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L’analyse politique est en partie basée sur la quête d’une meilleure compréhension de la construction, du maintien et de l’effondrement de l’ordre au sein de communautés politiques. Au niveau mondial, la fin de la guerre froide a marqué la fin de l’ère bipolaire et le début d’un nouvel ordre dominé par les États-Unis. Quelle est la nature de cet ordre ? Comment évoluera l’ordre international au 21e siècle, qui seront les principaux acteurs et quelles politiques devraient-ils adopter afin de maximiser tant leur propre intérêt que la stabilité et la justice internationales ? Onze auteurs, dont plusieurs figures dominantes de la discipline des Relations internationales, tentent de répondre à ces questions dans cet ouvrage collectif dirigé par William Zartman.

La principale caractéristique de l’ordre actuel est la prépondérance de la puissance américaine. Au-delà de cette conclusion, toutefois, l’ouvrage ne parvient pas à un consensus quant au statut des États-Unis. Pour le père du réalisme structurel, Kenneth Waltz, les États-Unis sont « seuls au monde » : le système bipolaire de la seconde moitié du vingtième siècle a été remplacé par un système unipolaire. En l’absence de contrepoids, la politique étrangère américaine est prévisible : elle est arbitraire et parfois destructrice.

Selon Paul Schroeder, l’histoire montre que les grandes puissances doivent choisir entre hégémonie et ambitions impériales. Le mirage impérial est invitant, mais dans le système westphalien il ne peut que mener au désordre et à une perte de puissance, alors que l’hégémonie peut créer un ordre stable. Selon Schroeder, la politique américaine des dernières années s’apparente à une quête impériale ; elle a donc entraîné un déclin de la possibilité d’une hégémonie « utile » et a contribué à produire un désordre hobbesien au Moyen-Orient.

Dans ce contexte de prépondérance américaine, la question de la réaction du reste de la communauté internationale continue d’alimenter les débats. Les différents contributeurs ne s’entendent pas à savoir si un contrepoids à la puissance américaine est en cours de formation, possible, ou même souhaitable. Selon Waltz, la domination américaine est telle qu’un État ou une coalition d’États ne peut s’y opposer avec succès. Pour Robert Jervis, Gustav Schmidt et Francis Fukuyama, par contre, un nouvel équilibre mondial est progressivement en train d’être créé. Charles Doran, cependant, considère qu’il est plus pertinent de s’intéresser à l’évolution des constellations régionales, qui sont de plus en plus autonomes dans la gestion de leurs conflits.

Un débat émerge entre plusieurs chapitres : jusqu’à quel point les acteurs internationaux ont-ils la liberté de manipuler leur destinée ? Selon Waltz, les États bénéficient d’une marge de manoeuvre limitée ; le système international demeure le principal déterminant de leurs actions. Pour Farhang Rajaee, au contraire, l’humain doit faire face à un choix dans la construction de l’ordre international. Rajaee rejette le pessimisme des réalistes et considère que, face aux contraintes internationales, il est non seulement possible mais surtout impératif pour l’homme de construire un ordre basé sur un équilibre entre sécurité et justice.

Devant un contexte international diffus et ambigu, plusieurs tentent de proposer des voies à suivre pour les États-Unis. Selon Seyom Brown, Washington devrait s’inspirer de ce qu’il appelle le higher realism, en faisant la démonstration que la poursuite de l’intérêt américain est également animée par le besoin de servir les intérêts politiques, sécuritaires, économiques et humanitaires d’une communauté internationale diversifiée. Selon Brown, en effet, l’environnement international au 21e siècle n’est pas multipolaire, mais plutôt – en empruntant à Robert Dahl – polyarchique. Dans un tel ordre, les États partagent la scène avec une pléthore d’acteurs non étatiques, tels que syndicats criminels, multinationales et organisations terroristes.

Pour Francis Fukuyama, les États-Unis doivent mener une réforme en profondeur des institutions internationales afin de faire face adéquatement aux menaces du monde après-11 septembre. Ces nouvelles institutions nécessitent d’abord et avant tout deux éléments, puissance et légitimité. Fukuyama ne propose pas de plan, mais suggère que l’idéal réside en une multiplication du nombre d’organisations géographiques et fonctionnelles, ce qui permettrait aux puissances de « magasiner » le forum le mieux adapté tant à leurs besoins nationaux qu’aux particularités du problème en question.

Cet ouvrage collectif propose un équilibre intéressant entre analyse et prescription et entre propositions théoriques et études empiriques, et plusieurs auteurs présentent des pistes de réflexion stimulantes. Dans certains cas, toutefois, la force de l’ouvrage devient sa faiblesse, alors que la diversité des sous-thèmes abordés conduit à un certain éparpillement. On déplorera également le fait que plusieurs contributions ne représentent pas une recherche originale mais plutôt un condensé d’écrits déjà publiés.

Le chapitre rédigé par Michael Klare et Peter Pavilionis, portant sur l’importance accrue des ressources naturelles en tant que source de conflits au 21e siècle, illustre ces deux constats. L’analyse n’a qu’un lien ténu avec le programme proposé par Zartman ; bien qu’un examen des principaux enjeux sécuritaires forme une part importante d’une discussion de l’ordre mondial nouveau, la spécificité et l’accent mis sur les sources des conflits (et non sur l’ordre et le rôle des États-Unis) font en sorte que la cohérence du livre en souffre. De plus, le chapitre s’inspire considérablement des nombreux écrits précédents de Klare.

La diversité des réponses proposées montre d’abord et avant tout que l’ordre international en ce début de 21e siècle demeure indistinct et mal compris. Cette absence de consensus permet toutefois également de porter un certain jugement sur la discipline des Relations internationales qui, justement, manque de discipline : les auteurs, malgré les efforts louables de Zartman en introduction, ne s’entendent pas sur les questions à poser, et encore moins sur les réponses.