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L’ouvrage de Francisco E. González, professeur associé à la Johns Hopkins School of Advanced International Studies, fait partie de la littérature traitant de l’Amérique latine, de l’économie politique et de l’étude des processus de transition et de consolidation démocratiques. Il porte sur les conséquences politiques des chocs et des crises économiques et sur le développement d’un cadre analytique visant à effectuer une analyse historique comparative et à démontrer comment la Grande Dépression des années 1920-1930, la crise de la dette des années 1980 en Amérique latine, de même que la crise des marchés émergents de la fin des années 1990 et du début 2000, ont affecté les gouvernements de trois pays du Cône Sud, doit l’Argentine, l’Uruguay et le Chili. L’auteur cherche ainsi à préciser les conditions qui font en sorte qu’un régime politique démocratique puisse faire face et survivre à d’importantes périodes d’instabilité économique.

González constate que tout au long du 20e siècle les crises économiques et les chocs financiers subis par l’Amérique latine ont souvent conduit à la chute des régimes démocratiques, mais aussi des régimes autoritaires. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que cette réalité a commencé à se transformer. L’auteur s’attache à démontrer cet état de fait.

Plus particulièrement, González cherche à donner une réponse à la question suivante : Comment expliquer que les deux régimes démocratiques existant en Amérique latine à la fin des années 1920, soit l’Argentine et l’Uruguay, se sont effondrés durant les premières années de la Grande Dépression (1930-1933), alors que la démocratie fut réinstaurée dans ces deux pays, ainsi qu’au Chili, durant les années qui ont suivi la crise de la dette de 1982 ? De plus, depuis le retour de la démocratie dans ces trois pays, celle-ci a survécu aux crises des marchés émergents de 1997-2002 ainsi qu’aux retombées négatives de la crise financière et économique de 2008-2009.

L’auteur constate que les trois pays à l’étude ont atteint une certaine stabilité politique à la fin des années 1980. Cette stabilité résulterait d’une combinaison de transformations dans la structure et le fonctionnement, à l’échelle internationale et nationale, des institutions, des intérêts matériels et des idéologies politiques. Les politiques et les paradigmes économiques sont également des facteurs qui doivent être retenus selon González.

Ces changements structurels auraient mené à l’augmentation des coûts pour toute activité et toute organisation allant à l’encontre de la démocratie. De façon concomitante, ces transformations ont diminué les coûts pour tout type d’activité militant en faveur de la démocratie. En somme, les différentes transformations structurelles identifiées et analysées par l’auteur ont permis un accroissement des chances que la démocratie prévale et se consolide durant d’importantes perturbations économiques.

Ainsi, contrairement à la situation prévalant durant les années de la Grande Dépression, les institutions internationales créées au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale ont évolué de façon politique pour devenir un secteur qui récompense et promeut la démocratie libérale et qui cherche à accroître les coûts pour tout type d’activité qui irait à l’encontre de celle-ci.

En dépit de ces généralisations, l’analyse de González demeure nuancée. Par exemple, durant la Grande Dépres-sion des années 1920-1930, il observe un continuum dans les pays du Cône Sud, allant d’un fort lien entre la crise économique et l’effondrement du régime autoritaire au Chili. Cependant, l’auteur considère que la corrélation entre la Grande Dépression et la chute de la démocratie fut plus faible en Uruguay et encore plus faible en Argentine.

Autre exemple, l’auteur aborde l’impact sur les régimes politiques des pays retenus de la nomenclature institutionnelle mise en place à la fin des années 1990, notamment la Cour internationale de justice, la Charte démocratique interaméricaine de l’Organisation des États américains et le Mercosur. En théorie, la Charte démocratique interaméricaine devrait hausser les coûts des pressions antidémocratiques, en engageant les gouvernements de l’hémisphère à formaliser leur opposition à toute activité ou pression qui irait à l’encontre de la démocratie, avec des menaces de sanctions diplomatiques et économiques. Dans la même veine, par le renforcement de sa clause démocratique en 1998 (protocole d’Ushuaia), le Mercosur a institutionnalisé les coûts des activités inconstitutionnelles, menaçant de sanctionner un tel comportement par l’expulsion du bloc économique. Toutefois, l’auteur considère que l’impact de la Charte démocratique interaméricaine, bien que celle-ci fût invoquée à deux occasions depuis son adoption en 2001, soit à l’égard du Venezuela en 2002 et du Honduras en 2009, fut négligeable sur le terrain jusqu’à maintenant.

Dans un ouvrage d’actualité bien documenté, González a le mérite de chercher à transposer, en guise de conclusion, son modèle analytique et ses observations à d’autres régions du globe. Cet exercice demeure cependant trop succinct et nous laisse sur notre faim. Nous estimons néanmoins que l’auteur a atteint son objectif et réussi à préciser les liens pouvant exister entre les facteurs économiques et les processus de transformation et de consolidation des régimes politiques, en apportant des précisions sur le rôle des variables intermédiaires. Et, contrairement aux tenants des théories de la modernisation qui soutenaient à une certaine époque que les processus de démocratisation étaient essentiellement un processus de nature interne ou nationale, González démontre avec justesse l’importance de prendre en considération l’incidence de l’environnement et des acteurs internationaux sur la transformation et la consolidation des régimes politiques démocratiques.

Tout universitaire, étudiant, stratège politique concerné par l’impact des facteurs économiques sur les processus de transformation et de consolidation des régimes politiques démocratiques devrait s’intéresser à cet ouvrage.