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Les Presses de l’Université des Nations Unies ont publié plusieurs ouvrages sur le bilatéralisme dans la diplomatie commerciale. Nous avons rendu compte de deux ouvrages récents dans les pages de cette revue. L’étude de Heydon et Woolcock s’inscrit dans ce contexte en abordant un thème majeur de l’économie politique internationale sous un angle relativement pragmatique. Le texte est basé sur une étude produite par ces deux auteurs pour le compte d’un organisme suisse, le Secrétariat d’État à l’économie (seco). Néanmoins, il faut reconnaître que cet ouvrage est d’une facture nettement plus académique que les ouvrages parus sur le sujet aux mêmes presses. Les deux auteurs sont professeurs à la London School of Economics et adoptent une approche multidisciplinaire en puisant dans les démarches propres à l’économie et à la science politique. Les chercheurs en économie politique internationale se trouveront donc en terrain connu.

Les auteurs cherchent à combler une lacune dans l’importante littérature portant sur les ententes de libre-échange. En effet, plusieurs ouvrages ont abordé l’impact de la prolifération d’ententes bilatérales et régionales sur le régime multilatéral du commerce. D’autres ont examiné les motifs sous-jacents à l’usage d’approches bilatérales. Ce texte selon les auteurs, entend pallier un manque d’analyse comparative du contenu des multiples ententes bilatérales conclues depuis deux décennies. En se penchant sur les détails des règles, normes et dispositions des ententes bilatérales négociées par les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et Singapour, les auteurs tentent de répondre à la question suivante : les ententes de libre-échange devraient-elles être perçues comme une solution alternative au multilatéralisme ou comme un tremplin pour les négociations de l’Organisation mondiale du commerce (omc) ? Cette question n’est pas nouvelle. De ce fait, nous aurions souhaité que les auteurs proposent une revue de la littérature spécialisée abordant ce thème depuis le début du cycle d’Uruguay en 1986.

Une part importante de l’ouvrage aborde les règles au coeur des multiples ententes préférentielles de commerce. Il est question d’abord des tarifs et des règles d’origine, puis des barrières non tarifaires, des services et de l’investissement. Un dernier thème porte sur les règles en matière de propriété intellectuelle, les règles environnementales et les normes du travail. De nombreux accords sont analysés en fonction de ces domaines. La perspective comparative est bien menée et il s’en dégage des approches propres à certains pays. Il est utile de voir au fil des négociations les positions des principaux pays. L’étude la plus fouillée est celle qui aborde les services et l’investissement. Une fois cette analyse thématique achevée, les auteurs consacrent un chapitre à chacun des pays. L’objectif est de comparer les buts et les pratiques des États-Unis, de l’Union européenne, du Japon et de Singapour. Le chapitre sur les États-Unis et celui sur l’Union européenne sont particulièrement bien documentés. On y trouve les principales étapes de progression vers la négociation d’ententes bilatérales en relation avec l’évolution de la conjoncture commerciale multilatérale. De cet exercice se dégagent des différences et des similitudes des pays engagés dans la négociation d’ententes bilatérales.

Les auteurs estiment que le bilatéralisme et la négociation d’ententes préférentielles de libre-échange entre des petits groupes sont devenus l’outil principal de la diplomatie commerciale à l’échelle mondiale. Le nombre d’accords préférentiels conclus dans la dernière décennie a pour effet d’éclipser partiellement le multilatéralisme et l’omc. L’ouvrage se termine par une réflexion sur les tendances qui ressortent du comportement des principaux pays à l’étude. Il apparaît que ces pays ont des approches différentes en ce qui concerne la nature des accords et les démarches employées. Dans tous les cas, le facteur déterminant est l’insatisfaction à l’égard des négociations multilatérales dans le cadre de l’omc. La démarche bilatérale vise à progresser avec des partenaires commerciaux clés pendant que les négociations multilatérales piétinent. Les progrès sont nombreux dans des secteurs importants comme les tarifs, les barrières non tarifaires, les marchés publics et les règles en matière d’investissement. Toutefois, il se crée des normes qui s’enchevêtrent entre les partenaires et qui ont pour effet d’engendrer une diversion du commerce. Les règles fixées par les principaux pays se distinguent, bien que dans plusieurs cas il s’agisse de règles qui sont en négociation à l’omc. Il semble bien exister une course aux négociations bilatérales à l’échelle mondiale. Les pays à l’étude sont animés par des motifs distincts pour engager des négociations avec de multiples partenaires. Quoi qu’il en soit, les auteurs jugent que la crainte d’être laissé pour compte est un facteur important. Il se dégage clairement de l’étude que les États-Unis ont un plan poussé pour la négociation d’ententes préférentielles. Le contenu des ententes est similaire et les pays sont choisis en fonction de critères stratégiques. D’autres, tels que le Japon, semblent opérer de façon ad hoc et peu coordonnée. De son côté, l’Union européenne fait preuve de stratégie et négocie des ententes comportant des composantes institutionnelles plus définies. Singapour, pour sa part, a tiré des leçons de la crise économique asiatique et a développé une diplomatie bilatérale qui s’inspire des négociations avec l’asean et l’apec.

L’apport du livre est d’offrir une perspective comparative des principaux acteurs de la diplomatie commerciale bilatérale. Il apparaît que les ententes bilatérales de libre-échange sont à la fois un frein et un moteur de la libéralisation du commerce à l’échelle mondiale. Cependant, selon Hayden et Woolcock, il est encore bien difficile de tirer une conclusion claire en cette matière. De toute évidence, l’ouvrage ne s’appuie pas suffisamment sur la très riche littérature spécialisée produite depuis presque trois décennies. L’étude aurait gagné en profondeur si elle avait intégré des notions et des concepts clés des travaux plus théoriques sur le régionalisme, le bilatéralisme et le multilatéralisme commercial. Il s’agit néanmoins d’une lecture enrichissante pour tout analyste de la scène commerciale mondiale.