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Les crises politiques, quelles que soient leur origine ou leur dimension géographique et quel que soit leur point de départ, représentent d’abord la destruction du lien social. Si l’on envisage les crises politiques comme résultant de la rupture d’un pacte politique, le problème pourrait être abordé en analysant les causes par lesquelles le lien social est rompu. Les conflits violents sont des formes extrêmes de confrontation dans lesquelles des antagonismes latents se rendent manifestes et apparemment insolubles, sauf par la force – et parfois même pas par l’usage de la force. Depuis la création de l’onu en 1945, plus d’une centaine de conflits ont éclaté dans le monde. Près de la moitié (45 %) de ces conflits ont sévi sur le continent africain. L’Afrique a connu plus de 75 conflits armés depuis 1945 et autant de coups d’État depuis 1952. Voici quelques-unes des questions en jeu qui expliquent la raison d’être de ce livre.

En deux parties, quatre chapitres et vingt et un articles, plus une introduction et une postface, vingt-trois auteurs analysent, selon différentes perspectives, les conflits et, en particulier, la situation en Afrique. Le livre est le produit des contributions théoriques et des études de cas concrets présentées à l’occasion des travaux d’un colloque international qui s’est tenu pendant l’année 2006 à l’Université de Ouagadougou (capitale du Burkina Faso), sur le thème « Fins et moyens pacifiques de sortie de crise ».

Bien que le livre traite des cas d’Afrique, il comporte des points en commun avec d’autres régions du tiers-monde qui ont eu des expériences similaires et doivent faire face aux mêmes défis dans la construction de leur avenir. Les conflits et les crises sont une menace directe à la survie même des sociétés africaines, de sorte qu’il est essentiel d’en mesurer les causes. Toutefois, pour D. Samb – l’un des auteurs –, sur le plan purement historique on peut retenir que le principal facteur à l’origine des conflits contemporains en Afrique reste indéniablement le colonialisme. Dans l`étiologie des conflits, cet auteur, citant I.W. Zartman, signale qu’on peut distinguer six grandes causes de conflits en Afrique : les luttes pour le pouvoir consécutives à la décolonisation ; les problèmes liés à la consolidation de l’État-nation après l’indépendance ; les conflits entre mouvements de libération nationale rivaux ; les litiges frontaliers nés de l’identification d’un territoire mal défini ; les rivalités structurelles ou traditionnelles et, enfin, l’emballement des moyens et l’introduction d’armes étrangères.

Alors, même si ces différentes causes peuvent être trouvées partout, séparément ou en combinaison de plusieurs d’entre elles, comment peut-on aborder leur analyse pour trouver un chemin de solution ? Il faut certainement avoir à l’esprit la nature et l’évolution des différents types de conflits pour prévenir les crises et les résoudre convenablement. Par résolution, des conflits ou des crises, il faut comprendre exclusivement, au sens du droit international, leur règlement, c’est-à-dire le fait de chercher à mettre fin à une situation litigieuse ou qui peut le devenir. Néanmoins, en Afrique comme ailleurs pour une large partie du monde en développement, les conflits et les crises sont une menace directe à la survie même des sociétés, et ils ont un coût économique considérable que, dans le cas de l’Afrique subsaharienne, la Banque mondiale a estimé à 2,3 milliards de dollars par an.

D’après les auteurs, les conflits en Afrique occidentale revêtent essentiellement deux formes : les conflits entre États ou conflits de souveraineté et ceux de nature interne. Selon E.-M. Mbonda, presque toutes les crises politiques dans les sociétés multiethniques d’Afrique trouvent leurs racines dans l’appartenance ethnique.

Bien que tous les pays du monde aient connu dans leur histoire des périodes de conflits intérieurs graves, les cas africains montrent comment, aujourd’hui, on assiste parfois à de véritables crimes contre l’humanité. Le continent à explorer quand on veut traiter de la démocratie en postcolonie est immense. La question fondamentale et générique est celle de la possibilité d’une démocratie dans des États sans souveraineté et sans citoyens, avec des pouvoirs qui sont toujours hors des frontières à la fois géographiques et mentales. Absence de souveraineté : car pas mal de pays africains sont sous surveillance permanente en raison des intérêts qu’ils représentent ; citoyenneté introuvable : car s’il n’y a pas de souveraineté il n’y a pas ni citoyenneté, ni droits ni richesse ; faillite des élites et crise de la représentation : « […] parce que ce sont ces élites autoproclamées, puisque personne ne les a élues pour signer les contrats et engager leur pays dans les impasses, qui doivent peut-être être rééduquées […] » (p. 99). Alors, comment rendre la démocratie pérenne dans un contexte de pauvreté absolue ? Comment faire la transition vers des sociétés démocratiques ? B. Cassin, analysant le cas de l’Afrique du Sud, signale que trois conditions apparaissent nécessaires pour passer de la guerre à la réconciliation : une politique de la mémoire, une politique de la justice et une politique de la parole.

Le début du 21e siècle est particulièrement marqué dans les sociétés d’Afrique centrale par deux événements contradictoires : la dissémination de la violence guerrière à dimension nationale, régionale, voire internationale, et la généralisation des expériences démocratiques depuis 1990. Les zones de conflits armés sont généralement riches en ressources minières que les protagonistes cherchent à contrôler. Selon la Banque mondiale, d’après A. Niang, il y a 50 % de risque qu’un processus de paix échoue en Afrique, et la probabilité de l’échec est encore plus grande lorsque les ressources naturelles sont au centre du conflit. Sur le plan international, d’abord, la fin de la guerre froide et l’expansion de la mondialisation augmentent l’influence économique et politique de la Chine, des États-Unis et aussi du Brésil, longtemps indifférents à l’Afrique.

Cela peut paraître paradoxal, mais plusieurs méthodes de régulation des différends ont été mises en place au sud du Sahara. Il s’agit des méthodes traditionnelles ou modernes de rétablissement de la paix et, alors que l’Afrique est la région où il y a le plus grand nombre de conflits dans le monde, le nombre d’instruments mis en oeuvre pour prévenir, gérer et régler des conflits, pour maintenir la paix et la sécurité est remarquable. Ce sont des réponses qui préservent les aspects ancestraux, originaux de certaines cultures anciennes ; comme d’autres réponses sont mieux enracinées dans la tradition idéaliste de pardon ou de réconciliation que dans la vérité, la justice, la constitution et la loi, ou encore la philosophie et la science politique. Le livre souligne ainsi l’importance des aspects culturels, ethniques et sociaux des communautés de l’Afrique subsaharienne. Le nombre de conflits armés depuis 1945 et autant de coups d’État conduisent à s’interroger, d’une part, sur la capacité des mécanismes de prévention et de résolution des conflits à garantir la paix et, d’autre part, sur les voies alternatives et novatrices de sortie de crise (p. 287-288). L’espoir est que l’Afrique puisse résoudre ses propres conflits et les problèmes de sécurité en vue de maintenir la paix et le développement. En ce sens, le livre fournit une meilleure compréhension des drames que vit aujourd’hui ce continent.