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Prenant appui sur un petit nombre de préceptes moraux apparus dès l’Antiquité, tels que le droit à la vie, à l’honneur ou encore la liberté de religion, l’ensemble que constituent les droits de la personne va s’enrichir et se complexifier à travers les siècles pour atteindre la conception qu’on connaît actuellement, c’est-à-dire cette diversité de droits que chacun possède en sa qualité d’être humain. Si l’affirmation universaliste, qui en est le coeur, s’est traduite sur le plan légal par un corpus d’obligations qui a été accepté par l’immense majorité des États, l’application sur le terrain est loin d’être aussi uniforme. Ce fossé tout autant que ces normes sont des données qui peuvent être mesurées, et le but de Measuring Human Rights est d’offrir aux chercheurs des outils à cet effet.

Avant d’envisager la description des méthodes de sciences sociales applicables à l’étude des droits de la personne, les premiers chapitres de ce livre viennent éclairer le lecteur sur des points préalables, et néanmoins fondamentaux, à toute tentative de mesurer les droits humains. En effet, leur étude concerne de nombreuses disciplines allant des sciences politiques à la médecine. Or, toute personne qui se lancerait dans une telle recherche ne serait pas forcément familière des concepts juridiques nécessaires pour comprendre la portée des obligations auxquelles se sont soumis les États. Dès lors, la masse de documents que génère ce sujet peut rapidement se révéler un véritable casse-tête pour un novice peu habitué, par exemple, au rôle des différents acteurs de la protection de ces droits ou aux divisions établies, tel l’emploi du terme de « génération » pour désigner leur évolution, ou au sens à donner à une obligation qualifiée de « positive » ou de « négative ».

Le coeur de l’ouvrage vient réellement avec la présentation de quatre méthodes. Il s’agit tout d’abord des mesures basées sur des événements (events-based measures), où le chercheur va s’appuyer sur des faits ; puis des mesures basées sur une échelle de valeurs allant du meilleur au pire et commune à tous les pays (standards-based measures) ; ensuite des mesures ayant pour origine des témoignages d’individus (survey-based measures) ; et, enfin, des mesures partant de statistiques socio-économiques et administratives (socio-economic and administrative statistics). Pour chacune d’entre elles, les auteurs présentent l’historique, la méthodologie à élaborer en s’appuyant pour cela sur les travaux d’autres chercheurs, des exemples d’application, mais aussi les problèmes auxquels ces méthodes se heurtent lorsqu’il s’agit d’évaluer les droits de la personne. De façon générale, la difficulté la plus récurrente concerne la crédibilité de données qui sont porteuses de la possibilité non négligeable d’erreurs, notamment le risque de sous-estimer le nombre de violations ou au contraire d’en surestimer l’importance. D’où la nécessité d’adopter une méthode scientifique rigoureuse, quitte, comme le proposent les auteurs, à combiner deux des méthodes présentées, sous peine de produire des indicateurs déconnectés de la réalité. Ce résultat se révélerait particulièrement dramatique tant ces analyses sont importantes pour comparer des situations, pour mesurer une amélioration ou une dégradation, pour surveiller une évolution ou, encore, pour presser un gouvernement de changer des pratiques politiques. Toute erreur ou mauvaise compréhension de la part du chercheur risquerait d’avoir pour conséquence une interprétation faussée de la situation, pouvant entraîner la mise en place de mesures qui ne correspondent pas aux besoins.

Le principal avantage de cet ouvrage réside dans sa capacité à synthétiser les recherches déjà menées et à présenter au lecteur un condensé des réflexions autour de la capacité à mesurer les droits humains. Il reproduit pour cela de nombreux tableaux et schémas qui viennent aider le lecteur à conceptualiser plus aisément les notions et les idées développées dans le texte. Ce livre relativement court sur un sujet très complexe constitue ainsi une excellente entrée en matière. Tout chercheur qui souhaiterait, par la suite, approfondir ses connaissances n’aura d’ailleurs que l’embarras du choix parmi les nombreux ouvrages référencés dans la bibliographie. À l’inverse, et c’est sans doute le défaut de ses qualités, l’ouvrage ne présente qu’un contenu très convenu, puisque les auteurs ne cherchent pas à fournir des outils propres à la mesure des droits de la personne, mais reprennent des méthodes qui ont fait leurs preuves en sciences sociales, même si elles ne se révèlent pas forcément adaptées. Cependant, cette critique semble parfaitement assumée par les auteurs, qui encouragent les chercheurs à s’aventurer sur ce terrain et à explorer des moyens innovateurs pour mesurer cette matière complexe.