Corps de l’article

Cette contribution approche la question de la spécificité d’une politique de défense européenne par l’un des éléments essentiels de l’action extérieure de l’Union européenne (ue) : son articulation avec d’autres organisations multilatérales. L’ue souhaite que toutes ses relations suivent les principes d’un partenariat, une coopération confiante et approfondie. Comment cette aspiration s’exprime-t-elle en pratique ?

Cette question est pertinente si l’on considère que, depuis la Stratégie européenne de sécurité de 2003, l’engagement de l’ue à promouvoir un « multilatéralisme efficace » est mis en avant de manière constante dans tous ses documents et discours (Conseil européen 2003 : 9). Le multilatéralisme efficace n’est pas une approche instrumentale. Il est plutôt basé sur la considération que l’action extérieure de l’ue n’est pas envisageable à moins d’oeuvrer en partenariat avec d’autres organisations multilatérales et d’aboutir ainsi à un renforcement mutuel systématique (voir Krause 2012). Les relations entre organisations sont alors d’un autre type qu’un « partenariat stratégique » établi en fonction de certains points de convergence concrets. Il s’agit de faire en sorte que l’engagement multilatéral européen ait des suites réelles dans la politique mondiale, au lieu de ne constituer qu’une déclaration d’intentions de la part de l’ue (voir Koops 2011 : 80-82).

Cela étant, pour plusieurs chercheurs, quand l’action extérieure européenne est confrontée à ses déclarations de principes, les acteurs qui représentent directement ou indirectement l’ue sur la scène internationale s’avèrent manquer de cohérence dans la mise en pratique du multilatéralisme efficace (Kissack 2010 ; Koops 2011). Quoi qu’il en soit, cette contribution considère qu’il faut prendre cet engagement au sérieux, puisqu’il a engendré des dynamiques importantes entre acteurs internationaux de la gestion des crises. En effet, l’importance donnée au multilatéralisme efficace a accompagné spécifiquement la Politique de sécurité et de défense commune (psdc) de l’ue : la coopération opérationnelle avec d’autres organisations multilatérales fait ainsi figure de « multilatéralisme efficace sur le terrain » (cité par Koops 2011 : 33). Jusqu’à présent, c’est avec l’Organisation des Nations Unies (onu), l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (otan), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (osce) et l’Union africaine (ue) que l’ue a coopéré sur le terrain et engagé un échange politique approfondi (Grevi, Keohane et Helly 2009).

Cette contribution montre tout d’abord l’apport d’une approche inspirée par l’institutionnalisme sociologique. Elle adopte cette perspective en mettant ensuite l’accent sur les références culturelles en jeu, et plus particulièrement la culture stratégique européenne, c’est-à-dire la manière propre à l’ue d’envisager l’emploi de la force armée sous « son » drapeau et la place du militaire dans son action extérieure[1]. Mais, surtout, elle s’intéresse aux pratiques, des comportements individuels qui requièrent une certaine compétence au regard d’un contexte social spécifique et qui reproduisent de façon répétée les mêmes significations (Adler et Pouliot 2011 : 6), de même qu’aux liens de communauté que peuvent créer des pratiques communes entre organisations. Les communautés de pratique (Adler 2005 ; Wenger 2005) qui ont émergé à travers les rapports de l’ue avec l’onu, l’otan, l’osce et l’ua n’ont cependant pas encore mené à un partenariat conforme au multilatéralisme efficace, comme le montre une discussion empirique plus détaillée.

I – Comment appréhender le rapport de l’ue avec les autres acteurs multilatéraux ?

L’approche de l’ue en matière de multilatéralisme efficace peut être abordée dans une perspective institutionnaliste (Krause 2012). Le multilatéralisme efficace est alors envisagé comme une institution au sens de l’institutionnalisme sociologique, qui y voit « un ensemble relativement stable de pratiques et de règles qui définit ce qu’est le comportement approprié pour des groupes spécifiques d’acteurs dans des situations spécifiques » (March et Olsen 1998 : 948). Les pratiques de l’ue et des organisations multilatérales avec lesquelles elle aspire à un partenariat devraient alors être marquées par une recherche de renforcement mutuel. La psdc, par exemple, est censée contribuer à la gouvernance multilatérale des enjeux de sécurité internationaux, notamment en conditionnant l’intervention de forces armées sous drapeau de l’ue au respect de la Charte des Nations Unies, voire à une requête de l’onu (Tardy 2009 : 44-45).

Pourtant, dans les relations entre la psdc et les organisations multilatérales, les exemples de compétition ou de coopération inefficace abondent, notamment lors d’opérations qui n’ont finalement pas eu lieu, ont perdu au fil des tractations l’essentiel de leur portée ou s’avèrent difficiles à coordonner sur le terrain (Grevi, Keohane et Helly 2009 ; Gowan 2009a ; Hofmann 2009). Dans le domaine de la gestion des crises internationales, le multilatéralisme efficace a, jusqu’à la fin des années 2000 au moins, paru dans les faits comme un moyen pour l’ue de mettre en valeur sa spécificité d’acteur international, plutôt que comme une institution permettant le développement d’un partenariat avec d’autres organisations (Koops 2011). Qu’il y ait une « voix unique » européenne n’a pas été non plus favorable dans tous les cas au renforcement des acteurs multilatéraux (Kissack 2010).

Ces observations tendent à soutenir l’argument selon lequel l’action extérieure européenne est incohérente et en fin de compte décevante. Mais cet accent mis sur l’efficacité réduit la perspective et risque de mener à des conclusions équivoques. Faute d’une conception adéquate de l’ue comme acteur politique, ce sont les États-nations qui servent de mesure, ce qui empêche de saisir une fonction essentielle que remplissent la conception et la mise en place de l’action extérieure de l’ue : renforcer et approfondir le processus d’intégration européenne (Bickerton 2011). Cet élément fonctionnel apparaît par exemple dans la stratégie de partenariat de l’ue avec l’Union africaine, critiquée comme étant « d’abord un instrument utilisé pour clarifier la compréhension de soi européenne » (Brüne 2010 : 148). Il doit également être pris en compte lorsqu’il s’agit d’évaluer les activités de la psdc, surtout ses opérations militaires (voir Rayroux, à paraître). Cette contribution souligne un autre aspect incontournable qui ressort de l’analyse du multilatéralisme efficace : l’aspiration à une « approche européenne » unique des enjeux internationaux.

Le partenariat que l’ue estime avoir établi avec l’onu, l’otan, l’osce et l’ua autour de la psdc lie des organisations internationales gouvernementales – la psdc étant parmi les cadres les plus intergouvernementaux dans l’ue. Ce genre de rapports a gagné considérablement en importance au cours des deux dernières décennies, notamment en ce qui concerne la coopération pour intervenir efficacement avec des moyens militaires (Ojanen 2004 : 19 ; Koops 2011 : 59-65). Des études récentes ont commencé à explorer les exemples et les implications conceptuelles de cet « interorganisationnalisme » (Biermann 2008 ; Koops 2009 ; Brosig 2011), mais elles souffrent encore de plusieurs lacunes ou défauts.

D’abord, organisations et institutions ont tendance à être traitées comme équivalentes quand l’attention première se porte sur ce qui est formalisé, comme c’est le cas des régimes et des organisations (Gehring et Oberthür 2009 ; Brosig 2010). Adopter cette équivalence suggère alors que les partenariats entre organisations promus par l’ue dans son action extérieure ne sont qu’une forme particulièrement intense d’imbrication institutionnelle (Koops 2011).

L’intérêt prioritaire pour des institutions formalisées est pourtant discutable dans une perspective sociologique, où les institutions représentent des règles du jeu, alors que les organisations sont quant à elles des acteurs qui disposent de diverses ressources et regroupent des membres et un personnel qui leur est propre (Menon 2011 : 85). Dans une organisation, il est donc à supposer qu’il y ait un certain nombre d’institutions différentes ; à l’inverse, les institutions peuvent déborder les limites organisationnelles. Il peut donc exister des contradictions, comme dans le cas de l’otan, où le changement organisationnel que représente l’élargissement à de nouveaux membres n’a pas eu d’effet favorable sur la transformation institutionnelle vers une organisation qui s’occuperait avant tout de la gestion des crises internationales (Irondelle et Lachmann 2011).

Par ailleurs, l’intérêt pour les différentes manières dont les organisations en tant que cadres institutionnels se recoupent est lui aussi issu d’une focale sur les institutions formalisées. Les études institutionnalistes ont notamment soulevé l’existence de recoupements partiels entre institutions, et de cas où elles s’ordonnent en cercles concentriques, tous les membres d’une organisation faisant partie aussi d’une autre, dont ils ne constituent qu’une partie (Young 1996). Alors que l’ue et l’ua n’ont pas de membres en commun, tous les États qui appartiennent à l’ue font partie aussi de l’onu et de l’osce, organisations dont la composition s’étend considérablement au-delà des membres de l’ue. Le cas le plus significatif est cependant le recoupement partiel entre l’ue et l’otan, dont 21 des membres leur sont communs. Les relations ue-otan sont marquées par le fait que, dans des cadres intergouvernementaux où les décisions doivent être prises à l’unanimité, certains membres peuvent « prendre en otage » la coopération (Hofmann 2009 : 46). La triade Chypre-Grèce-Turquie a notamment bloqué tout rapprochement officiel supplémentaire depuis le début des années 2000.

Les critères formels de prise de décision et d’appartenance commune sont source de potentiels conflits ou coopérations entre des organisations qui mènent leurs activités avec les ressources de leurs membres, comme l’ue dans le cadre de la psdc, et les acteurs multilatéraux avec lesquels elles coopèrent pour la gestion des crises internationales. Cependant, il serait erroné de vouloir déterminer la manière dont une coopération efficace peut s’établir sur la base de ces seuls éléments et de l’observation des activités passées et en cours des organisations respectives (par exemple Biermann 2008). Cette contribution montre au contraire que d’importantes dynamiques institutionnelles beaucoup moins formalisées affectent l’articulation des différentes approches organisationnelles concernant ce que ces organisations estiment être leurs domaines prioritaires, comme l’est aujourd’hui la gestion des crises internationales dans notre cas (voir Hofmann 2011). Trois facteurs rendent presque inévitable le fait qu’un partenariat en phase avec le multilatéralisme efficace s’exprime uniquement à travers des pratiques, et non dans des structures de coopération formalisées, ce qui justifie une approche inspirée de l’institutionnalisme sociologique.

D’abord, les logiques organisationnelles restent susceptibles de l’emporter sur la recherche d’une coopération efficace, ce qui invite à être sceptique envers les postulats de l’institutionnalisme rationaliste, axés sur la recherche d’efficacité (voir Brosig 2010, pour une version nuancée). Par exemple, l’étude de la coopération militaire entre l’ue et l’onu montre qu’une partie des relations entre ces organisations travaillant dans le même domaine continue d’être compétitive (Tardy 2009 : 52). Ensuite, la prépondérance de pratiques avant tout informelles suggère que la gestion des crises internationales est un domaine au fonctionnement avant tout réactif, malgré tous les éléments de prévention et de prévision qui l’accompagnent, ce qui rend difficiles l’établissement de routines et l’adaptation des cadres formels aux ambitions et pratiques de la coopération entre organisations. Enfin, bien que la psdc soit récente – elle a été lancée à la fin des années 1990 – et donc toujours en développement, l’implication de l’ue dans la gestion des crises internationales mène de fait à une redéfinition des rapports entre l’organisation européenne et les autres acteurs multilatéraux intervenant dans ce domaine. Il n’est alors pas surprenant qu’en ce qui concerne l’action européenne en Afrique, par exemple, l’apport de l’institutionnalisme historique, qui met l’accent sur la dépendance au sentier, s’avère lui aussi limité (Olsen 2011).

La relative nouveauté de la psdc a soulevé le problème de la division des tâches et de leur formalisation dans le cadre d’un partenariat entre organisations. Au moment du lancement de ce qui était alors appelé la Politique européenne de sécurité et de défense à la fin des années 1990, l’ue entretenait déjà des relations avec les organisations qui sont désormais considérées comme des partenaires dans la gestion des crises internationales, à l’exception de l’ua dont la création est plus récente (2002). Dans ses rapports avec l’otan notamment, la division des tâches pendant presque toute la guerre froide était d’apparence nette, les questions de défense ayant été marginalisées dans le processus d’intégration européenne après l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954 (Toje 2008 : 21-49).

Après la fin de la guerre froide, l’ue a non seulement mené des opérations militaires, d’abord par l’entremise de l’Union de l’Europe occidentale, puis par la psdc, mais elle s’est aussi engagée en matière de monitorat, l’une des activités essentielles de la Conférence pour la sécurité et la paix en Europe (csce), devenue l’osce. Ses activités de gestion de crises internationales ont aussi changé ses rapports avec l’onu, notamment en rendant possibles des opérations de paix européennes à composante militaire en soutien ou comme solution alternative au déploiement de Casques bleus.

En somme, les rapports de l’ue avec les acteurs multilatéraux de la gestion des crises internationales indiquent un flottement notable induit par les plus récents recoupements et redéfinitions entre ces organisations. La question d’une culture stratégique européenne particulière vient alors ajouter à ce flottement.

II – La culture stratégique européenne, facteur de tension avec les partenaires multilatéraux ?

La notion de culture stratégique européenne apparaît dans la stratégie européenne de sécurité publiée en 2003, où est évoquée la nécessité d’une « culture stratégique propre à favoriser des interventions en amont, rapides et, si nécessaire, robustes » (Conseil européen 2003 : 12). Pour les autres acteurs multilatéraux de la gestion des crises internationales, l’accent mis sur le multilatéralisme efficace est prometteur dans la perspective d’un partenariat où les organisations agiraient d’une manière complémentaire, y compris en ce qui concerne l’usage de la force.

Saisir la culture stratégique européenne donne une perspective valable sur la manière dont l’ue, par le biais de la psdc, se positionne par rapport à d’autres organisations internationales. Il convient de s’interroger toutefois sur le degré auquel une telle référence culturelle peut être partagée entre des acteurs distincts. Le débat concernant la culture stratégique européenne, parfois aussi conceptualisée comme « culture de sécurité », porte sur la question de savoir si elle existe et si elle peut être plus qu’une synthèse au plus petit dénominateur commun des différentes visions des États membres (voir la discussion par Biava et al. 2011).

Le lien entre les références culturelles de la psdc, l’accent mis sur une approche civilo-militaire et le multilatéralisme efficace suggère un potentiel de convergence entre l’ue et les autres acteurs multilatéraux. Mais la posture européenne s’avère contradictoire. Depuis 2000, alors que des projets ambitieux dans les domaines institutionnel et socioéconomique de l’intégration européenne ont échoué, c’est sur l’action extérieure qu’a notamment pesé le poids de maintenir l’ue comme un modèle, en abordant les défis internationaux de manière distincte et adéquate (Bickerton 2011). L’ue affirme qu’elle est, sinon le seul, en tout cas le premier acteur international à avoir développé une approche civilo-militaire « englobante » face aux défis de sécurité internationaux et à la gestion des crises internationales. En témoigne l’affirmation de l’ancien haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune de l’ue, Javier Solana, pour qui cette conception « était en avance sur son temps quand elle a été conçue […], a prouvé sa validité et a été largement adoptée par d’autres » (Solana 2009 : 7).

Ce sentiment d’avoir élaboré un cadre conceptuel à la fois englobant et pionnier s’accompagne aussi de l’idée que les dispositions du traité de Lisbonne et la mise en place du Service européen pour l’action extérieure décupleront son potentiel. Cette vision du développement de l’action extérieure de l’ue ne manque pas d’influencer les relations avec les « autres » organisations multilatérales. Notamment, elle façonne les représentations sociales, « les images et concepts partagés par lesquels nous, en tant qu’individus, organisons notre monde », qui se situent entre les préférences particulières et les références culturelles souvent rattachées à des ensembles comme des organisations (Mérand 2006 : 131).

Dans la représentation exprimée par Solana et partagée par d’autres responsables de l’action extérieure de l’Union européenne, les organisations partenaires ont suivi la démarche pionnière de l’ue pour saisir d’une manière adéquate les enjeux de la gestion des crises internationales. Pourtant, l’ue n’est pas la seule organisation multilatérale à avoir conceptualisé une « approche globale » pour établir la manière appropriée d’utiliser des moyens civils et militaires en partenariat avec d’autres acteurs afin d’intervenir efficacement : depuis 2005, l’otan et l’onu ont fait de même (Major et Mölling 2009). De plus, l’ue n’a pas conceptualisé en pionnière la notion de « gestion de crise », mais elle se l’est appropriée à partir de l’onu[2].

La distinction que l’ue opère entre la psdc et ces autres acteurs multilatéraux est sous-tendue par l’idée qu’elle a à sa disposition un éventail inégalé d’outils pour la gestion des crises internationales, et qu’elle a appréhendé le plus rapidement et le plus adéquatement les enjeux dans ce domaine. Cela rend alors ambigus les engagements à l’égard du multilatéralisme efficace et de l’approche « globale » civilo-militaire, dans la mesure où une partie essentielle de cette dernière réside dans la coopération entre acteurs internationaux, et plus particulièrement multilatéraux. Ces derniers sont considérés à la fois comme des partenaires possédant une expertise et des capacités bénéfiques au développement de la psdc, et comme des organisations moins complètes ou moins modernes que l’ue pour gérer les crises internationales[3]. De ce fait, c’est surtout ce que l’ue peut ou pourrait devenir qui pèse lourd sur les rapports – comme en ont témoigné les craintes que ce qui est aujourd’hui la psdc représente « la plus grande menace pour l’avenir de l’otan », pour reprendre la formule employée en 2003 par l’ambassadeur des États-Unis à l’otan (cité par Hofmann 2011 : 109).

L’effet sur les rapports entre organisations est perturbateur. L’ue appréhende ses partenariats en matière de gestion des crises internationales dans la perspective d’un acteur qui, malgré sa nature régionale et ses moyens limités, a achevé une progression rapide en liant son cadre d’intervention, la psdc, à l’éventail d’outils multiples dont elle dispose. De ce fait, elle se montre fortement réticente à tout élément qui pourrait signifier une certaine hiérarchie. De plus, les « problèmes de croissance » de l’ue en matière de moyens entraînent une réceptivité limitée aux demandes venant des organisations décrites comme des partenaires. Par rapport à l’otan s’est manifestée une volonté de ne pas définir de manière claire les compétences de la psdc, ce qui a débouché sur des « empiètements » d’un côté et de l’autre dans le domaine civil ou militaire (Hofmann 2009 : 47). S’agissant des opérations de paix, les demandes d’autres organisations sont exposées aux divisions entre États membres, divisions dont les répercussions sont exacerbées par le mode de décision intergouvernemental et unanime de l’ue. Dans les deux cas, le résultat est une frustration considérable chez les acteurs multilatéraux souhaitant intervenir dans des crises internationales. Cette tension peut inciter à vouloir définir une division des tâches pour savoir au moins succinctement à quoi s’en tenir[4].

III – Les communautés de pratique comme dynamique institutionnelle entre organisations

L’absence ou les défauts de la coopération entre organisations ont été fréquemment évoqués s’agissant des rapports de la psdc avec l’onu, l’otan, l’osce et l’ua. Cela n’en rend pas moins l’analyse de ces relations intéressante. Bien que ces dernières aient souvent contredit les proclamations d’un multilatéralisme efficace, on peut s’interroger sur l’existence de « communautés de pratique » unissant les membres de ces différentes organisations. Souvent informelles et pouvant transgresser les frontières organisationnelles, les communautés de pratique rassemblent des personnes engagées de façon continue dans un domaine spécifique et qui conçoivent leur interaction comme une entreprise commune, ce qui lui donne un sens très fort à leurs yeux (Wenger 2005). L’existence de communautés de pratique a été observée tant dans les liens entre otan, psdc et ue que dans ce qui est devenu le Service européen pour l’action extérieure (Lachmann 2010 ; Bicchi 2011).

Il serait inadéquat cependant de vouloir identifier « la » communauté qui corresponde à un certain domaine. Il n’y a pas « la » communauté de pratique autour de l’articulation entre l’ue, la psdc et l’otan, alors que les personnes qui y travaillent ensemble ont des profils parfois très différents et que, même si un grand nombre d’entre elles ont des lieux de travail proches l’un de l’autre autour de Bruxelles, elles n’interagissent pas forcément directement. En effet, un responsable pour les activités civiles de la psdc et un membre militaire d’une délégation auprès de l’otan peuvent avoir tous les deux un engagement significatif dans ce domaine, sans toutefois être en contact régulier. Passer outre ce lien indirect nous empêcherait cependant de saisir les dynamiques institutionnelles entre les différentes organisations auxquelles est affilié le personnel concerné. Il est alors plus pertinent de parler d’une « constellation » de communautés qui « ne sont pas des acteurs internationaux dans un sens formel, mais coexistent avec eux et les recoupent » et « ont des pratiques reliées entre elles » (Adler 2005 : 15 ; Wenger 2005).

L’idée d’une communauté de pratique suppose que ceux qui la forment ne s’engagent pas dans leurs pratiques uniquement par professionnalisme, mais parce qu’ils y attachent une valeur commune avec d’autres participants. Une constellation de communautés aussi vaste que celle ayant trait à l’ue comme partenaire multilatéral dans la gestion des crises internationales n’est maintenue que dans la mesure où les représentations sociales de chaque participant ne se contredisent pas, ce qui viderait les pratiques communes de leur signification.

De ce fait, l’attachement au domaine intrinsèque d’une communauté de pratique – par exemple la gestion des crises internationales – doit s’accompagner d’un engagement partagé des participants dans l’existence et le développement du cadre communautaire. Ce sens d’un engagement commun s’attache à un domaine d’interaction – en l’occurrence la relation entre organisations multilatérales dans la gestion des crises internationales. Cependant, il n’implique pas que les pratiques soient toujours coopératives ou que les participants entretiennent des relations sans hiérarchie, ou encore que la communauté reflète un cadre harmonieux (Wenger 2005). Celle-ci peut s’avérer une « communauté de mauvaise pratique[5] », qu’il s’agisse de la coopération entre organisations ou de l’efficacité des interventions elles-mêmes.

Pour illustrer ces « mauvaises pratiques » dans le cas de l’action extérieure, citons l’exemple d’une communauté de pratique qui s’est formée parmi le personnel impliqué dans le réseau européen de communication coreu (« Correspondance européenne »), où il s’est avéré que les participants ont tendance à « réinterpréter (et très probablement à détourner) la volonté de l’autorité institutionnelle » (Bicchi 2011 : 1118). Les communautés de pratique peuvent donc s’émanciper jusqu’à un certain degré des affiliations organisationnelles, et déboucher soit sur plus soit sur moins de coopération que ce qui était souhaité ou sur une coopération dans des domaines que les organisations ne considèrent pas comme prioritaires.

Toutes ces ambiguïtés affectent par exemple le lien entre ue et psdc, d’un côté, et otan de l’autre[6]. Le cadre formel de cette relation est articulé autour des accords Berlin-Plus de 2003 qui ont mis à la disposition de l’ue les moyens de l’Alliance si elle n’intervient pas elle-même dans un scénario de crise. Ces moyens ont été employés pour les opérations de l’ue en Macédoine en 2003 et en Bosnie depuis 2004. L’opération bosnienne Althea constitue aussi l’ordre du jour formel des réunions entre le Conseil de l’Atlantique Nord et le Comité politique et de sécurité du Conseil de l’Union européenne. D’autres éléments formalisés s’y ajoutent : un groupe otan-ue sur les capacités, et deux équipes de liaison, soit une cellule de l’ue au quartier général opérationnel de l’Alliance (Supreme Headquarters Allied Powers Europe), et un petit groupe de personnel affilié à l’otan auprès de l’État-major de l’ue.

Le cadre de coopération formel comporte donc des aspects très techniques, mais il est aussi très épars. Les démarches visant à créer de nouvelles dynamiques coopératives entre les organisations doivent en fait le contourner, plutôt que de s’appuyer sur lui, car il est exploité par des membres « preneurs d’otages » pour faire pression sur leurs homologues, à l’image de ce qu’a fait la Turquie face à sa mise à l’écart de l’ue et de la psdc, ou bien Chypre, avec un soutien grec constant, à l’encontre de la Turquie et du rapprochement avec l’otan. Cette situation rend tout effort de travail en commun susceptible d’être de la « débrouille » et donc sans effet transformateur sur l’ensemble des relations (Hofmann 2009). En Afghanistan par exemple, la protection de la mission policière dans le cadre de la psdc (eupol Afghanistan) par la Force internationale d’assistance à la sécurité dirigée par l’otan est couverte par l’engagement de cette dernière à protéger toutes les organisations effectuant des actions humanitaires, et non pas par un accord bilatéral qui créerait un précédent de coopération renforcée entre les deux organisations.

Les solutions au cas par cas venues du terrain n’enclenchent pas alors de dynamiques institutionnelles. Cette situation a notamment eu comme répercussion de dévaloriser le groupe de capacités otan-ue, alors même que depuis 2008 les plus hauts représentants d’un côté et de l’autre ont rappelé à de multiples reprises que le partage, la mise en commun et une articulation efficace des moyens de défense des États membres sont les enjeux centraux du rapport entre les deux organisations. L’attention s’est plutôt tournée vers la coopération entre l’Agence européenne de défense et le Commandement allié Transformation, alors que ce sont là des structures aux mandats et aux moyens très différents.

Le caractère restreint et inadéquat du cadre de coopération frustre les acteurs de part et d’autre, des plus hauts représentants de l’otan et de la psdc aux fonctionnaires dans les quartiers généraux, en passant par le personnel engagé sur le terrain dans les cas de double présence – non prévus à l’époque des accords Berlin-Plus – au Kosovo, en Afghanistan et lors des opérations anti-piraterie dans la Corne de l’Afrique. Pourtant, c’est à ces trois groupes très différents que les États membres ont confié la responsabilité de mettre en oeuvre une coopération à la hauteur des défis auxquels ils sont confrontés. Or, en dehors des soucis d’efficacité, la manière de travailler ensemble informellement, souvent dans le cadre de communautés de pratique, non seulement entraîne un certain manque de transparence et se fait en dehors des responsabilités établies, mais en plus « rend certains États membres hostiles et empêche des décisions importantes d’être prises » (Hofmann 2011 : 111-112).

Dans les rapports avec l’onu et l’osce, où les pratiques s’appuient sur une longue expérience de travail en commun par l’intermédiaire des États membres, les questions de l’autonomie et de l’implication de l’ue sont centrales. Dans les deux cas, on peut s’attendre à ce que, comme dans les rapports entre l’ue et l’otan, des « interprètes de l’ambivalence » (Scheeck 2005) des deux côtés forment des communautés de pratique autour de la coopération, que ce soit entre quartiers généraux ou sur le terrain. À l’inverse, la portée des communautés de pratique qui ont pu se former entre l’ue et l’ua soulève l’interrogation alors que les deux organisations n’ont pas les mêmes membres et que leurs rapports dans le domaine de la gestion des crises internationales sont récents.

Dans tous ces cas de figure, l’enjeu essentiel réside dans les représentations sociales des participants, qui partagent un engagement commun à l’égard de leurs pratiques de coopération. Dans le cas des relations de partenariat entre l’ue et d’autres acteurs multilatéraux de la gestion des crises internationales, cet engagement commun tiendrait à ce que non seulement la coopération est nécessaire, mais qu’elle est perçue comme une fin en soi et va effectivement de soi. Cependant, le lien de communauté est susceptible d’être fragilisé par tout développement qui pousserait à définir plus clairement ce à quoi doit servir la relation entre organisations : après tout, la recherche d’efficacité peut aller à l’encontre du maintien de bons rapports interorganisationnels.

IV – Un partenariat ? L’ue et les liens de coopération avec les acteurs multilatéraux de la gestion des crises internationales

L’ambiguïté qui sous-tend les communautés de pratique et la culture stratégique européennes comme dynamiques institutionnelles est importante en raison du décalage fréquent entre le cadre formel des rapports interorganisationnels et la portée réelle de la coopération sur le terrain ou par des moyens informels, parmi lesquels les communautés de pratique. Si, dans chacune des relations qu’entretient l’ue avec d’autres acteurs multilatéraux, les proclamations de partenariat se heurtent à des dynamiques bien différentes, il existe aussi certains traits communs : dans tous les cas apparaissent des limites à la portée d’un encadrement formel.

L’osce comme partenaire de l’ue et de la psdc renforce une imbrication qui remonte à la préparation de la csce d’Helsinki en 1975, l’une des étapes les plus importantes dans le développement de la Coopération politique européenne, dont la pesc actuelle est une émanation (van Ham 2009 : 134). Le cadre formel de l’implication de l’ue dans ce partenariat est d’ailleurs complexe, étant donné que son porte-parole peut être soit l’État occupant la présidence tournante du Conseil de l’ue, soit la Commission européenne qui dans certains domaines a des droits équivalents à ceux d’un membre de l’osce, bien que son statut ne soit pas formellement défini. L’ue souligne qu’il y aurait « un recoupement considérable entre les agendas des deux organisations », un recoupement que l’on peut constater en comparant la Stratégie européenne de sécurité publiée en 2003 et la conception stratégique de l’osce[7].

Que les relations entre les deux organisations existent depuis longtemps de manière significative, et qu’il n’y ait pas de cadre formel couvrant l’étendue de la coopération, suggère que les communautés de pratique peuvent avoir une grande importance. Mais c’est l’implication de l’ue dans l’osce qui pose problème. Alors que les membres de l’ue y sont presque majoritaires, qu’ils apportent la majorité des fonds et du personnel et qu’ils ont convenu de parler d’une seule voix dans les organes de décision, ils n’y pèsent pas beaucoup et s’y engagent inégalement (Lynch 2009 : 144). Cela n’est pas sans rappeler le cas de l’otan et la critique selon laquelle les alliés européens, en dépit de capacités de défense notables, ne les utilisent pas à bon escient, ou alors de façon insuffisante, tant à l’intérieur de l’organisation que dans sa projection vers l’extérieur.

Le manque d’engagement politique est le plus susceptible de créer des tensions entre les organisations, puisqu’il peut provoquer des dynamiques compétitives similaires à celles qui affectent les liens entre l’otan et la psdc. Dans les deux cas, il y a des exemples de double présence. Pour ce qui est de l’osce, cela concerne le Kosovo, la Moldavie et la Bosnie-Herzégovine, même s’il n’y a pas entre l’ue et l’osce de cas où deux missions au mandat similaire soient présentes sur le terrain, comme c’est le cas entre l’ue et l’otan qui mènent toutes deux une opération navale dans la Corne de l’Afrique. L’étude de certains exemples de double présence suggère une certaine compétition entre les missions, l’osce étant alors poussée vers la recherche d’une niche spécifique pour ses activités afin d’éviter qu’elles recoupent trop celles de l’ue (voir Brosig 2010 : 48-52).

À l’image des relations avec l’otan, ce constat évoquerait la possibilité que la psdc aboutisse à une certaine caducité de l’engagement européen dans l’osce, l’ue disposant désormais de son propre cadre pour la gestion des crises internationales, lequel est plus récent et dont la portée est censée être en extension. Cela relèguerait d’autres acteurs multilatéraux au rang de pourvoyeurs de certaines tâches de sécurité, leur valeur résidant dans des expertises bien particulières, comme le militaire dans le cas de l’Alliance, ou dans des particularités géographiques, comme le lien avec l’Amérique du Nord pour l’otan (van Ham 2009 : 146). Ce problème a trait aux représentations sociales dans le groupe de personnel censé faire travailler ensemble les différentes organisations. L’ue a développé des références culturelles sur son activité de gestion des crises internationales qui soulignent son caractère distinct et plus approprié aux défis de ce domaine. Sa tendance à envisager les partenaires multilatéraux en première ligne comme des instruments supplémentaires n’est pas en phase avec un partenariat selon les préceptes du multilatéralisme efficace.

Le recoupement du domaine de compétence entre acteurs multilatéraux préoccupés essentiellement par la sécurité européenne n’affecte cependant pas les rapports de l’ue avec l’onu et l’ua respectivement. S’agissant du couple ue-onu, leur relation est plus affectée par le décalage entre un cadre et des instruments en apparence bien développés et une difficulté de fait de les employer, les deux organisations s’avérant moins réceptives l’une face à l’autre que ce que leur proximité apparente laisserait supposer. L’articulation de la psdc avec l’onu a été formalisée en 2003-2004 par des accords qui ont notamment établi un comité s’occupant de la planification des opérations et de l’entraînement du personnel. Le projet de groupements tactiques de l’ue qui a été lancé à la même époque était lui aussi censé offrir la possibilité d’une réponse européenne rapide à des requêtes de l’onu. Les États membres ont quant à eux montré que le développement de la psdc ne signifiait pas forcément le délaissement des Nations Unies en s’engageant dans la Force intérimaire des Nations Unies au Liban, plutôt que d’intervenir dans un cadre européen (voir Gross 2009)[8]. Tout cela reflète le fait que les représentations sociales dans l’ue concernant la coopération avec l’onu sont loin d’être aussi contradictoires que dans le cas de l’otan : l’onu« c’est toujours populaire » et « qui pourrait être contre ? »[9].

Cependant, il s’est avéré que cette mise en place d’outils ne s’est pas traduite par une plus grande réceptivité des États membres de l’ue face aux demandes d’intervention de l’onu ; et, même quand des opérations ont été lancées, elles se sont mises en place de plus en plus difficilement (Gowan 2009b : 54-55). L’exemple le plus cité dans ce contexte est le rejet de la demande des Nations Unies de lancer une opération européenne dans la République démocratique du Congo à la fin de 2008 (Gowan 2009a : 124-125). Bref, la coopération de l’ue avec l’onu montre ses limites dans le manque de volonté des États membres de l’ue de fournir des capacités à des interventions de gestion de crise, mais aussi dans leur souci de préserver leur autonomie en matière de prise de décision sur l’emploi de la force armée (Tardy 2009 : 49-50).

L’ue a été accusée de laisser les opérations plus difficiles à l’onu (Brantner 2010 : 174). Mais certaines demandes d’intervention de l’onu adressées à l’ue ont semblé ne pas prendre en compte l’état actuel de la défense européenne, en particulier le fait que la psdc est un cadre d’intervention encore en voie de développement[10]. L’effet négatif sur les relations entre les deux organisations a alors été considérable (voir Novosseloff 2012). Une exploration des rapports suggère finalement qu’un des problèmes tient au fait qu’en raison de représentations sociales en apparence assez compatibles d’un côté comme de l’autre, et de l’apparente solidité des cadres de coopération, on s’est peu attardé jusqu’à récemment sur les pratiques qu’il serait souhaitable de mettre en oeuvre.

Quant aux rapports de l’ue avec l’ua, ils sont marqués par la reproduction, du côté africain, des structures de l’intégration européenne dans une configuration « du haut vers le bas » (Farrell 2010 : 31). L’ue se positionne en tant que modèle et mentor de l’ua dans le cadre du « partenariat stratégique Afrique-Europe » (Bach 2009), dont la gestion des crises internationales est une part importante. L’Afrique est ainsi devenue dans le cadre de la psdc un terrain d’engagement prioritaire de l’ue, qui y a mené des opérations militaires et des missions visant à la réforme du secteur de la sécurité, et a contribué à la mise sur pied de capacités « africaines » d’intervention (Vines 2010).

Cette configuration peut se prêter à l’émergence de communautés de pratique, alors que les relations entre les organisations sont essentiellement en cours de développement, que de nombreuses activités accroissent l’interaction entre acteurs européens et africains et que la reprise du « modèle » de l’ue par l’ua suggère une certaine compatibilité des représentations sociales. Mais l’exemple des rapports entre l’otan et la psdc alerte sur la possibilité qu’un acteur récepteur comme l’est en partie l’ua risque d’adopter une vision purement instrumentale de son rapport avec le « pourvoyeur », en l’occurrence l’ue, et veuille affirmer son autonomie même au détriment de la recherche d’efficacité entre organisations engagées dans la gestion des crises internationales (Varwick et Koops 2009 : 126-127). De fait, l’ua tend à reproduire avec l’ue le même type de rapports que cette dernière a entretenu avec l’otan au début des années 2000. Plutôt qu’un partenariat, le rapport a alors tendance à se définir comme une hiérarchie que les acteurs africains cherchent à faire s’effondrer, notamment en se tournant vers la Chine.

Les relations de l’ue avec les organisations multilatérales partenaires de la psdc

Les relations de l’ue avec les organisations multilatérales partenaires de la psdc

-> Voir la liste des tableaux

Conclusion

L’ue s’est engagée à ce que le multilatéralisme efficace soit au coeur de son action extérieure, ce qui devrait faire en sorte que des communautés de pratique débouchent sur un partenariat. Or, cette contribution a montré que l’état actuel des relations avec les organisations multilatérales considérées comme des partenaires pour la gestion des crises internationales est très loin de correspondre entièrement à un véritable partenariat. Ce n’est pas l’existence de communautés de pratique qui est mise en question. Ce qui se révèle plutôt problématique, c’est que, dans la constellation de communautés autour de l’ue comme acteur multilatéral de la gestion des crises internationales, les représentations sociales sont contradictoires, de sorte qu’aucune impulsion forte vers un partenariat ne s’en dégage.

L’articulation, dans la culture stratégique européenne, entre la revendication d’un multilatéralisme efficace et l’accent mis sur l’unique adéquation de l’approche civilo-militaire avancée par l’ue pour la gestion des crises internationales est significative ici. Elle donne à l’ue une charge particulière à sa préoccupation pour l’autonomie décisionnelle de la psdc et à sa réticence face aux tentatives de définir une division des tâches et des attentes qui apparaissent comme impliquant une surexploitation de ses capacités.

Que ce soit par rapport à des organisations auxquelles elle fournit des capacités militaires, l’onu et l’ua, et qui dépendent d’elle à un certain degré, ou par rapport à l’otan et l’osce, dont elle utilise les dispositifs ou l’expertise, l’ue se positionne comme un acteur d’avant-garde dont le potentiel n’est cependant pas encore suffisamment développé pour répondre aux besoins exprimés par ses partenaires. De cette situation résulte le fait que la caractérisation du multilatéralisme efficace comme étant avant-gardiste soulève des enjeux de pouvoir et des dynamiques hiérarchiques, en dépit de ce qui est censé être des partenariats égalitaires, mutuellement bénéfiques pour les partenaires, et contribuant à une gouvernance multilatérale des enjeux de sécurité internationaux. Cette tension, accentuée par l’apprentissage difficile par les organisations des manières de travailler ensemble, continuera vraisemblablement à affecter les relations entre ces organisations.