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Analyser le droit international à l’aune de la politique internationale (world politics) relève assurément d’une démarche audacieuse. En effet, nombreux sont les universitaires – qu’ils soient politistes ou juristes – défendant jalousement « leur » discipline à être réfractaires à admettre un chevauchement entre la science politique des relations internationales et le droit international public. D’après eux, le titre de cet ouvrage relèverait indubitablement d’un oxymore. Les liens sont, pourtant, évidents et l’auteure, universitaire australienne connue pour porter sur les fonts baptismaux une approche politique du droit international, tente de l’illustrer dans cet ouvrage qui est une seconde édition, largement étoffée puisqu’elle prend en compte les derniers développements en la matière, notamment la question de la légalité de l’intervention alliée en Irak. L’ouvrage se présente sous la forme d’un abrégé thématique et ne prétend pas être exhaustif comme pourrait l’être un manuel, l’auteure indiquant d’ailleurs très clairement, dans la première partie, que son objectif est de mettre à la disposition du lecteur une cartographie du droit international, comme composante de la politique mondiale. Structuré en quatorze parties thématiques, l’ouvrage analyse de façon classique les grandes questions liées au droit international (sources et formation, sujets, approches doctrinales, caractéristiques des traités, désarmement, droit humanitaire, etc.), tout en examinant concomitamment sa place dans la politique internationale.

Deux idées fortes se dégagent de cet ouvrage, et c’est là sans doute la partie la plus stimulante de l’approche originale de l’auteure. La première, selon laquelle les rapports de force sont incontestablement omniprésents dans la pratique juridique des États, mâtine l’ensemble de l’ouvrage. La partie consacrée au droit de la force et surtout celle au titre plutôt provocateur de Legal Argument as a Political Maneuvering sont révélatrices de l’approche réaliste de Shirley V. Scott, ce qui tranche avec l’approche trop souvent idéaliste de nombreux juristes. L’analyse, en mettant en évidence la désacralisation du droit par la puissance, est pertinente et plaira sans nul doute aux politistes. Deuxième idée, on comprend que le droit international public n’est pas seulement le droit des puissants, mais qu’il est aussi le droit qui vise à protéger les faibles, les parties consacrées aux questions de désarmement et de maîtrise des armements, au droit humanitaire et même à l’environnement illustrant les tentatives – couronnées de succès ou pas – faites pour protéger les États (ou les individus) face à l’anarchie internationale. Bien que succincte, la conclusion est très astucieuse car, tout en reprenant les thèses systémiques développées dans le corpus (le droit international est un système d’idées interreliées, il est statocentré et s’entremêle à la politique mondiale), elle se veut prospective pour inciter le lecteur à la réflexion. Parmi ses interrogations, relevons-en une qui intéressera certainement le politiste, puisqu’il s’agit d’une réflexion engagée depuis quelque temps en relations internationales : la place de la Chine et de l’Inde dans la société internationale. Scott se demande ainsi si le déplacement de la puissance vers l’Asie ne va pas s’accompagner d’une modification dans la formation et la pratique du droit international public.

Cet ouvrage ne convaincra pas forcément les puristes, mais servira de façon très didactique aux étudiants politistes qui souhaitent avoir une approche éclectique de l’étude de la politique mondiale. On notera, cependant, que l’inverse n’est pas forcément vrai, l’étudiant juriste ne pouvant difficilement se contenter de cet ouvrage pour com-prendre les relations internationales.

Par la forme, il est abordable aux non-initiés au jargon juridique et plutôt facile à lire entre autres grâce à la vingtaine d’encadrés qui émaillent les thèses de l’auteure. Quant au fond, en dépit de quelques écueils – on s’étonnera, par exemple, qu’il n’y ait aucune partie stricto sensu consacrée aux organisations internationales, alors qu’il y en a une consacrée à l’analyse des organisations non gouvernementales (partie 3, « Intergouvernemental Organisations in International Law »), ni d’analyse sur des sujets d’actualité comme la réforme du Conseil de sécurité –, l’ouvrage passe en revue les grandes questions liées au droit international. À ce titre, il est donc à conseiller à tous ceux qui souhaitent parfaire leur compréhension des mécanismes juridiques qui régulent les relations internationales.