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Sur le plan épistémologique, il est constant que l’on ne puisse envisager une discipline scientifique sans une question canonique connotant un enjeu de connaissance et une problématique d’interrogation de la réalité. C’est ainsi que l’on peut valablement prétendre que la sociologie politique est difficilement compréhensible indépendamment de la question classique « qui gouverne ? » ; question permettant de poser la sociologie politique comme un tour d’horizon de la société qui accorde une importance particulière aux multiples formes de déclinaison du rapport d’inégalité entre les volontés. Ici et maintenant, l’enjeu est celui du sort épistémique de la question « qui gouverne ? » dans les relations internationales. Sur ce territoire épistémique, les habitudes de pensée ont établi un lien entre la question « qui gouverne ? » et le thème de la puissance ; ici, la puissance est aux relations internationales ce que le pouvoir est à la sociologie politique. Dès lors, la réponse à la question « qui gouverne ? » est dominée par l’école réaliste portée vers l’inventaire des ressources de la puissance, vers leur distribution inégale entre États et leur mobilisation en vue de l’augmentation des chances de faire triompher sa volonté. L’ouvrage Who Governs the Globe ? procède à une rupture épistémologique. Certes, la question est la même : « Qui gouverne ? » Le niveau d’observation est cependant distinct, à savoir le global : « Qui gouverne le globe ? » Jusqu’à présent, la question « qui gouverne ? » était dominée par une perspective interétatique des relations internationales, les États étant considérés comme les acteurs exclusifs, les détenteurs du dernier mot. Sous l’impulsion de Deborah D. Avant, Martha Finnemore et Susan K. Sell, il s’agit de poser la question « qui gouverne ? » et d’y répondre par rapport au global, c’est-à-dire à un niveau d’observation qui intègre et dépasse les États, sans préjudice de la prise en considération des interactions micro-macro ; dans une perspective globale, les États, comme l’affirment les directeurs de l’ouvrage, cohabitent avec une variété d’acteurs, notamment les organisations internationales, les firmes multinationales, les associations professionnelles. En d’autres termes, on passe de la « simplification » étatique des relations internationales à leur « complexification » globale du fait des origines diverses des acteurs. Ainsi, le premier mérite de l’ouvrage est de procéder à un renouvellement épistémologique de la question « qui gouverne ? » dans les relations internationales. Le monopole réaliste de la question est remis en cause et il en découle un gain de connaissance de la gouvernance globale.

Né d’une frustration liée au peu d’importance accordé à la diversité et à la créativité de la gouvernance globale, en raison de l’enfermement des théories traditionnelles dans la prison conceptuelle de l’intergouvernementalisme, l’ouvrage collectif dirigé par Deborah D. Avant, Martha Finnemore et Susan K. Sell est fondé sur une inter-action dynamique entre onze chapitres. Divers objets sont analysés, notamment la gouvernance du système de justice pénale internationale, le positionnement comme gouverneur global de l’International Organization for Standardization (iso), la coopération dans les zones de conflit, l’autonomisation des représentants des États dans les organisations internationales, l’autorité au sein de l’Union européenne, la mobilisation autour des armes légères, l’externalisation de l’autorité par le biais des contrats avec les acteurs du secteur privé, les objectifs du Millénaire pour le développement, le contrôle des normes dans le domaine de la technologie électrique et électronique ou encore l’éducation pour tous. Autant d’objets et de thèmes à partir desquels la gouvernance globale est appréhendée de manière concrète ; mieux, au-delà de la gouvernance globale, ce qui est analysé, c’est l’action des gouverneurs globaux, c’est-à-dire des autorités qui exercent le pouvoir par delà les frontières des États, qui élaborent des plans d’action, qui établissent et mettent en oeuvre des programmes. En choisissant de rendre compte des gouverneurs globaux concrets et singuliers, les auteurs de l’ouvrage rompent avec l’approche totalisante de la gouvernance globale, qui fournit des idées générales. Or, par l’intermédiaire des gouverneurs globaux que sont, notamment, soit les dirigeants des organisations intergouvernementales ou supranationales telles que le fmi et l’Union européenne, soit les dirigeants des organisations non gouvernementales telles que l’International Organization for Standardization (iso), il devient possible de cesser de lustrer le concept de gouvernance globale et d’illustrer les gouverneurs globaux à travers leurs origines, leurs actions, les effets de leurs actions, les échanges avec leurs environnements respectifs ou encore les moyens mobilisés pour atteindre leurs objectifs. Il en découle une lecture nuancée des gouverneurs globaux dont les conditions d’apparition, d’évolution du rôle varient d’un cas à l’autre dans un contexte fait de tensions et de synergie. Ainsi, la gouvernance globale renvoie à un milieu protéiforme et dynamique dont les principaux acteurs, les gouverneurs globaux, entretiennent entre eux des relations de coopération ou de conflit dans des circonstances particulières. Bref, c’est un milieu politique comme un autre en dépit de ses spécificités entraînant une appréhension particulière de la légitimité et de la responsabilité des dirigeants.

Au total, l’ouvrage collectif dirigé par Deborah D. Avant, Martha Finnemore et Susan K. Sell tient sa promesse de renouvellement de la réflexion ; est remarquable sa contribution à la saisie de la multiplicité des autorités dans la politique globale, des fondations micro du champ politique global, des processus dynamiques de l’action des gouverneurs globaux. Il reste, cependant, que l’option de Deborah D. Avant, Martha Finnemore et Susan K. Sell en faveur des gouverneurs globaux aurait été enrichie par une approche biographique pour davantage les individualiser et échapper aux pièges du structuralisme et du fonctionnalisme : les gouverneurs globaux ont une histoire personnelle et locale qui détermine en partie la manière dont ils accomplissent leurs missions.