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Cet ouvrage collectif s’inscrit à la suite d’une quarantaine d’autres contributions à la collection The International Political Economy of New Regionalisms. Composé de dix-sept contributions rédigées par un groupe interdisciplinaire de chercheurs, le livre est encadré par de solides chapitres introductif et conclusif rédigés par De Lombaerde et Schulz. Ces derniers constatent qu’il existe une abondante littérature sur les déterminants de l’intégration régionale et sur les processus de régionalisation, mais ils observent en revanche que peu d’études ont été consacrées aux modalités par lesquelles une région donnée peut contribuer à l’intégration d’une autre région. En l’espèce, le livre vise à évaluer l’impact de l’Union européenne sur les processus régionaux d’intégrations dans différentes parties du monde. En effet, l’ue ne constitue pas seulement un modèle d’intégration susceptible d’inspirer d’autres ensembles régionaux. Il s’agit en outre d’un acteur politique dont l’action sur la scène internationale est marquée par la volonté de promouvoir les intégrations régionales. Dès lors, les auteurs de The eu and World Regionalism comparent quinze processus d’intégration en posant deux questions centrales : 1) les projets régionaux d’intégration peuvent-ils être influencés de façon significative par l’ue ? ; 2) le processus d’intégration régionale procède-t-il de facteurs endogènes ou résulte-t-il de l’action de l’ue ?

L’approche choisie par l’ouvrage diffère dès lors de la plupart des études antérieures sur le sujet. En effet, au-delà de leurs spécificités respectives, les théories fonctionnaliste, néofonctionnaliste, institutionnaliste, constructiviste ou encore néo-régionaliste privilégient les déterminants intrarégionaux des processus d’intégration, au contraire de l’étude coordonnée par De Lombaerde et Schulz qui s’intéresse quant à elle aux influences extrarégionales.

À la suite du chapitre introductif, la contribution de Giulia Pietrangeli permet d’emblée de valider certaines intuitions. Une comparaison des politiques menées par l’ue en appui aux processus régionaux d’intégration met en évidence des composantes récurrentes, telles que l’encouragement au dialogue politique, la coopération économique et la promotion du libre-échange interrégional. De la même façon, l’ue n’hésite pas à soutenir de concert plusieurs niveaux d’intégration (régional et subrégional), considérant que ceux-ci vont se renforcer mutuellement. La conclusion de l’examen systématique des stratégies interrégionales de l’ue ne surprend guère : la coopération économique et la promotion des échanges commerciaux sont les principaux instruments mobilisés par l’ue pour soutenir les processus d’intégration dans le monde.

Ainsi que le laisse entendre le sous-titre de l’ouvrage, un autre concept central discuté par l’ouvrage est celui de « faisabilité » (makability) des régions. Ce concept s’efforce de rendre compte de l’influence des facteurs extrarégionaux dans les processus d’intégration, mais son contour demeure inabouti, notamment parce qu’il peut aussi être vu comme une initiative de l’ue pour promouvoir son propre modèle d’intégration en fonction de ses intérêts politiques et économiques. Sur ce point précis, l’ouvrage ne propose pas d’avancée décisive et l’usage du concept de makability of regions demeure problématique dans ce champ de recherche.

L’une des caractéristiques du livre consiste dans l’hétérogénéité des chapitres en matière d’approches et de perspectives théoriques. Certains chapitres se contentent d’une approche strictement descriptive, sans option théorique précise. D’autres s’inscrivent de façon explicite dans la perspective constructiviste. D’autres encore empruntent des voies qui les conduisent aux marges de la science politique. Ainsi le chapitre rédigé par Rosalba Icaza Garza sur l’Accord de libre-échange nord-américain (aléna) adopte-t-il une approche qui relève de l’économie politique internationale critique. Ce faisant, le régionalisme de l’ue est d’abord considéré comme un projet politique contesté qui incorpore des idées, des identités et des idéologies ainsi que les politiques qui en résultent. Une telle approche éclaire certes le cas de l’aléna sous un jour peu habituel, mais l’articulation de ce chapitre avec l’ensemble de l’étude est ténue.

Nul doute que certains lecteurs considéreront ce patchwork théorique comme une richesse et que d’autres regretteront qu’une telle diversité nuise à la cohérence de l’ensemble et à la possibilité de comparer les différentes études de cas entre elles.

Les conclusions de l’ouvrage reflètent l’hétérogénéité mentionnée plus haut. Une grande variété de facteurs – intérêts économiques et commerciaux, considérations stratégiques, structures bureaucratiques – semblent concourir à l’orientation des politiques menées par l’ue envers les autres entités régionales. De surcroît, l’étude des perceptions des États et régions récipiendaires des politiques de l’ue semble indiquer que celle-ci est avant tout motivée par ses intérêts économiques. Au total, toutefois, le livre parvient à montrer une influence réelle de l’ue sur les processus d’intégration des régions avec lesquelles elle interagit. Objectif atteint, donc, pour cet ouvrage qui constitue un jalon important dans un champ de recherche encore peu exploré.