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Je lègue mon coeur à la patrie, ma probité aux hommes ; ils en ont besoin, mon âme aux femmes, je ne leur fais pas un don indifférent ; mon génie créateur aux auteurs dramatiques : il ne leur sera pas inutile […] mon désintéressement aux ambitieux ; ma philosophie aux persécutés ; mon esprit aux fanatiques ; ma religion aux athées (Wallon 1880 : 73).

Extrait de la lettre de Marie-Olympe de Gouges avant son exécution par le Tribunal révolutionnaire de Paris en 1793.

Dans les changements politiques qui secouent le monde arabe et qui ne cessent d’occuper les spécialistes des études internationales, il y a certes de quoi réjouir les défenseurs des droits de la personne et surtout ceux et celles qui militent, à titre individuel ou dans le cadre d’organisations internationales ou non gouvernementales, pour les droits des femmes. Souvent accusées de pusillanimité et de soumission, les femmes arabes ont démontré, à travers ces changements, leurs capacités révolutionnaires et la force de leur engagement politique et social. D’aucuns diront que les femmes tunisiennes, égyptiennes, yéménites, libyennes étaient absentes au bourgeonnement de ce que certains spécialistes en études internationales – et autres – qualifient de printemps arabe. Au contraire, aussi bien à la place Ataḥrīr au Caire que sur l’avenue Bourguiba en Tunisie, la présence massive des femmes était l’un des traits distinctifs de ce printemps. Elles étaient « ce qu’il y a dans le peuple de plus peuple, je veux dire de plus instinctif, de plus inspiré »[1] (Michelet s.d. : 156).

Ce fait révolutionnaire, si heureux soit-il, mérite une vigilance spéciale de la part des femmes, car l’histoire nous enseigne que les révolutions d’ordre sociologique et politique n’ont pas, en réalité, servi la cause des femmes et qu’elles étaient au contraire, hélas, sources de déception, voire d’atteintes à leurs droits. Plus encore, contrairement aux hommes, les femmes étaient à chaque fois obligées de mener leur propre révolution, après celle qu’elles avaient menée coude à coude avec les hommes. Cette deuxième révolution, si on peut la qualifier ainsi, est souvent dirigée contre des « minorités masculines » qui se déclarent illico les seules dépositaires de toute révolution réussie. Le fait révolutionnaire est ainsi, et souvent, considéré comme une entreprise machiste dans laquelle une minorité d’hommes représente le centre et les femmes la périphérie selon l’expression de l’anthropologue et élève de Claude Lévi-Strauss, Françoise Héritier (Héritier 2011 : 13). Comme l’a bien démontré l’historien et sociologue Crane Brinton dans son ouvrage Anatomy of Revolution[2] et, avant lui, Vilfredo Pareto (Malia 2008 : 404), toute révolution est dominée, à ses débuts, par les modérés « en quête de changements majeurs » (ibid.), pour se radicaliser par la suite et être saccagée par une « minorité d’extrémistes » (ibid.), prête à utiliser la terreur pour imposer sa propre idéologie et sa propre vision du nouvel ordre[3] (ibid.). Ironie du sort, ce nouvel ordre se construit, semble-t-il, au détriment des femmes comme en témoigne l’histoire des grandes révolutions des époques moderne (I) et contemporaine (II). De la Révolution française à la révolution iranienne en passant par les révolutions américaine et bolchevique, les aspirations féminines ont été souvent déçues en dépit du lourd tribut payé par ces mêmes femmes avant et pendant la « ferveur » révolutionnaire.

Ce constat historique confirme, si besoin est, que le combat des femmes est toujours recommencé (III).

I ― L’antiféminisme dans les grandes révolutions de l’ère moderne

Bien qu’elles aient été menées sous les bannières de l’égalité et de la justice, les Révolutions française (A) et américaine (B), considérées comme les deux plus grandes révolutions du 18e siècle, confirment nos propos sur « l’antiféminisme » du fait révolutionnaire.

A ― Les tricoteuses de la révolution française

Le rôle des femmes françaises dans la période prérévolutionnaire ainsi que pendant les années du changement révolutionnaire est souvent bien souligné par les historiens de la Révolution française. Les travaux de Dominique Godineau ont amplement décrit l’activisme des femmes parisiennes et des femmes des provinces et leur participation à tous les événements fondamentaux de la révolution aussi bien dans les manifestations dénonçant l’injustice de l’Ancien Régime que dans les interminables tribunes politiques – les Conventions – (Godineau, Citoyennes tricoteuses 1988 : 322) pour « apostropher les élus » (Héritier 2011 : 213). Collecter des fonds, équiper les soldats en leur fournissant des vêtements et de la nourriture sont quelques exemples du rôle joué par les sociétés des femmes françaises. Jules Michelet, historien de la Révolution française, va jusqu’à se poser la question suivante : « les hommes auraient-ils cependant marché sur Versailles, si les femmes n’eussent précédé ? » (Michelet s.d. : 156). Il répond que « cela est douteux » (ibid.) car, ajoute-t-il, « personne avant elles n’eut l’idée d’aller chercher le roi » (ibid.). Simple et inspirante, l’idée des femmes françaises se présente comme suit : « le pain manque, allons chercher le roi ; on aura soin, s’il est avec nous, que le pain ne manque plus. Allons chercher le boulanger ! […] » (ibid.). Au-delà de son côté sinistre, madame Defarges, principal personnage du célèbre roman Tale of two cities (Londres 1979) de l’Anglais Charles Dickens, illustre, en quelque sorte, cette participation féminine. Tricoteuse, madame Defarges « ne tricote pas pour passer le temps ou, comme les femmes du faubourg, pour tenter d’oublier la faim » (Godineau La tricoteuse), mais elle ne fait que consigner les noms, et les crimes perpétrés sous l’Ancien Régime (ibid.). Son tricot n’est en réalité qu’« un fatal registre » (ibid.). Cette contribution, « aussi discutable puisse-t-elle nous paraître, s’inscrivait dans la défense de la Révolution des droits de l’homme contre les ennemis de ces mêmes droits de l’homme » (Godineau, 1988 : 233).

L’arrivée de la Révolution avec sa fameuse devise « liberté, fraternité, égalité » a été tout sauf un vrai progrès pour la condition de la femme française. Les trois idéaux de la Révolution n’ont touché la femme qu’incidemment. Qui plus est, le mouvement d’émancipation de la femme est devenu la source de ce qu’un auteur français qualifie d’« instabilité de genre » (Guilhaumou et Lapied 2008). En effet, c’est pour mettre fin à cette instabilité que les clubs de citoyennes furent interdits dès l’an 1791 (Godineau 1988 : 169), que le vote fut reconnu uniquement aux hommes dans le cadre du suffrage censitaire (Balinski 2004 : 31) et que le Code civil de 1804 consacra l’incapacité juridique de la femme, notamment de la femme mariée. C’est dans ce Code, aussi prestigieux soit-il, qu’ont été codifiées beaucoup d’injustices contre les femmes, ces « têtes de méduses dont l’aspect pétrifie » (Godineau 1988 : 268), dans le cadre d’une « reconfiguration patriarcale des droits individuels » (ibid.). Le mariage de la fille est alors soumis au consentement du père (Code civil 1804 : art. 148) ; la femme passe par son mariage de la tutelle et de la protection de ses parents à celle de son mari (Code civil 1804 : art. 213) : elle est obligée de vivre au domicile choisi par le mari et de le suivre partout « où il juge à propos de résider » (Code civil 1804 : art. 214) ; elle ne peut donner, aliéner, hypothéquer, acquérir, à titre gratuit ou onéreux, sans le concours du mari dans l’acte, ou son consentement par écrit même en cas de séparation de corps (Code civil 1804 : art. 217) ; elle ne peut ni travailler ni accomplir aucun acte juridique, surtout si elle est marchande publique, sans l’autorisation de son mari (Code civil 1804 : art. 215). Les époux se doivent fidélité, secours et assistance (Code civil 1804 : art. 212), mais pas au même degré. En sus de l’obligation d’obéissance prévue à l’article 213 de ce Code, la femme adultère est passible, selon le Code pénal napoléonien, d’un emprisonnement de trois mois à deux ans[4] (Abu Amara 2010 : 169), alors que « l’homme adultère est passible d’une simple amende, et seulement s’il amène sa concubine au domicile conjugal »[5] (Ledrappier 2006 : 50). Ce même Code reconnait à l’époux un certain pouvoir de contrôle sur la sexualité de son épouse, ou ce que les anthropologues qualifient de « crime d’honneur » puisqu’il allège dans son article 324 la peine du conjoint qui tue sa conjointe dans des circonstances d’adultère (Abu Amara 2010 : 169) en disposant que :

le meurtre commis par l’époux sur l’épouse, ou par celle-ci sur son époux, n’est pas excusable, si la vie de l’époux ou de l’épouse qui a commis le meurtre n’a pas été mise en péril dans le moment même où le meurtre a eu lieu. Néanmoins, dans le cas d’adultère, prévu par l’article 336, le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable.

La petite histoire veut, enfin, que l’inclusion du divorce, institution inexistante à l’époque et pratique interdite par l’église catholique, était motivée davantage par le penchant phallocratique de Napoléon, qui voulait se séparer de sa femme Joséphine de Beauharnais qu’il croyait être stérile (Boyer 1968 : 98), que par une reconnaissance d’un quelconque droit aux femmes. D’ailleurs, aucune femme n’a participé, ne serait-ce qu’à titre consultatif, à l’élaboration du Code civil. Napoléon a préféré confier cette tâche à quatre magistrats, soit : Portalis, Bigot de Préameneu, Tronchet et Maleville.

À en croire l’histoire de Marie-Olympe de Gouges, écrivaine, actrice et rédactrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, la Révolution française a donné aux femmes le droit de monter à l’échafaud sans lui donner un vrai droit de monter à la tribune (Héritier 2011 : 213).

Ce droit de monter aux tribunes n’a pas été non plus accordé aux femmes américaines.

B ― La révolution américaine et les filles de la liberté

« Filles de la liberté », Merry Otis Warren et Abigaïl Adams retracent à travers leurs parcours respectifs, l’histoire de la lutte des femmes américaines.

Intellectuelle et mère de cinq enfants, Merry Otis fut la première Américaine à avoir évoqué la nécessité d’une révolution menant à l’indépendance des treize États américains de l’époque (Fillard et Collomb-Boureau 2003 : 16). Elle évoqua le sujet « avant même que le Congrès Continental en adoptât l’idée » (Fillard et Collomb-Boureau 2003 : 16). Tout le monde l’admirait « mais personne (même pas elle) n’était choqué par le fait que pour être lue, elle dût publier ses ouvrages sous un pseudonyme masculin » (Fillard et Collomb-Boureau, 2003 :16). Le rôle joué par les « filles de la liberté » (Daughters of Liberty)[6] pour soutenir les combattants en collectant des fonds (Fremont-Barnes 2007 : 771), en tissant les vêtements des « patriotes » (Fremont-Barnes 2007 : 771) et en boycottant les marchandises continentales telles que le thé, d’où l’appellation « anti-tea leagues », était déterminant dans le succès de la révolution de 1776 (Fremont-Barnes 2007 : 771). Les historiennes Claudette Fillard et Colette Collomb-Boureau rapportent que :

des femmes créèrent des organisations nationales pour collecter de l’argent pour les soldats. Prudent, Georges Washington refusa que l’argent fût versé directement aux combattants. Les femmes décidèrent alors d’acheter du tissu pour coudre des chemises sur lesquelles elles brodaient leur nom, marque symbolique de leur soutien. Quelque 20 000 femmes marchèrent aux côtés des troupes britanniques ou américaines.

Fillard et Collomb-Boureau 2003 : 15

L’accession à l’indépendance n’a pas été accompagnée par une reconnaissance des droits fondamentaux aux femmes. Au contraire, « dignes héritiers de Locke et douillettement installés dans le système patriarcal de leur époque » (Fillard et Collomb-Boureau 2003 : 15-16), les pères de la révolution et de l’indépendance ont préféré se cacher derrière une interprétation puritaine de la bible qui associe la femme au péché et à la faiblesse d’esprit. Pour eux « les femmes, incapables de jugement rationnel, ne pouvaient prendre part aux décisions » (Fillard et Collomb-Boureau 2003 : 16). Elle est, selon l’expression archaïque de la Common law anglaise du 18e siècle, un être qui a besoin de la « couverture » de l’homme (feme covert) pour exercer ses droits.

Abigaïl Adams est une autre « fille de la liberté » qui, avec d’autres femmes, s’est opposée à cette « ingratitude masculine ». Les échanges entre Abigaïl et son mari John Adams, premier vice-président (1789-1797), puis deuxième président des États-Unis (1797-1801), illustrent bien cette lutte contre « l’orgueil et le préjugé »[7] du nouvel homme républicain. En 1976, Abigaïl écrit dans l’une de ses lettres [Nous traduisons] :

J’ai bien entendu que vous avez déclaré votre indépendance. Et, soit dit en passant, je souhaite que – dans le nouveau Code des lois, que, j’imagine, il vous sera nécessaire de promulguer – vous pensiez aux dames et soyez plus généreux envers elles que vos ancêtres. Ne mettez plus entre les mains des maris un pouvoir illimité. Souvenez-vous que tous les hommes seraient des tyrans s’ils le pouvaient. Si aucun intérêt particulier n’est accordé aux femmes, nous sommes déterminées à fomenter une rébellion et nous ne resterons plus liées par des lois auxquelles nous n’avons ni voix ni représentation. Il est une vérité bien établie sans aucune contestation que votre sexe est tyrannique de nature […] Les hommes doués de bon sens ont souvent horreur de ces coutumes qui nous traitent comme des (servantes) de votre sexe. Considérez-nous comme étant placées par la Providence sous votre protection […] et n’utilisez ce pouvoir que pour notre bonheur.

Shuffelton 2004 : 91

L’accusant de vouloir instaurer une dictature de jupons et trouvant « ces prétentions parfaitement comiques » (Héritier 2011 : 11), son mari, John Adams, lui répondit [Nous traduisons] :

S’agissant de votre extraordinaire Code des lois, je ne peux pas m’empêcher de rire. J’ai entendu dire que la lutte pour l’indépendance avait distendu les liens du gouvernement, que les enfants et les apprentis étaient devenus désobéissants, que les élèves et les étudiants étaient devenus turbulents, que les Indiens manquaient d’égards envers leurs protecteurs et que les nègres étaient devenus insolents envers leurs maîtres. Mais ta lettre est la première manifestation qu’une autre tribu, plus nombreuse et puissante que toutes les autres, était devenue mécontente. Ceci est un compliment plutôt grossier mais tu es tellement insolente que je ne vais pas l’effacer.

Shuffelton 2004 : 94

Ahurie, Abigaïl rétorqua [Nous traduisons] :

Je ne peux pas dire que vous êtes généreux à l’égard des femmes. Bien que vous déclariez la paix et la bonne volonté envers les hommes et que vous ayez accordé l’émancipation à toutes les nations, vous insistiez, toutefois, à maintenir un pouvoir absolu sur les épouses. Mais, vous devez vous rappeler que le pouvoir arbitraire comme toute autre chose rigide est susceptible d’être brisé et qu’en dépit de la sagesse de vos lois et maximes, nous avons la force non seulement pour nous libérer mais aussi de soumettre nos maîtres, sans violence, et les mettre à nos pieds.

Shuffelton 2004 : 102

Cela dit, il est évident que c’est la lutte de ces pionnières, « ces suffragettes, ces brûleuses de soutien-gorge et de porte-jarretelles » (Héritier 2011 : 11) qui a permis aux autres femmes se trouvant au-delà des frontières américaines de prendre leur destin en main, de conquérir leurs droits et d’affirmer leur liberté. Le cas des femmes russes et des femmes iraniennes illustre bien cette réalité.

II – L’antiféminisme dans les grandes révolutions de l’ère contemporaine

Nous avons marché ensemble le long du chemin. Et nous avons vécu ensemble les mêmes horreurs de la lutte. Pourquoi, avez-vous reçu le laurier de gloire, alors que nous étions obligées de supporter la Croix de Jésus ? [Nous traduisons] Poétesse inconnue.

Hillyar et McDermid 2000 : 108

S’inscrivant dans des sphères politiques, géographiques et historiques différentes, les révolutions bolchevique (A) et iranienne (B) étaient, elles aussi, en deçà des aspirations des femmes russes et iraniennes.

A ― La révolution bolchévique et les brouetteuses de Petrograd

Fait du hasard ou date prémonitoire, c’est le 23 février 1917, que les Russes célèbrent la Journée internationale des Femmes (au lieu du 8 mars en raison du retard du calendrier russe) et c’est le 23 février que la révolution bolchévique a commencé. Des historiennes telles qu’Anna Hillyar et Jane McDermid ont montré la richesse des actions menées par des femmes et en particulier les femmes de la classe ouvrière dans tous les événements qui ont eu lieu avant et pendant la révolution. Pour ces deux historiennes,

[…] Les femmes étaient présentes non seulement lors de la naissance du nouvel ordre – ou qu’elles l’avaient seulement provoqué pour qu’il soit contrôlé par la suite par les révolutionnaires professionnels – mais elles ont contribué aux phases finales de son aboutissement. Le développement subséquent du nouvel ordre ne doit pas cependant occulter le rôle crucial qu’elles ont joué aussi bien pendant les périodes de gestation qu’à la parturition [Nous traduisons].

Hillyar et McDermid 1999 : vi ; Hillyar et McDermid 2000

D’ailleurs, dans son Histoire de la révolution russe, Trotsky, l’un des grands artisans de cette révolution, qualifiait « les travailleuses du textile », véritables initiatrices de la révolution (Rowbotham 1972 : 157), de vrais soldats (Lanchon s.d.). Qui plus est, c’est grâce à ces femmes que des garnisons comptant des milliers de soldats se sont ralliées aux insurrections populaires et ont assuré la victoire de la révolution (Stoff 2006 : 66 et ss.). Dans son Women and perestroïka, Chanie Rosenberg aime rapporter l’histoire de ces travailleuses de Petrograd qui transportaient leurs anciens patrons et anciens agresseurs dans des brouettes (Lanchon s.d.) pour signer la fin d’une époque d’humiliation et d’exploitation de même qu’elle a défendu à travers le personnage de la militante Alexandra Kollontaï le rôle des femmes russes dans la mobilisation révolutionnaire (Rosenberg 2008). À vrai dire, les premières années de la révolution étaient très favorables, voire glorieuses pour les femmes et les familles russes, puisque « les dirigeants soviétiques nouveaux comptaient également, à l’aide de leur programme relatif à la famille, gagner à eux des partisans parmi certaines factions de la population qui avaient d’autres préoccupations » (David et Hazard 1954 : 294). L’introduction du mariage civil qui « doit être célébré devant les autorités laïques » (David et Hazard 1954 : 295), la proclamation de l’égalité hommes-femmes (Lanchon s.d.) au point que « la révolution de février voit des élues siéger à la Douma de Moscou et de Saint-Pétersbourg » (Gubin et al. 2004 : 181), la reconnaissance du droit de vote aux femmes faisant de la Russie « la première grande puissance à accorder le droit de vote aux femmes » (ibid.), l’instauration de l’égalité salariale et l’octroi de congés de maternité aux femmes (Lanchon ; David et Hazard 1954 : 192), la suppression de « toutes les différences entre enfants légitimes et enfants illégitimes » (David et Hazard 1954 : 297), l’institutionnalisation du divorce par consentement mutuel et « dépourvus de toutes formes » (David et Hazard 1954 : 296), l’octroi de la liberté de choisir le nom de famille au point que Trotsky, lui-même, avait pris le nom de famille de sa femme Nathalie (Lanchon s.d.), la suppression de l’adultère du Code pénal ainsi que la légalisation de l’avortement, étaient parmi les acquis des femmes pendant les premières années de la révolution rouge (Rowbotham 1972 : 270). Le camarade Lénine se targuait d’avoir fait : « en deux ans de pouvoir des soviets, dans un des pays les plus arriérés de l’Europe […] pour l’émancipation des femmes, pour la rendre égale au “sexe fort”, [plus] que ce qui a été fait depuis 130 ans par toutes les républiques avancées, éclairées et “démocratiques” du monde entier », puisque selon lui « chaque cuisinière doit apprendre à diriger l’État » (Lanchon s.d.).

Ces acquis ne vont pas durer. Tout d’abord, sous le poids de la Nouvelle politique économique (NEP), élaborée par Lénine lui-même. Le licenciement des femmes fut alors facilité et des discriminations à l’encontre des ouvrières en matière de salaire et d’emploi furent institutionnalisées (Lanchon s.d.). Ensuite, l’arrivée de « l’horreur stalinienne » (Rosenberg 2008) et son fameux goulag, brillamment décrit par Alexandre Soljénitsyne dans son essai L’Archipel du Goulag, s’est matérialisée – pour les femmes – par l’emprisonnement de milliers de femmes, la fermeture des Zhenotdel (clubs féministes) et l’abolition du « Secrétariat international des femmes » (Borrero 2004 : 383).

Cette horreur stalinienne était aussi marquée par l’adoption, en 1936, d’un Code civil qui institutionnalisa certaines atteintes aux droits des femmes en interdisant l’avortement et en sanctionnant par des amendes le divorce. L’imposition de telles amendes confirme la mainmise machiste sur la révolution bolchevique, étant donné que seuls les hommes parvenaient à les payer et étant donné que :

Sous l’Union Soviétique tout comme sous l’Empire, le mari s’est vu accorder une position privilégiée […]. Il peut sortir travailler et gagner un salaire alors que l’épouse doit demeurer au foyer pour effectuer les travaux ménagers et s’occuper des enfants [Nous traduisons].

Johnson 1969 : 176

Et,

La période du « postcard divorce » contre des frais minimes (trois roubles) a demeuré jusqu’en juin 1936 ; après cette date, […] les frais ont augmenté considérablement : cinquante roubles pour le premier divorce, 150 pour le deuxième et 300 en cas de troisième divorce [Nous traduisons].

ibid. : 178

Rappelons à cet égard que c’est le même Staline dont la femme Nadejda Allilouïeva s’est suicidée à cause de son mauvais traitement (Jégo 2011), dont la fille Svetlana voyait en lui un père cruel (ibid.), qui, en 1936, a contraint le jeune Dimitri Chostakovitch au silence à cause de son opéra Lady Macbeth de Mtsensk. Rappelant celle pratiquée par le Tsar Nicolas Ier sur les oeuvres artistiques (Gréhange 1882 : 155), cette censure est loin d’être anodine. En effet, cette oeuvre de Chostakovitch constitue la première partie d’une trilogie qui vise à dépeindre l’oppression subie par les femmes, avant, pendant et après la révolution[8] (Ashley 2004). Qui plus est, le personnage principal de l’oeuvre est une femme, Katerina, qui « devient meurtrière par dégoût d’un monde où l’on s’ennuie : cet “ennui russe qui mène au suicide”, dont parle Lermontov[9]. Enfermée dans sa cage de verre, elle est témoin et victime de la lâcheté masculine plus que meurtrière dans l’âme » (Merlin 2009).

Enfin, le glissement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques vers « la dictature à parti unique » a vidé le droit de vote accordé aux femmes de toute sa signification. D’ailleurs, « les femmes russes ne votèrent librement aux élections locales qu’en février-mars 1990 et, au niveau national, aux élections présidentielles de juin 1991 » (Gubin et al. 2004 : 181).

C’est dans cette même période, soit dans les années 1990 qu’une liberté relative de vote fut accordée aux Iraniens, hommes et femmes, en dépit du fait que les Iraniennes avaient déjà gagné « le droit de vote et d’éligibilité depuis 1963 » (Gubin et al. 2004 : 388).

B ― La révolution iranienne et l’exemple de Fatemeh

Bien qu’elle soit moins dramatique que celle engendrée par la Révolution française, la déception des femmes iraniennes était très visible depuis les premières années de la révolution. Une déception qui trouve ses racines dans les attentes et les espoirs que ces femmes avaient placés dans la révolution, plus précisément, dans le « discours égalitariste » (Saboouri 1995 : 64) et rassembleur de l’Āyatullāh Rūhu-Allāh Khumaynī et dans les idées avant-gardistes léguées par ‘Alī Sharī’atī. Les idées de ce dernier méritent d’être soulignées puisqu’elles ont beaucoup inspiré le mouvement révolutionnaire (Mir-Hosseini 2002 : 76). Dans son récit Fatima est Fatima, qu’il a écrit en 1971, soit sept ans avant son assassinat et huit ans avant la révolution, Sharī’atī invite les femmes iraniennes à ne pas vivre dans l’ombre des hommes et à s’inspirer de Fātimah, fille du prophète, laquelle incarnait selon Sharī’atī, la femme qui a décidé d’être elle-même ou selon la doyenne Hisae Nakanishi : « [Elle] est une femme qui n’a jamais été passive ou soumise, elle était consciente de son identité musulmane et elle prenait l’initiative d’étudier et de participer aux affaires de la société comme une personne indépendante et non pas comme une assistante de l’homme » (Nakanishi 1998 : 87) [Nous traduisons].

En d’autres termes, pour Sharī’atī, la femme doit se confirmer comme femme et n’a pas besoin de l’intercession de l’homme, même si celui-ci ne devait être nul autre que le prophète lui-même, d’où le titre de son récit Fatemeh Fatemeh ast (Fatima est Fatima).

Motivées par cet idéal de justice égalitaire et partageant « le mécontentement général » (Khian-Thiébaut 2004 : 389) de la population, des milliers de femmes iraniennes ont, en 1978, envahi les rues de Téhéran et d’autres grandes villes du pays en dépit du couvre-feu imposé par le Shāh et en réponse à l’appel qui leur était lancé par Khumaynī (Bahramitash 2003 : 233). Plus encore, conscientes de la légitimité des aspirations de tous les Iraniens, abstraction faite de leur sexe et de leurs appartenances ethniques et linguistiques, ces femmes ont décidé de porter le voile pour manifester leur opposition à l’interdiction qui leur était faite par la loi spéciale de 1975 (qui s’ajoute à celle du 8 janvier 1936), de porter le voile (Khian-Thiébaut 2004 : 387), notamment dans certains lieux publics. Quelques mois plus tard, ce sont ces mêmes femmes qui, après la réussite de la révolution, s’étaient vues obligées de mener leur deuxième révolution en manifestant dans les rues (le 8 mars 1979), contre l’obligation de porter le voile et contre la suspension par Khumaynī de la loi sur la protection familiale (Saboouri 1995 : 61 ; Paidar 1997 : 232). Tout comme le Dieu Janus, le Dieu à deux visages, le voile est devenu, dans l’histoire de la femme iranienne, un symbole de lutte aussi bien contre la dictature laïque que contre l’autoritarisme au nom de la religion. Cette lutte fut également menée contre le Code civil iranien de 1979 dont l’antiféminisme n’a d’égal que celui du Code civil français de 1804. Le Code civil iranien a alors renforcé la structure patriarcale et patrilinéaire de la société iranienne en réservant le droit au divorce aux seuls époux (Nikki 2000), en interdisant à la femme de voyager ou de choisir son lieu de résidence sans le consentement de son époux ou de son père (Poya 1999 : 52), en ramenant l’âge minimum du mariage de 18 à 13 ans pour les femmes (Poya 1999 : 51) et en autorisant la polygamie qui permet aux hommes de prendre jusqu’à quatre épouses en même temps (Khian-Thiébaut 2004 : 389). Certes, la situation de la femme iranienne de 1979 ne ressemble pas à celle du début du 21e siècle, surtout avec les réformes introduites par le gouvernement de Muhamad Khātamī, lesquelles s’inscrivent dans une démarche politique pragmatique d’ouverture et de dialogue aussi bien avec la société civile iranienne qu’avec l’Occident (Bahramitash 2003 : 237), et aussi celles introduites par les conservateurs sous le poids de la large mobilisation et de l’inébranlable détermination des femmes iraniennes. Ainsi, dans les années 1990 et « sous la pression d’une société civile en gestation, l’État a autorisé une relative liberté de presse » (Khian-Thiébaut 2004 : 387) qui permet aux femmes opposantes d’avoir leurs propres magazines et d’accéder, en nombre de plus en plus important, aux fonctions politiques et législatives.

Comme l’a bien souligné Ziba Mir-Hossein,

Les élections présidentielles de 1997 ont montré qu’aucun courant politique ne peut ignorer les nouvelles générations des femmes qui sont nées pendant la révolution islamique et qui réclament l’égalité des opportunités et des droits à tous les niveaux. Aujourd’hui, les femmes constituent une force qui doit être prise en considération [Nous traduisons].

Mir-Hosseini 2002 : 95

C’est dire que le combat des femmes iraniennes et de toutes les femmes arabes et musulmanes demeure « un combat toujours recommencé »[10] (Azria 2008 : 191-195).

III – Des chantiers postrévolutionnaires et un combat toujours recommencé

Notre questionnement de l’histoire des grandes révolutions ne vise pas à jeter un air de cynisme sur le printemps arabe. Loin de là. Tout comme l’historien tunisien, du 14e siècle, ‘Abdurahmān Ibn Khaldūn, nous pensons que l’histoire « consiste à méditer, à s’efforcer d’accéder à la vérité, à expliquer avec finesse les causes et les origines des faits, à connaître à fond le pourquoi et le comment des évènements » et que c’est à partir de cette compréhension que l’avenir peut être préparé. Ce retour à l’histoire est, à notre sens, un appel aux femmes arabes et musulmanes pour qu’elles s’imposent dans le « paysage postrévolutionnaire » et pour qu’elles réclament leurs droits au-delà de ce qu’André Malraux appelle « l’illusion lyrique » de la «ferveur révolutionnaire » inorganisée (Maulpoix 2000). C’est parce qu’elles n’étaient pas emportées par cette illusion et qu’elles se sont inspirées de la Pasionaria et de son célèbre mot d’ordre No pasarán (Ils ne passeront pas) que les femmes espagnoles, qui montaient « en cortège vers la Sierra pour y récupérer des aviateurs républicains blessés dont les appareils ont été abattus » (Maulpoix 2000) et qui avaient donné de leurs vies pour s’opposer à la dictature franquiste, ont pu rétablir leurs droits et avancer leurs statuts (Rodrigues 2007 : 159). Nous pensons que les femmes arabes sont appelées à saisir cet « instant révolutionnaire » en investissant le champ religieux (A) et en valorisant leur partenariat aussi bien avec les hommes qu’avec les femmes appartenant à d’autres sphères culturelles et géographiques (B).

A ― L’investissement du champ religieux

Certes, les femmes arabes doivent profiter de l’héritage légué par les différents mouvements féministes à travers le monde mais aussi, et surtout, elles doivent « s’approcher », à l’instar de ‘Āishah[11] et de Fātimah, du texte coranique et de la tradition apostolique afin d’affirmer leur capacité interprétative « al-qudrah al-ijtihādiyah » ; une capacité qui ne saurait demeurer l’apanage des hommes. Le Prophète n’avait-il pas commandé aux musulmans: « Apprenez une partie de votre religion auprès de la Ḥumayrah[12] » (Qaradāwī) ? Au 7e siècle Al-Aḥnaf avouait, quant à lui, qu’il avait « entendu des discours d’Abū Bakr, ‘Umar, ‘Uthmān et ‘Alī et d’autres Califes jusqu’à ce jour, mais [qu’il n’a] jamais entendu de discours plus persuasifs et aussi beaux que ceux qui sont sortis de la bouche de ‘Āishah » (Smajda s.d. : 352). C’est à travers cette pénétration savante dans le socle religieux que les femmes seront mieux outillées pour faire face à certaines pratiques discriminatoires, voire criminelles, à leur égard. Cet investissement du champ religieux doit correspondre à une volonté « d’émanciper leur statut global dans la société » et non pas « à une volonté de s’ériger en gardiennes de la piété, de créer de nouveaux liens sociaux dans des espaces monosexués et de se mettre en accord avec une exigence de rigueur et d’austérité » (Benkorich 2010 : 5). Des questions portant sur les conditions du mariage, sur la garde des enfants ou sur les obligations et droits conjugaux doivent être discutées, débattues ouvertement et démocratiquement sur la base d’une réflexion solide et d’une interprétation lucide et contextualisante des sources sacrées. Les fondatrices et rédactrices du magazine iranien Zanân l’ont bien compris. En effet, en 1992, ce magazine « publia une série d’articles qui démontrent que le Coran n’interdit pas aux femmes de délivrer les édits religieux et qu’a fortiori elles peuvent prendre la direction religieuse, juridique et politique de la société » (Khian-Thiébaut 2004 : 392). C’est en investissant ce champ religieux que plusieurs pratiques archaïques, voire parfois cruelles, seront combattues et éliminées.

Il est inadmissible qu’au 21e siècle, la scolarisation des filles reste très faible dans certains pays arabes tels que le Yémen (Gudmarsson 2010) et le Soudan (Morrisson 2004)[13] et qu’elle soit même interdite dans d’autres pays membres de l’Organisation de la Coopération Islamique tels que l’Afghanistan et la Somalie.

Il est tout aussi inadmissible, voire condamnable, que les mutilations génitales et l’infibulation des filles soient pratiquées dans certains pays musulmans tels que l’Égypte, Djibouti, le Bénin et d’autres pays africains (Commission Économique pour l’Afrique 2009 : 128) au nom de l’Islam[14] (Agence de la Francophonie 2003 : 5).

Il est également paradoxal, anachronique et ahurissant, qu’au début du 21e siècle, les codes pénaux de plusieurs pays arabes sanctionnent légèrement les auteurs des crimes dits d’honneur, c’est-à-dire les actes d’assassinat ou la tentative d’assassinat d’une femme par « un ou plusieurs de ses proches suite à une liaison extra-maritale supposée, ou à un comportement social ressenti comme une offense aux valeurs familiales et tribales » (Abu Amara 2010 : 169). Pire encore, dans certaines législations arabes, les auteurs de ce crime peuvent même être acquittés. Il en est ainsi en Syrie et en Jordanie. Dans ces deux pays « confrontés aux assassinats liés à l’honneur de la famille » (ibid.), certains juges sont allés jusqu’à exempter les auteurs[15] (ibid.). En effet, l’article 548 du Code pénal syrien dispose que :

  1. Quiconque surprend son épouse ou l’une de ses ascendantes ou descendantes ou sa soeur en train de commettre un adultère ou de se livrer à des actes sexuels illégitimes avec une autre personne, et blesse ou tue involontairement l’un d’eux ou les deux, bénéficie d’une exonération de peine.

  2. L’auteur du meurtre ou des blessures bénéficie d’une peine réduite s’il surprend son épouse ou l’une de ses ascendantes ou descendantes ou sa soeur dans une situation « suspecte » avec une autre personne.

Ce sont presque les mêmes dispositions qui sont reproduites dans l’article 340 du Code pénal jordanien « intitulé “excuse in murder” (excuse du meurtre) » (ibid.). L’article 98 de ce Code jordanien « intitulé “fit of fury” (accès de rage) » (ibid.) correspond, quant à lui, à l’article 242 du Code pénal syrien, lequel dispose que « quiconque commet un crime sous l’effet d’une grande colère provoquée par un acte répréhensible et dangereux commis par la victime est passible d’une peine réduite ».

Désormais, ces « chantiers de l’égalité » pour reprendre l’expression de Rim Aloui Gtari dans sa thèse de doctorat « Le chantier de l’égalité, “un triomphe incomplet” : les femmes tunisiennes entre rénovation et conservatisme », ne peuvent réussir en l’absence d’un esprit de partenariat avec l’homme.

B ― La valorisation du partenariat

Le partenariat entre la femme et l’homme équivaudrait à dire que les hommes doivent cesser de considérer la femme comme un « un être relatif », un être dont l’existence ne peut se définir que par sa soumission à l’homme. Elle équivaudrait surtout à dire que les femmes arabes et musulmanes sont appelées à voir dans l’homme un partenaire et non un ennemi ou un tuteur. Ce partenariat qui constitue un dépassement par les femmes de toute attitude victimaire inscrite dans la logique du bourreau/victime doit se manifester aussi bien sur le plan théorique et doctrinal (la littérature féministe) que sur le plan pratique et fonctionnel. Ce partenariat doit alors se concrétiser dans tous les domaines, notamment dans le domaine de la « gestion de la chose publique » et dans le domaine médiatique. À cet égard, nous pensons que l’adoption ou la consolidation du système dit des quotas pour « garantir la participation de la femme dans les structures de représentation et d’énoncer ce quota dans la constitution ou dans le code électoral » (El Bour 2009 : 5) est une piste digne d’intérêt et d’études plus approfondies. Ce système des quotas devrait également être étendu au champ médiatique tout comme le suggèrent les auteurs de l’étude commandée par l’Institut International de Recherche et de Formation des Nations Unies pour la Promotion de la Femme (UN-INSTRAW) et le Centre de la Femme Arabe pour la Formation et la Recherche (CAWTAR) dans le cadre de leur projet sur le « renforcement du leadership féminin et de la participation des femmes à la vie politique et au processus de prise des décisions en Algérie, au Maroc et en Tunisie » (ibid.). Ces auteurs sont arrivés à la conclusion que « l’analyse du comportement des femmes face aux médias à partir du corpus étudié, montre que la prise de parole est monopolisée par les hommes, soit dans cinq articles sur six. Les femmes interviennent dans deux cas seulement, et même dans ce genre de situation, les hommes viennent partager avec elles le temps de la parole. Dans les deux cas précités, le discours des femmes est généraliste reproduisant des contenus développés par les acteurs hommes » (ibid.). Il est clair que les femmes sont appelées, dans le cadre de ce partenariat, à développer leurs propres discours et à faire en sorte que ce système de quotas ne prend pas la forme d’un « don masculin ». Ce système de quotas est un « droit » et il doit être perçu et reconnu comme tel aussi bien par les femmes que par les hommes.

Nous pensons enfin que la valorisation de ce partenariat peut être comprise comme une traduction du concept coranique dit de régulation « sunatu al-tadāfu’ » et de connaissance « al-ta’āruf ». Ce concept est basé sur les versets qui déclarent « Ô hommes ! Nous vous avons été créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous […] » (Coran, Sourate XLIX, Verset 13).

Conclusion

Je suis Shahrazād, le poème. Ma voix une chanson de blessures. Je nais à chaque jour et je repars à chaque aube. Shahrayār tuait les femmes. Il tuait les poèmes […] J’ai vu les larmes des vierges. Et comment périssent les vierges au palais des souffrances […] Shahrayār est devenu prisonnier des mille nuits, prisonnier de son conte. Puis j’ai dit au conte : Moi je libère les prisonnières. Soulevez-vous prisonnières ! Je suis Shahrazād.

Fayrouz, chanteuse libanaise

Nous concluons cet article sur une note positive, puisque nous pensons que l’inscription de la parité – dans les listes électorales – dans les nouvelles lois électorales en Tunisie et en Libye et la participation massive des femmes tunisiennes (et égyptiennes) dans les élections de l’Assemblée constituante et leur obtention de 49 sièges (sur les 217) est un début encourageant qui mérite d’être souligné et qui devrait être suivie par d’autres réalisations qui permettront de neutraliser toute velléité des hommes de récupérer le fait révolutionnaire et, surtout, pour empêcher l’émergence de tout discours radical contestant les acquis, aussi maigres soient-ils, de la femme libyenne, yéménite, égyptienne et tunisienne. Les femmes arabes et musulmanes sont appelées plus que jamais à rompre avec « l’attentisme godotien »[16] en participant aux débats politiques et économiques, en « gagnant » leurs places dans les différentes organisations de la société civile et en tissant des réseaux et des liens avec les mouvements féministes à travers le monde.

D’ailleurs, nous sommes convaincu que c’est grâce à cette participation et à cet esprit de partenariat que « les femmes peuvent améliorer leur statut en s’opposant à toutes les atteintes, législatives et politiques, à leurs droits. Plus précisément, […] En tant que légistes les femmes seront en mesure d’examiner minutieusement aussi bien les législations portant sur les crimes d’honneur et les crimes passionnels que les dispositions qui semblent être “neutres”, mais qui sont – en pratique – discriminatoires contre les femmes et les filles » (United Nations s.d.) et « de limiter les moyens de défense utilisés dans les crimes d’honneur et les crimes passionnels en excluant leurs applications dans les cas d’adultère, les cas impliquant le facteur honneur ainsi que dans le “fémicide” domestique » (ibid.) [Nous traduisons].

Disons-le encore une fois, les femmes arabes qui ont délogé des dictateurs incultes et patentés et qui « ont fait peur à la mort »[17] sont capables de construire une société égalitaire, tolérante et ouverte. C’est notre intime conviction.