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Depuis le milieu des années 1990, l’Afrique connaît d’importants changements politiques sur le plan continental. L’Organisation de l’Unité africaine (oua), avec ses principes de non-ingérence et de souveraineté territoriale, s’est ainsi vue remplacée par une nouvelle organisation régionale, l’Union africaine (ua). Plusieurs facteurs ont précipité ce changement, au premier rang desquels figurent la fin de la guerre froide ; la multiplication et l’aggravation de conflits internes sur le continent ; l’incapacité de la communauté internationale à résoudre les conflits africains (Rwanda, Somalie…) et son éventuel retrait desdits conflits ; et la perte de crédibilité de l’oua aux yeux des populations locales.

Ces différents facteurs ont ainsi rendu l’oua obsolète et ont préparé le terrain pour une nouvelle organisation basée sur d’autres principes et dotée d’un mandat plus ambitieux. L’ua, dont l’acte constitutif a été signé en 2000 à Durban (Afrique du Sud), a donc remplacé l’oua en juillet 2002. Bien que reprenant certains des principes cardinaux de l’oua, l’ua se reconnaît un droit d’ingérence dans ses pays membres dans les cas extrêmes que sont les crimes de guerre, les génocides et les crimes contre l’humanité. Se donnant explicitement pour mission de promouvoir la paix, la sécurité, l’état de droit, la bonne gouvernance et la démocratie, tout en protégeant les droits humains, l’ua s’est progressivement dotée d’un cadre légal qui jette les bases d’institutions ayant pour but de prévenir, gérer et résoudre les crises internationales ou domestiques (à cet égard, l’entrée en vigueur du Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité, en décembre 2003, marque une date charnière). Censée être totalement en place depuis 2010, l’opérationnalisation de cette ambitieuse Architecture africaine de paix et de sécurité (aaps ou apsa en anglais) tarde cependant à se matérialiser malgré un nombre impressionnant d’avancées.

Africa’s New Peace and Security Architecture. Promoting Norms, Institutionalizing Solutions est un ouvrage collectif, réalisé sous la direction d’Ulf Engel (Université de Leipzig) et de João Gomes Porto (Université de Bradford), qui regroupe les contributions d’une douzaine de chercheurs et praticiens, dont plusieurs sont (ou ont été) impliqués dans la mise en place de l’apsa. L’objectif de l’ouvrage, tel qu’il est énoncé dans l’introduction, est d’analyser l’évolution de la mise en oeuvre des éléments de cette nouvelle architecture continentale de paix et de sécurité, tout en soulignant les défis venant freiner l’émergence de ce que les auteurs estiment être un régime de sécurité (security regime) en devenir.

Cette monographie constitue, par son accessibilité et sa concision, une bonne introduction à l’apsa pour les étudiants que le sujet intéresse. Les chapitres 4 à 7, qui représentent le noyau du livre, brossent ainsi un portrait satisfaisant de quatre piliers de l’apsa, à savoir le Conseil de paix et de sécurité, le Panel des sages, le système d’alerte précoce et la Force africaine en attente (faa). Le fonctionnement de chacun d’entre eux, leur évolution, leur bilan et les défis auxquels ils doivent faire face sont examinés en détail.

Les autres chapitres du livre incluent notamment une mise en contexte historique permettant de mieux comprendre l’établissement de l’ua et de l’apsa, de même qu’une présentation des différentes organisations sous-régionales jouant un rôle au sein de l’Architecture africaine de paix et de sécurité. Le dernier chapitre, intitulé « The African Peace and Security Architecture. An Evolving Security Regime ? », donne une orientation théorique intéressante à cet ouvrage. Il étudie l’institutionnalisation des normes et principes sous-jacents à l’apsa et émet l’idée que l’internalisation de ces normes par les fonctionnaires de l’ua travaillant sur les questions de paix et de sécurité faciliterait l’émergence d’une communauté épistémique qui serait en retour à même de renforcer les bases et les avancées de l’apsa et de faciliter l’établissement d’un régime de sécurité (security regime) efficace et durable en Afrique.

Si Africa’s New Peace and Security Architecture. Promoting Norms, Institutionalizing Solutions représente un ouvrage solide et intéressant, il n’est toutefois pas exempt de défauts. Ainsi, il est fâcheux que le cinquième pilier de l’apsa, le Fonds pour la paix, ne soit que brièvement mentionné sans faire, lui aussi, l’objet d’un chapitre. Il aurait pourtant été intéressant d’en exposer le fonctionnement et d’en explorer les limites. Le financement de l’ua et de l’apsa sont des sujets d’autant plus importants que les récents événements en Égypte et en Libye (qui fournissaient jusqu’à tout récemment 30 % du budget de l’ua) pourraient avoir à court terme un impact très concret sur la capacité de l’Afrique à prévenir, gérer et résoudre ses crises.

Autre petit bémol à apporter, le dernier chapitre du livre, qui appelle de ses voeux la formation d’une communauté épistémique devant faciliter l’émergence d’un régime de sécurité en Afrique, fait abstraction de la possible instrumentalisation et de l’éventuel détournement, par de simples fonctionnaires ou bien par des chefs d’État, de l’esprit et des principes sous-jacents à l’apsa. En dépit de ce travers, l’approche constructiviste adoptée par l’ouvrage ouvre plusieurs pistes de recherche intéressantes et relativement peu explorées.

Enfin, dernier constat valant la peine d’être relevé : l’apsa étant un objet d’étude en pleine évolution, et les délais inhérents aux processus d’édition, de publication, d’impression et de distribution d’une monographie universitaire étant ce qu’ils sont, le contenu de Africa’s New Peace and Security Architecture. Promoting Norms, Institutionalizing Solutions est déjà quelque peu dépassé sur certains points, notamment sur l’opérationnalisation de la Force africaine en attente (faa). Le chercheur avisé aura donc à coeur de compléter sa lecture par un rapide tour d’horizon du sujet sur Internet afin de prendre connaissance des derniers développements de l’apsa, notamment en ce qui concerne les communautés économiques régionales.