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Mettant à contribution de nombreux universitaires européens et états-uniens issus de la science politique et des sciences sociales, cet ouvrage collectif se penche sur la question de l’intégration politique des immigrants en Europe de l’Ouest en se focalisant sur la représentation politique des minorités issues de l’immigration en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Le livre situe cette question dans le contexte d’une conception de plus en plus négative de l’immigration dans le discours politique. Plusieurs questions traversent l’ensemble des chapitres, conférant à ce livre une cohérence interne remarquable pour un ouvrage collectif : Pourquoi la représentation politique des minorités connaît-elle depuis peu une croissance ? Quels rôles y jouent les facteurs conjoncturels et la mobilisation de base ? Pourquoi les partis politiques majeurs souhaitent-ils se diversifier et quel est le rôle politique des représentants des minorités ? En plus des analyses empiriques nationales, l’intérêt de l’ouvrage réside dans sa contribution sur le plan théorique, l’étude prenant en compte plusieurs niveaux d’analyse : individuels, groupaux, locaux, nationaux et supranationaux.

Faisant suite à deux articles introductifs, les chapitres 3 à 6 sont consacrés à l’analyse empirique de chacun des États déjà mentionnés et permettent de voir les différentes dynamiques et les facteurs structurels et institutionnels conditionnant l’intégration politique des minorités. Par exemple, la mobilisation de base des communautés minoritaires a joué un rôle important en Grande-Bretagne, notamment au sein du Labour Party, alors qu’une telle pression n’a pas pu être exercée en Allemagne en raison du mode de scrutin proportionnel et de la faible concentration spatiale des minorités. Nous retiendrons le chapitre de Vincent Geisser et El Yamine Soum avançant que le monde politique français est maintenant marqué par un « multiculturalisme nationaliste ». Ces auteurs notent que les politiciens soutenant le plus la diversification de leurs partis ont aussi tenu un discours xénophobe au sein du débat sur l’identité nationale. La promotion de la diversité se ferait alors tout en réaffirmant la supériorité de l’identité française et en maintenant intactes les structures de pouvoir privilégiant l’élite politique nationale.

Cet ouvrage nous renseigne sur d’importantes disparités au regard de la représentativité, allant du cas français (une seule députée d’origine non européenne) au néerlandais où la proportionnalité est atteinte. Il ne se borne toutefois pas à cet aspect numérique et analyse plutôt le rôle et le poids politiques des représentants. Ainsi, l’intérêt du chapitre sur les Pays-Bas réside dans la présentation du fait que, malgré un succès sur le plan de la représentation politique des minorités, les élus issus de l’immigration sont demeurés impuissants et silencieux dans le débat ayant remis en question le multiculturalisme.

À titre de conclusion, Martin A. Schain signe le chapitre le plus pertinent. Il y situe très bien la question de l’intégration politique des minorités en Europe dans le contexte actuel de la réaffirmation des postures assimilationnistes et des lectures ethniques de la citoyenneté posant les immigrants non européens, et a fortiori les musulmans, comme un danger pour la culture européenne. Comparant les États-Unis aux États ouest-européens, il y interroge la relation entre la représentation politique des minorités et les bénéfices pour les communautés issues de l’immigration. Il montre que les immigrants sont appréhendés différemment au niveau politique des deux côtés de l’Atlantique. Alors qu’aux États-Unis ils y sont vus comme un bassin d’électeurs, en Europe ils font figure d’enjeu d’identité nationale. Selon l’auteur, du côté européen l’accent a été mis sur la représentation politique des minorités plutôt que sur les politiques qui leur sont favorables. Schain note d’ailleurs avec justesse que les avancées en termes de représentation politique des minorités se sont faites en parallèle avec la remise en question du multiculturalisme et l’application de politiques restrictives en matière d’immigration et d’intégration. De plus, la plupart des bénéfices obtenus par les minorités au sein des différents États-nations n’ont que très peu à voir avec la mobilisation des communautés et la volonté des partis de gonfler leur électorat. En effet, ils découlent en grande partie de la Directive sur l’égalité raciale adoptée par le Conseil européen en 2000 dont le long processus jusqu’à son adoption est d’ailleurs fort bien présenté par Terri E. Givens et Rhonda Evans Case au chapitre 8. Rendant justice à toute la complexité du phénomène, les auteurs font état des obstacles institutionnels, structurels et idéologiques à la représentation politique des minorités, tout en reconnaissant les avancées en matière d’intégration politique. Celles-ci se manifestent aussi bien par l’augmentation d’élus d’origine non européenne que par le fait que les immigrants ne votent pas mécaniquement pour un membre de leur communauté, mais se posent en citoyens en appuyant le candidat le plus susceptible de défendre leurs intérêts, qu’il soit du groupe majoritaire ou d’une communauté minoritaire.

De façon à la fois synthétique et dense, cet ouvrage présente un survol réussi des récents développements en matière d’intégration et de représentation politiques des minorités en Europe de l’Ouest et offre au final une perspective comparative fort instructive avec la situation états-unienne. La méthodologie est de qualité, les auteurs employant l’analyse de discours, des données d’opinion publique et des entrevues avec les élites. De plus, plusieurs chapitres proposent des typologies et des hypothèses stimulant la réflexion et offrant des outils d’analyse pour l’étude d’autres situations nationales. Toutefois, la question du racisme est abordée de façon inégale, certains la plaçant au coeur de l’analyse et d’autres la laissant en plan, proposant de ce fait des articles trop peu critiques, malgré leur qualité descriptive indéniable.