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Parfois, les rééditions n’ont guère d’intérêt. Celle-ci se justifie pleinement. Cinq ans après la précédente, cette quatrième édition de l’ouvrage d’Emmanuel Nyahoho et Pierre-Paul Proulx fait le point sur un commerce international bouleversé par une crise économique et financière sans précédent depuis 1929. Les auteurs rappellent les faits, implacables : des exportations en chute libre (12 %) en 2009, tandis que le pib mondial s’essoufflait à moins de 2 %. Pour 2010, le rebond est confirmé, mais il pourrait n’être que de courte durée vu les perspectives peu réjouissantes de 2011. Comme beaucoup d’observateurs attentifs à la situation, les auteurs s’interrogent sur la finalité de cette crise exceptionnelle : marquera-t-elle la fin d’une époque ? Ils n’apportent pas de réponse définitive, mais leur livre pousse le lecteur à la réflexion.

Pour l’heure, cette récession mondiale oblige les économistes à tirer quelques leçons. D’abord, affiner leurs statistiques sur la chaîne du commerce mondiale afin de mieux cerner l’impact de la crise sur l’intégration régionale, notamment celle de l’Asie. Ensuite, reconnaître définitivement le basculement de l’économie mondiale. Le coeur du commerce mondial ne bat plus aux États-Unis, affirment les auteurs. Mais Emmanuel Nyahoho et Pierre-Paul Proulx auraient dû oser aller plus loin et reconnaître dans le même élan que l’ère de la suprématie occidentale sur le commerce mondial s’est refermée avec la crise.

La conséquence est évidente : les pays émergents sont en train de prendre le relais. Et plus particulièrement la Chine et l’Inde, qui affichent des taux de croissance à faire pâlir de jalousie le vieil Occident : 10 % pour Pékin et 9,7 % pour Delhi en 2010. En comparant ces chiffres avec la moyenne poussive des pays riches – 2,7 % du pib –, on ne peut que s’incliner devant le vent de l’histoire. Un vent qui pousse la moitié des investissements dans le monde vers les pays émergents, alors qu’un quart en provient. Bref, nous assistons au basculement du monde qu’il y a encore cinq ans on ne voulait pas voir.

Quel est l’impact de ce renversement géoéconomique sur les États-Unis, le Canada, l’Union européenne, les pays en voie de développement et les nouveaux pays industrialisés ? Comment certains marchés (agriculture, pétrole, automobile, textile, services…) se sont-ils comportés ces cinq dernières années ?

L’ouvrage apporte des réponses à toutes ces questions. Certes, les États-Unis ont perdu la main, mais le pays s’est protégé, comme il l’a toujours fait, en renforçant ses mesures protectionnistes et en étant encore plus agressif sur les marchés mondiaux. Le protectionnisme des États-Unis ne les empêche pas de prôner le libre-échange, ni d’évaluer et de surveiller les politiques commerciales des concurrents, notamment par le National Trade Estimate Report on Foreign Barriers. « On se permet donc, remarquent les auteurs, de demander des concessions des autres sans en offrir en retour, et ce, en utilisant la menace de mesures restrictives limitant le marché américain aux pays étrangers. »

Le Canada aurait moins souffert que son voisin des derniers chocs économiques mondiaux. Ses exportations ont diminué de 17 % entre 2008 et 2009, mais le rebond a suivi. Toutefois, les auteurs pointent une certaine stagnation du commerce qui précède la crise de 2007. Une inquiétude qui s’ajoute au déficit sur les produits industriels et une difficulté du commerce extérieur canadien à percer dans les nouveaux marchés. D’où l’interrogation sur la stratégie commerciale du Canada, posée en préface par Christian Deblock, économiste et directeur du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (ceim) de Montréal : « N’avons-nous pas trop misé sur les États-Unis et l’alena, voire trop longtemps vécu en rentier, profitant d’un taux de change favorable ou d’un marché captif comme c’est le cas du pétrole et des matières premières ? » La réponse figure dans la question.

Une question aussi lourde de sens se pose à l’Union européenne. Les auteurs reconnaissent en l’ue une puissance économique mondiale, mais ne décèlent aucune stratégie à Bruxelles, à part celle de rester un bon élève du libre-échange.

Ce n’est donc pas de l’Europe que viendra la menace protectionniste. Pour l’heure, notent les auteurs, l’arme du protectionnisme n’a pas fait beaucoup de ravage. Pourtant, tous les pays l’utilisent, plus ou moins efficacement. Les mesures tarifaires ne représentent plus l’arme principale du protectionnisme. En revanche, d’autres formes sont apparues depuis cinquante ans, au point de parler de « prolifération actuelle des mesures non tarifaires ». Il s’agit essentiellement des politiques de quotas et de contingentement à l’importation ou à l’exportation, des mesures de subventions et d’aide à l’exportation, des normes de santé, de sécurité et d’environnement qui permettent de cacher un véritable protectionnisme, ou des obligations de production locale…

La théorie économique réfute les bienfaits à long terme des politiques de protection. Mais, dans certains cas, elle est obligée de reconnaître ses avantages : « Les arguments se rapportant à la protection d’industrie naissante, à la protection de la culture, à la défense et à la sécurité nationale ainsi qu’à la politique commerciale stratégique reposent sur de solides assises tant théoriques qu’empiriques. »

Apports empiriques et théoriques sont justement les principales qualités de cet ouvrage, qui s’adresse en priorité à un lectorat étudiant. Qu’il soit en premier cycle ou dans les cycles supérieurs, le lecteur trouvera dans une langue claire et précise l’essentiel de la connaissance dans le domaine du commerce international.