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Une tranche de deux décennies représente normalement une génération. C’est toutefois une période assez longue pour qu’il se passe suffisamment d’événements qui nous font comprendre pourquoi nous sommes arrivés là où nous sommes, quels qu’eussent été les espoirs au départ. Mais il est facile de se fourvoyer, surtout dans la prévision, mais aussi dans l’explication. On n’a qu’à penser à la période entre les deux guerres mondiales du vingtième siècle ; personne n’aurait cru à la fin de la Grande Guerre en 1919, quand la démocratie et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes étaient à l’ordre du jour, qu’il y en aurait une autre tout aussi meurtrière et encore plus criminelle dans l’espace d’une génération, qui résulterait en une reconfiguration de l’Europe. Cette fois-ci, la chute du mur de Berlin en novembre 1989 est l’événement avant-coureur qui mettait fin à une période de confrontation bipolaire idéologique et nucléaire et qui offrait l’espoir que la démocratie et le marché libre prendraient racines dans la partie de l’Europe où le socialisme avait fait la preuve de son incapacité à gérer intelligemment et humainement les sociétés et les États où il avait été imposé. L’Europe n’était plus divisée idéologiquement, mais ses deux parties montraient des différences marquées. Que peut-on dire de cette Europe une génération plus tard ? Les espoirs ont-ils été réalisés et comment est-on arrivé au résultat que nous avons et que nous cherchons à comprendre ?

Ceux qui espèrent trouver une histoire de ces vingt premières années de l’après-guerre froide seront déçus. Comme le suggère le sous-titre, ce que l’auteur tente de faire est de jeter un regard sur l’Europe recomposée en examinant les agents catalyseurs. Divisée en trois sections, la première partie explique comment les États-Unis sont sortis vainqueurs de la guerre froide. La seconde se penche sur les relations entre la France et l’Allemagne pour tenter de montrer comment celles-ci ont été le moteur de la recomposition de l’Europe. Enfin, la troisième examine sur les défis qui se posent à la nouvelle Europe.

Il s’agit d’abord d’un aperçu de la fin de l’Union soviétique et de la tentative des dirigeants de l’État successeur, la Fédération de Russie, de retrouver une place importante pour leur pays sur la scène mondiale. L’auteur conclut que le poids de Moscou en Europe diminue considérablement durant les années 1989-2004 au profit des États-Unis, dont il examine la politique étrangère après la guerre froide de façon tout aussi superficielle. Verluise constate non seulement que ces derniers réussissent à faire de la démocratie la norme en Europe, mais qu’ils deviennent aussi la seule superpuissance mondiale. L’importance de ce développement n’est toutefois pas examinée dans l’ouvrage.

Si l’auteur étudie en détail le couple franco-allemand dans la deuxième partie, il n’explique pas, et certainement pas de façon satisfaisante, pourquoi une telle analyse doit privilégier l’histoire de la recomposition de l’Europe. Il résume d’abord les relations entre les deux pays avant la chute du mur, puis explique comment ces relations, qui se détériorent au fil des années, rebondissent sur la création de l’Union européenne, concluant qu’il est essentiel qu’elles soient réaménagées de façon constructive au service de l’Europe communautaire. Les relations franco-allemandes sont certes importantes dans la construction de l’Europe de l’après-guerre froide, mais elles ne constituent qu’une partie d’une histoire qui est beaucoup plus complexe que ces relations et surtout tributaire d’autres facteurs encore plus déterminants que les aléas des liens entre ces deux pays.

La troisième partie de l’ouvrage, qui examine certains défis européens, est la moins satisfaisante. L’auteur y pose un regard beaucoup trop rapide sur la Roumanie et la Bulgarie, récents membres de l’Union européenne qui, selon lui, ont encore des progrès à faire en matière de transparence. Quant au tour d’horizon de la Croatie, de la Turquie et d’autres candidats balkaniques à l’Union européenne ainsi que de l’Ukraine et de la Moldavie, il a pour but de poser la question des limites de l’Europe communautaire : en fait, Verluise conclut que c’est le budget de l’Union européenne qui, plus qu’autre chose, peut et doit répondre à cette question. Cette partie se termine par un examen très bref des défis posés par la Russie résurgente, par l’importance du lien transatlantique, par la Chine et par le phénomène de la corruption que l’auteur situe également au sein de l’Union européenne.

La conclusion, hélas, ne rassemble pas de façon systématique ni analytique les divers aspects de la recomposition de l’Europe proposés par Verluise. De plus, l’utilisation plutôt exagérée de nombreuses citations d’autres analystes ne rend pas la lecture facile. Tout compte fait, l’ouvrage laisse le lecteur sur sa faim quant aux deux questions sous-entendues dans le titre de l’ouvrage : quel est le portrait de l’Europe recomposée et comment en est-on arrivé là ?