stato-centrée – laquelle justifierait l’utilisation du vocable International Relations – mais bien d’une démarche transnationale fortement teintée de libéralisme (au sens anglo-saxon) qui aurait justifié l’emploi du vocable World Politics.

Les 300 pages de Guerrilla Diplomacy forment un objet qui offre une forte résistance à la caractérisation. Cela tient sans doute pour une part à la personnalité de son auteur. Non pas tant qu’il soit si exceptionnel qu’un praticien s’essaie à l’analyse (Copeland fut diplomate de 1981 à 2009). Mais, en l’espèce, il s’agit bien d’une démarche réflexive dans la mesure où l’auteur s’efforce de repenser l’activité même à laquelle il a consacré l’essentiel de sa carrière professionnelle. L’exercice suppose toutefois une mise en contexte préalable. Si la diplomatie doit s’adapter, c’est parce que le monde change.

Dans la première moitié de l’ouvrage, l’auteur nous livre son interprétation du monde contemporain. Le lecteur aux neurones engourdis par le ronronnement des analyses mainstream aura tôt fait de retrouver sa tonicité cérébrale car Copeland – sans doute parce qu’il n’a pas été formaté dans le moule académique – ne recule devant aucune audace. Sont ainsi convoqués à la barre des grands témoins : les théoriciens de la dépendance, les néomarxistes ou encore l’inclassable Noam Chomsky. La thèse principale que défend Copeland est que le système des trois mondes (Est, Ouest, Sud), qui avait structuré la scène mondiale durant la seconde moitié du 20e siècle, cède la place à une configuration plus complexe composée de quatre catégories (avancée, aléatoire, tertiaire et exclue). De nature transnationale plutôt que géopolitique, ces quatre catégories de populations sont dotées de capacités décroissantes, alors même que leur vulnérabilité grandit à mesure que l’on passe de la première à la quatrième.

Alors que la géométrie du monde connaît de profonds bouleversements et que les défis s’accumulent, Copeland constate que la structure intellectuelle dominante présente d’inquiétants traits de continuité avec celle qui prévalait durant la guerre froide. Le monde bipolaire avait en effet généré une rhétorique du « nous » (l’Ouest) contre « eux » (les Soviétiques et leurs affidés). Ce monde-là était aussi caractérisé par l’existence d’une menace globale et diffuse car le risque communiste était partout. Pour l’auteur de Guerrilla Diplomacy, la prééminence d’une vision manichéenne perdure. « Nous » – l’Occident civilisé – contre « eux » : le Sud instable et sa protubérance la plus monstrueuse, le terrorisme inspiré par le fanatisme religieux, lequel est devenu la nouvelle menace globale et diffuse. Selon l’ancien diplomate canadien, cette inertie dans la façon de penser le monde est à l’origine d’une propension à privilégier les réponses militaires aux dépens des solutions diplomatiques.

La seconde partie de l’ouvrage se concentre sur la réinvention de la diplomatie afin de rendre à celle-ci la place centrale qui lui revient dans la gestion des relations internationales. Pour Copeland, la diplomatie publique – entendue comme un ensemble d’activités destinées à influencer les perceptions du public cible dans un sens qui facilite la poursuite des objectifs de la politique étrangère – doit désormais constituer le centre de gravité de l’activité des ambassades. Quant à la « diplomatie de guérilla », l’auteur la voit comme une diplomatie de terrain, caractérisée par l’autonomie, l’agilité, l’acuité et la résilience. Capable de collecter et d’utiliser le renseignement, disposant d’une bonne connaissance du milieu local et possédant les compétences culturelles et linguistiques requises, elle sera capable de travailler en situation de conflit. Daryl Copeland n’escompte rien de moins de cette nouvelle génération de diplomates qu’ils constituent une solution alternative aux interventions militaires de contre-insurrection !

Voilà donc un essai qui ne manque ni d’ambition ni d’originalité. L’auteur y lance de nombreuses pistes, souvent audacieuses, en se souciant assez peu des conventions académiques. Appréhendée dans sa globalité, l’entreprise intellectuelle du diplomate canadien s’avère virtuellement inclassable. Certes, il n’est guère douteux que le volontarisme normatif de Daryl Copeland soit sous-tendu par de solides convictions libérales ; mais l’ouvrage est trop peu conventionnel et bien trop critique dans son objet même pour être réduit à un simple manifeste libéral. D’ailleurs, après avoir convoqué le structuralisme des théoriciens de la dépendance, ses propos sur la gestion des perceptions internationales voient Copeland emprunter les voies fréquentées par les constructivistes. Au final, il demeure surtout ce formidable paradoxe qu’au terme de 300 pages d’analyses aux antipodes du réalisme stato-centré, la conviction avec laquelle Copeland plaide pour la rénovation et la réhabilitation du rôle du diplomate – personnage clé d’un système westphalien pourtant décrit comme moribond – révèle une foi en l’État inattendue et plutôt paradoxale, en effet.