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Cet ouvrage collectif rassemble, autour de différents pôles de recherche, les contributions d’économistes, de juristes, de politologues, d’historiens et de spécialistes du monde des médias à un colloque organisé à l’initiative de l’Institut d’études européennes de l’Université catholique de Louvain en 2009. Combinant des vues nationales (États-Unis, Belgique, France), européennes et internationales, l’empreinte interdisciplinaire du propos sera appréciée des étudiants désireux de croiser plusieurs analyses dans la perspective d’une approche critique de la crise. La clarté des graphiques et les nombreuses références en bas de page méritent, là encore, d’être saluées.

D’emblée, la gravité du sujet est pointée. La crise des prêts hypothécaires à risque de l’été 2007 aux États-Unis illustre la fragilité des systèmes financiers et des équilibres économiques. En comparaison des secousses financières des années 1920 et 1930, le terme de crise n’est pas fallacieux. Au-delà de l’économie, son impact concerne plus largement le social, l’humain, l’éthique et le gouvernement des États, marquant ainsi l’entrée dans le 21e siècle. La crise est saisissante par son ampleur, par la rapidité de sa contagion à la sphère financière mondiale, mais aussi par sa durée, puisqu’elle continue de produire ses effets. Ces facteurs en font l’une des épreuves les plus impressionnantes de l’histoire financière contemporaine. Elle est aussi sans égale. La situation dont nous avons hérité et qu’il faut dorénavant gérer pourrait avoir des effets durables et fatals sur la croissance, le niveau de vie des populations les plus fragiles de nos sociétés, les mécanismes mondiaux des échanges et, sans doute, l’équilibre des relations internationales.

À côté des institutions financières et des médias qui n’ont « rien vu venir », pour reprendre la formule du philosophe Marc Lits, la responsabilité des autorités publiques dans la crise est pleinement engagée. L’économiste Étienne de Callatay pointe notamment la politique monétaire de la Réserve fédérale alimentant le crédit facile avec un taux d’intérêt anormalement bas ou, en Europe, avec la carence d’outils, budgétaires ou financiers, permettant de gérer des disparités régionales fortes. Le politologue Pierre Vercauteren s’interroge sur la place et le rôle de l’État dans l’économie et, plus particulièrement, dans la finance. Un acteur étatique à la fois victime et complice d’une crise de la « gouvernance sans gouvernement » déjà dénoncée par James Rosenau et Ernst-Otto Czempiel. Hormis certaines coordinations ou réunions de sommets (G20), les réactions des États sont restées très disparates, mettant en lumière une image ternie de la gouvernance mondiale et du rôle des institutions financières internationales au premier rang desquelles le Fonds monétaire international, la Banque mondiale ou la Banque des règlements internationaux, dépassés par des mouvements échappant à leur contrôle. Or, comme le met en exergue l’économiste Philippe Ledent, l’intervention des États pour soutenir le système bancaire et relancer les économies pèse sur l’endettement public qui, conjugué au risque inflationniste, forme un cocktail périlleux. Le même défi que celui relevé à Bretton Woods au sortir de la Deuxième Guerre mondiale se pose maintenant aux États : faire correspondre l’architecture économique, monétaire et financière avec la nouvelle donne géopolitique. Cela impose, comme le dit l’économiste Isabelle Cassiers, du courage et de l’imagination. Gageons que nos dirigeants ne manquent ni de l’un ni de l’autre.

Pour aller plus loin, rappelons que dans la langue du Chinois Zhu Min, nommé directeur général adjoint du fmi en 2011, le mot crise est formé par deux idéogrammes : l’un signifiant « danger » et l’autre « opportunité ». Parmi les opportunités à saisir aujourd’hui, il faut s’interroger, au-delà d’une consécration de l’importance prise par la Chine et plus largement par les pays émergents dans l’économie mondiale, sur le rôle des acteurs privés des relations internationales et, en premier lieu, des agences de notation. Aujourd’hui décriées comme des amplificateurs pernicieux de la crise, ces agences jouent un rôle essentiel d’évaluation, mais aussi de diffusion d’information sur les produits structurés, ce qui leur fait porter une lourde part de responsabilité. Depuis les années 1980, les agences de notation sont devenues un indice de référence tant pour les émetteurs que pour les investisseurs. Or, les agences de notation n’ont anticipé aucune des crises importantes malgré les dettes considérables en cause : la crise mexicaine en 1994, la crise asiatique de 1997. À l’inverse, par leurs décisions tardives ou brutales, elles ont parfois accentué les difficultés (Brésil en 1999 ; Argentine en 2001). Les manquements de ces dernières années ont soulevé nombre de questions quant à leur fonctionnement, leur réglementation et le contrôle actuel auquel elles doivent être soumises, faute de quoi la faillite sera inévitable pour certains États. Les Grecs ne démentiront pas.