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Le sujet de ce livre s’articule autour de l’initiative marocaine d’accorder un statut d’autonomie de la région du Sahara afin de sortir de l’impasse du conflit du Sahara occidental qui traîne depuis 1976. L’auteur met à profit l’approche du droit international public et s’appuie sur les intérêts divergents des acteurs engagés dans ce conflit pour défendre sa thèse selon laquelle le droit à l’autodétermination doit faire l’objet d’une profonde évolution conceptuelle afin de cadrer avec la spécificité de certains conflits dans le monde, notamment la question du Sahara occidental.

L’auteur suggère de distinguer entre deux conceptions du droit à l’autodétermination. La première remonte au 19e siècle, qui voit l’émergence du nationalisme européen et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le contexte historique de décolonisation a donné à cette conception une nouvelle légitimité avec l’adoption de la résolution 1514 (1960) portant sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Les articles 1 et 55 de la Charte des Nations Unies, les pactes de 1966 consacrés aux droits de l’homme et l’Acte final de la conférence d’Helsinki de 1975 déterminent le bien-fondé juridique de ce principe en précisant que tous « les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement le développement économique, social et culturel. »

Pour El Ouali, cette ancienne approche, qui demeure dominante, n’aide pas à faciliter la résolution de certains conflits armés. L’auteur admet l’importance et la nécessité d’agir dans un cadre conforme aux règles de droit acceptées par la communauté internationale, mais ces règles ne sont pas statiques : de caractère évolutif, elles se transforment selon les circonstances et la nature de chaque conflit. En ce sens, ce livre propose une nouvelle conception du droit à l’autodétermination qui ne doit pas être un droit systématique d’indépendance. Les enjeux politiques et sociologiques liés au conflit du Sahara occidental témoignent de la nécessité de l’évolution de ce principe vers un droit d’autogouvernement démocratique à l’échelle nationale sous forme de démocratie territoriale. C’est à ce niveau que réside le point fort de ce livre qui tente de conceptualiser cette notion d’autonomie territoriale en tant que nouvelle manifestation du droit à l’autodétermination.

À la lumière de ces considérations, ce livre nous enseigne que le conflit du Sahara occidental n’est pas un conflit d’autodétermination – selon l’ancienne connotation de ce principe signifiant indépendance –, mais plutôt un problème d’un pays, c’est-à-dire le Maroc, qui milite pour parachever son intégrité territoriale dans le but de restituer une partie du territoire national qui était sous contrôle d’une puissance coloniale. Autrement dit, cette grille d’analyse adoptée par l’auteur souligne que l’impasse dans laquelle se trouve ce conflit est le résultat d’une approche erronée qui le voit en tant que question de décolonisation d’un territoire. L’auteur analyse aussi l’échec du plan de règlement adopté en 1990 par l’onu, notamment la procédure de détermination des personnes habilitées à participer au référendum d’autodétermination. Il parvient à la conclusion que l’ancien paradigme de l’autodétermination est inapplicable dans ce conflit et que la meilleure option réaliste et honorable, qui s’offre aux différents acteurs concernés, réside dans la mise en place d’un régime d’autonomie régionale. Dans cette perspective, l’auteur soutient que l’initiative marocaine, présentée aux Nations Unies en 2007, comporte les bases d’un projet viable, une source d’approfondissement de la démocratie et un élément nouveau dans les expériences d’autonomie régionale dans le monde, en particulier en Espagne, en Italie et en France.

Pour bien consolider son analyse, El Ouali s’attarde sur la crise que connaît aujourd’hui la notion de territorialité étatique et sur ce qu’il convient d’entendre par peuple. Selon lui, il n’existe pas de définition universellement admise de la notion de peuple et le droit à l’autodétermination ne doit pas être appliqué d’une façon systématique ou mécanique. Si certaines minorités revendiquent l’indépendance sous couvert de ce droit, les États s’opposent à une telle revendication visant à conduire à leur fragmentation et à leur déstabilisation en faveur de certains opposants politiques qui sont – dans le cas du conflit du Sahara occidental – soutenus par certains pays voisins. Cela illustre que ce principe juridique est parfois utilisé dans les relations internationales pour tenter de déstabiliser un État « rival » ou « ennemi ».

La seule critique qu’on pourrait adresser à ce livre original réside dans l’absence d’une approche comparative avec les autres revendications d’indépendance à l’égard de plusieurs États, celle du « peuple corse » à l’égard de la France, du « peuple basque » à l’égard de l’Espagne ou celles des Kurdes. Toutefois, la trame de ce livre aide à remettre en cause le principe d’autodétermination/indépendance et propose une nouvelle grille d’analyse pour savoir à quel moment deviennent légitimes les revendications indépendantistes d’une population. On pourrait dire que El Ouali, qui n’est pas un chaud partisan de l’indépendance du Sahara occidental, complète avec cet ouvrage celui de Mohamed Cherkaoui, Le Sahara, liens sociaux et enjeux géostratégiques (2007).