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Pour le 25e anniversaire de la série de monographies Canada Among Nations, une référence annuelle prestigieuse et incontournable en politique étrangère canadienne, le professeur Fen Osler Hampon et l’ancien diplomate Paul Heinbecker dirigent un ensemble de contributeurs avec l’objectif, certes vague, de cerner l’image, les politiques et les défis nouveaux du Canada sur la scène internationale. À l’instar de tout ouvrage collectif, l’édition 2009-2010 ne se distingue pas par son fil conducteur, d’autant plus qu’elle réunit pas moins de 44 contributeurs !

Avec une telle variété d’auteurs et de thèmes, l’ouvrage a pour principal mérite d’effectuer un tour d’horizon de l’ensemble des principaux enjeux touchant les relations extérieures canadiennes. En ce sens, il permet au spécialiste tout autant qu’à l’étudiant de comprendre la diversité et la complexité de la politique internationale canadienne, notamment au lendemain de la crise financière de 2008 et de la prise de pouvoir du président Obama.

Une seconde force qui distingue cette 25e édition est certainement la place accordée aux praticiens de renommée internationale. On y trouve des contributions, par exemple, de Lakhdar Brahimi, Angel Gurria et Kenneth Roth, ce qui fait de l’ouvrage une source inestimable d’informations de première main. Prenant, pour la très grande majorité, la forme d’essai, les contributions réunies dans cet ouvrage offrent ainsi des regards hautement informés et incisifs qui intéresseront un large public, mais qui pourraient, en contrepartie, décevoir un lectorat s’attendant à de véritables analyses des politiques internationales canadiennes.

Compte tenu de la quantité d’idées présentées dans cet ouvrage, il est neces-saire de mettre l’accent sur les quelques débats d’idées qui s’y retrouvent, lesquels constituent la troisième force de ce livre. Le thème des relations canado- américaines se démarque du fait que la majorité des auteurs s’entendent sur l’idée qu’il s’agit de la première – et de loin la plus centrale – des priorités canadiennes, en ce qu’elle influe sur l’ensemble de son action internationale, quels que soient la région ou le domaine. Plus encore, les auteurs s’attaquent à deux enjeux d’actualité : 1) l’approche continentaliste canadienne, qui met l’accent sur la nécessité d’affirmer la puissance majeure du Canada auprès de Washington afin de gagner en crédibilité internationale ; et 2) la préférence canadienne pour le bilatéralisme, au détriment d’un trilatéralisme incluant le Mexique, dans la gestion des affaires nord-américaines.

John Manley et Gordon Griffin insistent sur la nécessité qu’Ottawa prenne en main le leadership de ce qu’ils nomment le « bilatéralisme trilatéral », de manière à proposer des solutions concrètes et ambitieuses, voire audacieuses, à Washington. Cette approche est remise en question par Andrès Rozental, qui s’interroge sur l’absence de bénéfices nets pour le Canada d’avoir adopté une telle approche bilatérale, au détriment d’un véritable trilatéralisme. Pour Robert Pastor, s’il n’est pas certain que le trilatéralisme permette au Canada de tirer de plus grands bénéfices qu’avec le bilatéralisme, il apparaît néanmoins impossible que l’approche trilatérale soit aussi peu efficace que l’approche bilatérale actuelle. Quant à Robert Wolfe, il estime que la tâche immédiate à laquelle doit se livrer le Canada – l’édification de structures institutionnelles et régulatrices permettant de prévenir l’adoption de mesures protectionnistes – doit s’effectuer pour l’essentiel sans fanfare ni trompettes, c’est-à-dire par une diplomatie de corridors plutôt que par des initiatives téméraires.

Quant au débat entre continentalisme et multilatéralisme, Derek Burney et Michael Kergin abondent dans le même sens : il est impératif que le gouvernement canadien adopte une approche plus mature vis-à-vis des États-Unis, laissant de côté cette tendance à définir le pays comme « non américain », pour plutôt s’affirmer pleinement comme un allié loyal et crédible. Il s’agit là d’une condition nécessaire afin que le Canada puisse espérer exercer une certaine influence internationale, particulièrement en cette ère de dévolution de la puissance relative. La proximité avec les États-Unis est ainsi considérée comme une source de pouvoir, et non de faiblesse ; elle requiert de la part d’Ottawa davantage de leadership et de vision afin de tirer le maximum de la relation asymétrique avec le voisin du sud.

De la même manière, mais sur un plan multilatéral, une série d’auteurs constatent l’absence de vision innovatrice de la part du gouvernement Harper sur la scène internationale. Comment le Canada peut-il « rejoindre » le monde ? C’est ce que se demande Carolyn McAskie, laissant sous-entendre qu’il l’a désormais délaissé. Si McAskie recommande au Canada d’augmenter l’aide publique au développement et d’adopter une politique préventive et multidimensionnelle envers les États en faillite, d’autres estiment que le regain de crédibilité internationale passe par ses relations avec les puissances émergentes (Russie, Chine, Inde), notamment par l’entremise de la nouvelle structure de gouvernance mondiale que représente le G20.

D’autres encore exposent avec perspicacité l’absence d’engagement canadien en Afrique, d’initiatives en matière de droits de la personne ou, encore, de prises de position à l’égard des enjeux de l’heure que sont le désarmement nucléaire, la libéralisation du commerce à l’échelle mondiale et les changements climatiques. Alors que certains, dont Nicholas Bayne et Gordon Smith, estiment que la solution passe par le développement d’une diplomatie de niche, d’autres, comme Jayantha Dhanapala et Jeremy Kinsman, jugent plutôt que le Canada doit reprendre son rôle d’entremetteur, c’est-à-dire de leader qui contribue à ériger des ponts plutôt que des barrières entre les pays.

En dernière analyse, les contributeurs à la 25e édition de Canada Among Nations émettent un double constat : ils déplorent le manque de leadership canadien, de même que les carences en matière de politiques innovatrices qui en résultent. Ils formulent tous, en revanche, des recommandations qui pourraient permettre, si elles étaient entendues, de résorber la situation.