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Spécialiste belge des relations internationales ayant eu une longue expérience au sein de l’Institut royal supérieur de défense (irri), devenu l’Egmont Institute, et ex-expert de l’ue à travers le programme Tacis, Romain Yakemtchouk nous revient avec un ouvrage sur un sujet très peu abordé, à savoir les relations particulières entre la Belgique et son grand voisin du sud.

L’ouvrage est structuré en 13 chapitres assez inégaux en taille et en contenu. Il aborde successivement les leçons de l’histoire depuis le Moyen Âge, avec les visées de la France sur la domination de la Belgique ; la rencontre des cultures française et flamande ; la Grande Guerre et la paix de Versailles ; la coopération franco-belge et ses ambiguïtés dans l’entre-deux-guerres ; les effets de la Seconde Guerre mondiale ; les relations entre la Belgique et l’Hexagone après celle-ci ; la construction partagée de l’Europe ; la coopération et les rivalités en Afrique ; les relations franco-belges après le départ du général de Gaulle ; les relations bilatérales sous le roi Albert II ; l’impact du conflit communautaire en Belgique sur les relations franco-belges ; la pénétration des intérêts français dans l’économie et, enfin, l’avenir de l’État belge.

Enrichi d’un index mais sans bibliographie, cet ouvrage est d’une lecture facile et souvent descriptive. Sa richesse se situe principalement dans les chapitres les plus historiques, où l’auteur s’appuie sur les archives nationales et diplomatiques. Ce n’est pas le cas par la suite, et les derniers chapitres ignorent par exemple superbement les auteurs spécialisés en matière de pesd qui professent dans l’Hexagone et dans le Royaume. En outre, 218 pages sur 301 traitent des matières d’avant 1969, ce qui en fait plus un manuel d’histoire qu’un ouvrage d’analyse politique sur les dernières décennies où la matière est pourtant des plus fécondes et les interrogations plurielles. Qu’il s’agisse des missiles nucléaires Pluton tournés également vers le sud de la Belgique, de l’influence du groupe des Quatre sur la Convention et sur les aspects défense du traité constitutionnel ou du jeu franco-belge à travers l’ueo et sa réactivation dans les années 1980, l’ouvrage n’en dit mot. La richesse de la matière dans ses aspects diplomatiques, économiques, monétaires, historiques, culturels aurait valu de rédiger plusieurs tomes. La synthèse présentée ici reste déséquilibrée et partisane dans le choix d’approfondir ou non certains aspects de cette histoire.

Reste que ce livre est plaisant à lire et qu’il remet l’histoire belge dans une perspective relationnelle, d’influence, d’instrumentalisation et de pénétration française dans le Royaume de Belgique. Le sous-titre « Amitiés et rivalités » exprime parfaitement cette relation ambivalente entre les deux États, dont l’un est dix-huit fois plus grand que l’autre. En effet, l’attachement fidèle à la neutralité provoqua par moments des tensions avec le voisin français, dès l’instant où certaines décisions belges en matière ferroviaire dans l’est du pays avaient été perçues comme une menace en cas d’invasion allemande. Ce fut également le cas à propos des lenteurs belges à ouvrir ses frontières aux troupes françaises en 1914. Les problèmes linguistiques – déjà bien présents à l’époque – provoquèrent des tensions entre nationalistes flamands (« les frontistes ») et ceux qui soutenaient la culture hexagonale. Dans les années 1920, il y eut plusieurs accords de coopération franco-belge (militaire, occupation de la Ruhr, accords commerciaux) qui n’empêchèrent aucunement la Belgique de poursuivre « le jeu traditionnel de balance entre Paris et Londres, cher à la diplomatie belge » (Jeannesson). L’obsession belge a toujours été le maintien de la souveraineté nationale, nonobstant le fait que le Royaume était vulnérable à toute agression territoriale au vu de la relativité de ses forces. Malgré un retour à la neutralité sur fond de pressions régionalistes flamandes catégoriquement opposées à toute alliance militaire préventive franco-belge et la persistance générale d’une volonté d’interdire tout droit de passage, l’invasion militaire allemande eut lieu. Les derniers mois la précédant furent ceux de tensions et d’ambiguïtés sur la politique de défense de la Belgique face à… la France qui ne put organiser la défense à partir du Royaume. Durant la guerre froide, le relationnel belgo-français fut aussi quelque peu perturbé par la différence de perception de la force nucléaire indépendante française. Reste que Paris et Bruxelles furent de précieux aiguillons dans la construction économique (marché commun) puis politique de l’Europe et dans le soutien à une certaine autonomie en matière de défense. Le balancement est cependant resté constant avec des divergences autour de la politique agricole commune, l’adhésion de la Grande-Bretagne, le siège des institutions européennes, la perception autour d’un directoire franco-allemand. Les caractéristiques spécifiques des deux États (République/Royaume), les aspects communautaires, les conceptions différentes sur le fédéralisme européen et sur la supranationalité peuvent en grande partie expliquer ces escarmouches entre voisins. Les différences de taille, d’ambition et d’histoire ont amené divergences et rivalités, sans que celles-ci aboutissent à des ruptures majeures. Il y eut néanmoins des situations difficiles, comme à propos de l’Afrique (Algérie, Congo, Rwanda) aux dossiers délicats.

Au moment où la Belgique vit une crise existentielle majeure sur fond de tensions communautaires, l’ouvrage de Romain Yakemtchouk permet de replacer l’histoire du pays dans un espace élargi, pour un Royaume que le grand voisin observe de très près.