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Discuter d’éthique et de moralité dans la guerre sans refaire les minutes du procès de Nuremberg ou réécrire les oeuvres de Kant, de Platon et de Rousseau, tel semble être le défi auquel s’attaque Empowering Our Military Conscience.

La plupart des auteurs de cet ouvrage collectif enseignent la philosophie dans les milieux universitaires américains. Leur légitimité est donc incontestable. Cependant, le niveau et la qualité des contributions ont sans doute rendu la tâche du directeur de l’ouvrage des plus ardues. En effet, il est difficile d’analyser et de vulgariser les sujets abordés sans leur retirer leur substance tout en s’affranchissant du cadre universitaire d’Harvard ou de Princeton.

L’équilibre n’est pas toujours respecté : la mise en avant du côté américain de cette philosophie de la guerre nous plonge et nous perd souvent dans les arcanes des universités.

L’introduction, en revenant sur les diverses écoles et sur leur pensée développée à travers l’histoire, embrouille le lecteur peu habitué à jongler avec les sigles et les subtilités académiques, les institutions et leurs doctrines. Cependant, Robert Wertheimer, en bon directeur d’ouvrage collectif, replace lui-même dans le contexte l’ouvrage et ses différentes théories.

Après sa longue introduction, le livre se découpe en trois parties. Deux d’entre elles sont bien connues : le jus ad bellum, qui se conçoit ici dans le cadre des notions de guerre juste, de guerre préventive et d’intervention humanitaire, et le jus in bello, qui s’attache notamment aux notions d’intention dans la décision de faire la guerre (ou de la déclarer) et à celles de l’éthique dans la guerre, de la moralité des dommages collatéraux et de la mort chez les non-combattants. La troisième partie concerne le jus ante bellum et navigue entre morale et moralité.

La préface de Wertheimer situe immédiatement ces trois concepts : le concept de guerre juste a longtemps associé les deux catégories du jus ad bellum et du jus in bello. L’ouvrage tente ici une dernière réconciliation entre ces concepts et y ajoute le jus post bellum, le jus ante bellum (l’éthique avant la guerre) et le jus in disciplina bellica (l’éthique de l’éducation pour préparer la guerre). Cette dernière est mise en avant parce qu’elle a pour objectif de permettre aux dirigeants militaires de prévoir les réactions de leurs hommes quand ils sont confrontés à des situations de terrain.

Au vu des diverses évolutions qui ont marqué les dernières décennies et de tous les changements qui ont eu lieu sur le terrain de l’action armée, il apparaît effectivement indispensable de se replonger dans l’ensemble de ces notions et de tenter de justifier, voire de conforter, notre conception de la guerre.

Dans Empowering Our Military Conscience, les auteurs s’attachent à approfondir la notion de légitimité de l’action armée dans le monde, menée par des armées à la pensée et à la morale progressivement développées par l’histoire. Dans de longs passages, les contributeurs discutent de l’armement institutionnel, du rôle de la formation intellectuelle et morale des troupes envoyées pour défendre les valeurs de leur pays à travers le monde, dans des situations où leur moralité est mise à rude épreuve. La question de la permissivité des actions est un point essentiel de l’ouvrage. Il en va de la responsabilité des combattants dans l’adéquation à certaines valeurs dans la guerre : restriction, absolution, etc.

Devant l’inquiétude mondiale croissante et les questionnements qui surgissent quand il s’agit de l’éducation de nos forces armées, l’ouvrage décline notamment la notion d’intention, liée à celle de la raison. L’intention est définie comme la capacité d’un individu qui sait ce qu’il fait quand il le fait. Historiquement, les ouvrages de théorisation de la guerre juste ont toujours parlé d’orthodoxie et ont mis en doute la justesse des doctrines militaires. Les questions liées au respect de soi et au respect des autres sont également posées.

La mort de personnes innocentes au cours des récentes guerres ou interventions militaires donne à ces réflexions une résonance internationale, et cet ouvrage devrait pouvoir inspirer les chefs d’état-major et les instructeurs militaires dans le monde entier. Tant que ne seront pas réconciliées les différentes notions abordées dans ce livre, les conflits armés – quels que soient leurs raisons, leurs origines ou leurs terrains d’exercice – seront toujours aussi meurtriers pour les civils non combattants, aussi destructeurs pour le moral des troupes et ils donneront lieu à des scènes dramatiques. Est-il possible d’éviter ces désastres à répétition ? C’est sans doute la question à laquelle l’ouvrage refuse de répondre. On le comprend, cette question doit néanmoins être posée, même si la compilation du travail de ces auteurs prestigieux nous éclaire et pourrait presque être préconisée comme une lecture obligatoire pour tous les décideurs et acteurs des services armés dans le monde !

Certaines parties proposent des bibliographies fournies, mais d’autres s’en abstiennent. La correction de ce déséquilibre aurait sans aucun doute apporté au lecteur un éclairage supplémentaire et donné à l’ouvrage une qualité supérieure.

L’index bien fourni aidera celui qui se contentera d’une lecture parcellaire de ce livre. On ne pourra blâmer ce lecteur, surtout s’il a commencé par l’introduction et qu’il a déjà fait un pas de géant pour choisir ce livre parmi toute la littérature anglophone existant sur le sujet, notamment en raison du prix de l’ouvrage.