Corps de l’article

Le livre de Jean-François Payette n’est pas un livre de plus s’intéressant au Québec sur la scène internationale. Il renouvelle les études sur les relations internationales du Québec. Il enrichit ce champ par une perspective diachronique et théorique innovante.

Le concept central du livre est celui de la « paradiplomatie identitaire » que Payette propose comme approche pour dépasser la « doctrine Paul Gérin-Lajoie » qui était le socle et l’épine dorsale de la politique extérieure du Québec. En effet, les relations internationales du Québec reposent sur deux pôles : celui de la francophonie et celui des relations économiques avec les États-Unis. Ainsi, la question qui mérite d’être posée est de savoir à quelles conditions le Québec peut avoir (et doit-il avoir ?) une politique étrangère. Cette question soulève selon l’auteur trois enjeux : théorique, politique et épistémologique. Sur le plan théorique d’abord, il y a toute la question du statut du Québec qui n’est pas un État en soi au regard du droit international, mais une province dans une fédération, donc qui ne peut avoir qu’une souveraineté subordonnée. Sur le plan politique ensuite, une menace plane sur l’unité de la fédération canadienne. Enfin, sur le plan épistémologique, un aspect fondamental de la science politique considère qu’il ne peut exister de souveraineté sans légitimité. Ce qui fait défaut à un État subétatique.

Cependant, au sujet des relations internationales du Québec, l’auteur rappelle que, souvent, trois thèses s’affrontent : la thèse souverainiste, la thèse fédéraliste et la doctrine Gérin-Lajoie. La thèse souverainiste postule qu’il faut un Québec souverain comme État indépendant pour être un vrai acteur des relations internationales. La thèse fédéraliste, elle, met l’accent sur la nécessité de l’uniformité de la politique étrangère canadienne conduite par le gouvernement fédéral. La « doctrine Paul Gérin-Lajoie », appelée aussi thèse québécoise, suggère que le Québec peut prolonger sur le plan international ses champs de compétences constitutionnelles. Cette dernière est la thèse dominante selon l’auteur.

À la place de ces trois thèses, Payette apporte sa contribution et propose le concept de « paradiplomatie identitaire ». C’est l’élaboration d’une politique étrangère au niveau subétatique. Elle relève des Low Politics (économie, commerce, social, environnement, droit de la personne) et non des High Politics (questions de sécurité, cultures stratégiques, ententes de coopération militaire). Or, deux courants s’affrontent dans l’école de la paradiplomatie identitaire. Le premier courant soutient que la structuration d’une paradiplomatie identitaire peut améliorer la politique étrangère des États-nations. Le deuxième courant de la paradiplomatie identitaire soutient que le développement des relations internationales sur le plan subétatique peut être source de tension et synonyme de lutte de pouvoir. L’auteur souscrit à ce deuxième courant et postule deux hypothèses : d’abord, la doctrine Paul Gérin-Lajoie empêche le Québec de se doter d’une politique étrangère ; ensuite, la paradiplomatie identitaire permettrait au Québec d’avoir une vraie politique étrangère sans ingérence d’Ottawa.

Pourtant, même la doctrine Paul Gérin-Lajoie a connu quelques difficultés et a créé des tensions entre Ottawa et quelques pays étrangers. Pensons au Gabon, par exemple, qui avait invité le Québec en 1968 à participer à une conférence internationale portant sur l’éducation. Le gouvernement du Canada rompra ses relations diplomatiques avec ce pays. Aussi en janvier 1969, lorsque le Québec signa une entente avec la France sur l’utilisation de satellites français de télécommunication, Ottawa déclara cette entente sans valeur. Mais la doctrine Paul Gérin-Lajoie ce sont aussi les échanges économiques avec les autres pays, notamment les États-Unis dont le Québec est le sixième partenaire commercial (86 % du commerce international du Québec en 2001 s’est fait avec ce pays). La francophonie a aussi été un champ de bataille entre le Québec et le gouvernement fédéral. Selon la charte de l’Agence de coopération culturelle et technique (acct) devenue l’Organisation internationale de la francophonie (oif), plusieurs fois modifiée en son article 3 alinéa 3, « … le statut international du Québec demeure donc bien encadré par l’État membre canadien et ne peut être vraiment opérationnel sans un minimum de concertation entre les gouvernements d’Ottawa et de Québec ». Ainsi, selon l’auteur, même l’entente conclue en mai 2006 entre le Québec et le gouvernement fédéral sur la participation du Québec dans la délégation canadienne à l’unesco n’est en fait qu’une habile stratégie politique pensée par le gouvernement de cette fédération à l’intention des citoyens québécois.

Le mérite du livre de Jean-François Payette est de s’interroger sur le concept de paradiplomatie identitaire et sur ses conditions de possibilité dans le contexte québécois pour asseoir une vraie politique extérieure. On aurait aimé plus de détails et de développements sur des cas comparables comme celui de la Flandre en Belgique et de la Catalogne en Espagne. Mais le talon d’Achille de ce concept de paradiplomatie identitaire est de savoir comment un État fédéré comme le Québec dans une structure fédérale comme le Canada peut bâtir une politique extérieure sans l’ingérence de l’entité fédérale. C’est un très bon livre qui, malgré quelques développements théoriques assez poussés, se lit facilement et peut intéresser à la fois les spécialistes des relations internationales et un public plus large de non-initiés qui veulent en savoir davantage sur les entités infraétatiques parties prenantes de la vie internationale.