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Cet ouvrage examine l’implication des États-Unis en Afrique et retrace les circonstances de la création de l’organisation francophone dans le contexte international de celui de la guerre froide. L’auteure s’inscrit à l’encontre des idées reçues sur l’Afrique comme étant une grande oubliée de la politique étrangère américaine. Elle entreprend une revue des faits diplomatiques ayant mené à la création de l’organisation francophone en prenant comme point de départ la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui retient le plus l’attention dans ses premiers chapitres, c’est l’accent mis sur l’arrivée de Kennedy au pouvoir en 1961, qui donne une nouvelle impulsion aux relations afro-américaines, notamment sur les plans sécuritaire, économique et commercial. Tout événement qui se déroule en Afrique interpelle les Noirs américains dont le poids électoral est activement recherché par le gouvernement Kennedy. Ce dernier accroît sa popularité auprès de la population noire des États-Unis, en créant des organismes et centres de recherche africains, agissant dans le domaine éducatif et social.

Le travail de Lefèvre dans ses premiers chapitres consiste à montrer comment Washington articule sa politique étrangère en fonction de sa politique intérieure, en mettant l’accent sur les liens historiques entre la communauté noire américaine et l’Afrique. Ainsi, dans le chapitre 4, l’auteure traite des facteurs, formes et limites de l’aide américaine. On comprend mieux, à l’issue de ce chapitre, la politique américaine à « géométrie variable » en Afrique francophone. Il s’agit d’une politique qui oscille selon un mouvement de balancier permanent à Washington : un « désengagement engagé », oxymore qui traduit la détermination américaine de ne jamais laisser dériver aucun pays africain loin de son orbite. C’est ainsi que Lefèvre présente la double préoccupation des États-Unis de veiller constamment sur les pays qui pourraient être sous influence communiste (Guinée) ou qui seraient sans tuteur légal (rdc) et sur ceux qui auraient des intérêts économiques et stratégiques confluents (Côte d’Ivoire, Tunisie, Sénégal). L’auteure recense ainsi deux volets des relations entre les États-Unis et les pays d’Afrique francophone caractérisées par le maintien de liens diplomatiques assurant la visibilité de ces pays sur le plan international et une assistance économique, technique et militaire ; les États bénéficiaires devant répondre à certains critères pour bénéficier de cette assistance, notamment une stabilité politique et des relations amicales avec les États-Unis.

L’ouvrage nous renseigne aussi sur les choix stratégiques des États-Unis, inhérents au contexte politique de l’époque qui incitait Washington à considérer l’Afrique avant tout comme un pré carré occidental afin de privilégier les anciennes puissances coloniales comme la France « allié irremplaçable mais encombrant ». Ainsi, dans son chapitre 6 consacré aux relations entre les États-Unis et la France en Afrique francophone, Lefèvre nous explique comment les États-Unis partagent la même vision idéologique que la France malgré des intérêts divergents et concurrents, notamment sur le plan économique et commercial. Au début des années 1970, de Gaulle et Nixon ont le même objectif : le renforcement des relations franco-américaines. Les États-Unis considèrent alors que la France doit conserver son statut de puissance régionale, notamment dans l’assistance et l’aide au développement, alors qu’eux doivent se cantonner dans un rôle complémentaire de soutien à l’assistance multilatérale et à l’investissement privé. La création du premier organisme de la francophonie (acct) s’inscrit en droite ligne de cet objectif : ancrer les pays d’Afrique francophone dans le camp occidental et profiter de leurs ressources primaires.

Si les deux premières parties de l’ouvrage sont consacrées à la nature et aux enjeux politiques justifiant l’action des États-Unis en Afrique francophone, les deux dernières dépeignent le contexte historique concourant à la création de l’espace francophone et insistant sur le rôle des États-Unis dans cet espace. L’auteure y retrace les événements historiques ayant mené à la création de l’organisation intergouvernementale de la francophonie. Cette organisation permet à la France d’y conforter son influence culturelle et politique dès le début, mais elle octroie aux pays africains la possibilité d’intégrer une structure multilatérale et d’avoir ainsi accès à de nouveaux partenaires économiques. Pour les États-Unis, soucieux de conserver leurs intérêts en Afrique, la stratégie sera d’offrir à la France un appui culturel et technique, tout en s’alliant avec le Canada, nouvel acteur de la scène francophone et leur plus proche interlocuteur politique et économique.

En posant un regard neuf sur la francophonie, en montrant le rôle insoupçonné et l’intérêt grandissant des États-Unis pour l’institution francophone, Marine Lefèvre réussit à élargir l’espace des relations de la France-Afrique en incluant également l’importance du rôle du Canada dans l’organisation. La francophonie constitue une sorte de prolongement d’application de la politique générale des États-Unis à l’égard de l’Afrique francophone. L’ouvrage de Lefèvre est original à plus d’un titre, mais d’abord par sa grande diversité bibliographique : l’auteure associe études de cas, ouvrages généraux sur l’Afrique, sur la politique étrangère des États-Unis et documents officiels, archives, notes verbales et écrites des gouvernements américain, français et canadien pour renforcer son argumentaire historique. Si l’on peut justement déplorer une analyse trop souvent sériée par des faits historiques, on comprend à la lumière de son étude que l’auteure cherche à traduire le contexte géostratégique de la francophonie à travers les préoccupations de Washington. C’est réellement cet aspect qui confère toute son originalité à cet ouvrage qui a le mérite d’aborder la question francophone en privilégiant un panorama d’une histoire souvent méconnue sur l’Afrique francophone : celle qui relate une décennie de relations dans les arcanes de la diplomatie américaine.