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Codirigé par William Easterly, économiste du développement dont une publication (Le fardeau de l’homme blanc. L’échec des politiques occidentales d’aide aux pays pauvres), parue en 2006, avait provoqué une large polémique, ce nouvel ouvrage collectif ambitieusement intitulé « Ce qui fonctionne dans le développement » entend confronter deux échelles de réflexion traditionnellement opposées dans la littérature sur le développement, la globale et la locale.

Six études de cas sont, dès lors, successivement présentées, chacune contribuant à alimenter sinon la réflexion, du moins le débat. Toutes font l’objet d’une brève discussion par deux autres théoriciens ou praticiens du développement, suivant en cela le canevas de la conférence, tenue en 2008, dont cette publication constitue les actes.

Écrit selon une structure même de discussion et de débat, l’ouvrage a l’avantage de mettre en opposition des perspectives différentes et offre ainsi au lecteur de pouvoir approcher la réalité de l’échelle des politiques de développement de manière comparée. Peut-être est-ce là un moyen pour Easterly de réagir à l’image qui lui est associée depuis la publication de son dernier ouvrage, celle d’un économiste désabusé de l’aide au développement, qui ne croit ni en sa pertinence, ni en son efficacité. De fait, le titre de la présente publication laisse penser qu’au contraire de cette position radicale qui a, à la fois, fait des émules (Dambisa Moyo et son ouvrage bien connu sur L’aide fatale) et suscité de virulentes critiques (par des personnalités telles que Amartya Sen ou Jeffrey Sachs), la ligne suivie ici est plus optimiste, l’analyse à un niveau plus local devant laisser davantage d’espace aux expériences positives d’aide au développement. La lecture de l’ouvrage ne répond pourtant pas à cette promesse.

Rédigé par des macro-économistes (19 des 20 contributeurs sont des profes-sionnels de l’économie, des affaires et de la finance, pour l’immense majorité issus des institutions financières internationales ou des établissements universitaires situés dans la région de Boston aux États-Unis), l’ouvrage semble en effet également rédigé à destination quasi exclusive de ces spécialistes. Il est d’ailleurs remarquable qu’aucun des auteurs ne se voie décrit autrement que par son rattachement institutionnel, aucune biographie, aussi succincte soit-elle, n’étant proposée au lecteur non averti. Le seul point de débat finalement abordé, et il est d’importance, est celui de l’échelle de mesure, par le recours à des indicateurs statistiques, de l’impact des initiatives d’aide au développement sur la croissance économique. C’est ainsi que la méthodologie relativement récente, et qui tend en tout cas à se répandre, des Randomized Evaluations, ou évaluations faisant appel à l’assignation aléatoire des groupes témoins, de même que sa pertinence comme outil d’évaluation des politiques à l’échelle locale, est abondamment discutée. C’est sans doute en cela que réside l’intérêt de cet ouvrage aux yeux d’un public averti.

Les lecteurs à la formation moins pointue, ou ouverts à un regard plus sociologique, regretteront quant à eux l’approche exclusivement positiviste de cette publication, et son ancrage monodisciplinaire, qui passe dès lors à côté de nombreuses autres questions d’importance en termes d’échelle d’analyse des politiques de développement. L’opposition entre le niveau global et le niveau local dans la planification ou la mise en oeuvre de projets et programmes d’aide est, en effet, une question soulevée dans la littérature des études du développement depuis plus de vingt ans, à laquelle l’ouvrage présenté ici est totalement imperméable. De même, sans aller jusqu’à suivre les thèses les plus radicales de remise en question de la logique de croissance économique, l’adéquation entre développement et croissance économique a été nuancée depuis un temps certain déjà, y compris dans les cénacles des institutions de Bretton Woods. On regrettera, en d’autres termes, qu’un ouvrage entendant porter sur les changements d’échelle manque à ce point d’une perspective plus globale.

Enfin, même si l’on fait abstraction du titre et de son caractère finalement trompeur, on regrettera également l’absence de conclusion générale à l’ouvrage, qui offre pourtant le mérite de réunir une vingtaine de contributeurs, tous crédités d’une position d’autorité dans leur discipline, aussi spécialisée soit-elle, dans une structure (deux discussions par contribution) ouverte à un très large débat. Dès lors, qu’en conclure ? C’est malheureusement dans la question même posée par le titre que se trouve la seule réponse disponible : « Qu’est-ce qui fonctionne dans le développement ? Penser à grande échelle et à petite échelle. » Avec toutes les incertitudes que cela implique.