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Le nombre des enfants soldats[1], estimé à 300 000 à travers le monde (Unicef 2004 : 3)[2], est en forte expansion dans les conflits armés contemporains ; tant les forces armées gouvernementales que les groupes armés utilisent de jeunes combattants. Si le phénomène affecte l’ensemble des continents, c’est l’Afrique qui est la plus touchée[3] (Bamba 2005 : 21).

Cette situation planétaire dramatique a conduit à une prise de conscience collective des États membres des Nations Unies. L’idée a alors émergé d’une réglementation non seulement du recrutement de l’enfant par les forces et groupes armés, mais également de sa participation aux hostilités (Diomandé 2010 : 409).

Les conventions du droit international humanitaire interdisent dès lors purement et simplement, à toutes les parties au conflit, de recruter et de faire participer au conflit les enfants de moins de 15 ans[4]. Elles autorisent néanmoins le recrutement et la participation de ceux de plus de 15 ans, mais de moins de 18 ans. Toutefois, au moment du recrutement, priorité devra être donnée aux plus âgés d’entre eux[5] (Mann 1987 : 42).

D’autres instruments internationaux n’autorisent pas une telle distinction entre les enfants, procédant à une stricte interdiction du recrutement et de la participation des personnes de moins de 18 ans[6].

En tout état de cause, la prohibition du recrutement de l’enfant au sein des forces et des groupes armés vise en réalité à éviter sa participation aux hostilités, conséquence logique de son recrutement comme soldat.

Cependant, malgré cette réglementation qui interdit formellement le recrutement et la participation des enfants de moins de 15 ans, les forces et les groupes armés recrutent un nombre considérable d’entre eux en vue d’en faire des soldats (France Diplomatie, s. d. ; Coalition pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats, 2008)[7]. Cet état de fait résulte en particulier de la violation des normes internationales destinées à réglementer la situation de l’enfant en tant que soldat. L’ancien représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour les enfants dans les conflits armés, Olara Otunu, résumait à juste titre cette idée en soutenant que « la principale difficulté que nous rencontrons lorsque nous faisons face à la détresse des enfants dans les conflits armés est peut-être la mise en oeuvre, sur le terrain, des instruments internationaux et des normes locales » (Otunu 1998).

La logique qui sous-tend la réglementation de l’âge du recrutement et de la participation des enfants aux hostilités imposée par les instruments internationaux réside dans le fait que l’enfant est un être particulièrement vulnérable. De ce fait, la place de l’enfant n’est pas au sein de l’armée, mais dans sa famille et sa communauté. C’est pourquoi les organismes concernés prévoient, outre la réglementation de son recrutement et de sa participation en tant que soldat, des mécanismes destinés à la préservation de la cellule familiale, l’apport de l’aide et l’assistance en sa faveur, de même que l’assurance de son éducation. À ces mesures s’ajoutent celles qui visent à le protéger contre les effets des hostilités par la constitution de zones de protection ainsi qu’exceptionnellement celles qui régissent son évacuation des zones de guerre.

En conséquence, si la place de l’enfant se situe au sein de sa famille et de sa communauté, il faut l’aider à sortir des forces armées gouvernementales ou des groupes armés lorsqu’il s’y retrouve en dépit de l’existence des normes internationales en la matière. C’est ainsi que les organisations humanitaires ont institué les processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (ddr) qui opèrent le passage de la vie militaire à la vie civile. Ce mécanisme qui intervient soit pendant le conflit armé, soit à la fin est souvent périlleux dans la pratique, car, une fois que le conflit armé s’achève, les supplices et la souffrance de l’enfant soldat ne prennent pas fin pour autant (Jacquier 2006 : 197) ; se pose alors, en particulier, la question de sa reconversion et de sa réintégration dans un système en marge duquel il a vécu (El Ali et Hage-Ali 2009).

Dans cette optique, il faut se demander si, dans les programmes de ddr destinés en définitive à réintégrer socialement les soldats, on tient vraiment compte de l’enfant soldat. Dans l’affirmative, le fait-on suffisamment ? Le constat est que l’enfant est bien pris en compte par les processus de ddr, mais que, dans la pratique, l’opération de ddr élude certains éléments qui constituent la clef de voûte de son succès.

En effet, l’enfant soldat, longtemps imprégné des codes de violence et décrit comme une machine à tuer (Banque mondiale 2002 : 1), a été considéré comme inapte à avoir une vie sociale normale. C’est pourquoi sa réhabilitation et sa réinsertion ont souvent été dépeintes comme désespérées (Poissonnier 2004). De ce fait, on l’a systématiquement exclu des programmes de ddr qui semblaient d’ailleurs avoir été essentiellement conçus pour les adultes (irin, Integrated Regional Information Networks).

Néanmoins, l’expérience de certains enfants soldats pris en compte par les programmes de ddr montre que ceux-ci ont une capacité de résilience qui leur permet de retourner à des relations sociales positives et à une vie civile productive. Aussi, la pleine réussite du processus réside dans son volet réintégration (Nzekani 2013 : 1) économique et sociale de l’enfant dans sa communauté, à défaut de quoi ce dernier court le risque d’être à nouveau recruté[8] (Wessells 2006 : 3).

Force est alors de constater que le retour à la vie civile de l’enfant soldat ne constitue pas une vue de l’esprit, mais réside dans une meilleure prise en compte de sa spécificité. Cette transition, loin d’être une tâche facile, passe nécessairement par le processus lié au désarmement, à la démobilisation et à la réinsertion sociale des enfants soldats (partie I).

Si ce processus transitoire est important pour les enfants associés à une force armée gouvernementale ou à un groupe armé, il faut en outre que des mesures complémentaires soient prises afin de consolider les programmes ddr et, par ricochet, la paix (partie II).

I – Les programmes de désarmement, démobilisation, réhabilitation et réinsertion[9]

Les programmes ddr sont d’une importance primordiale pour les enfants, car ils sont le tremplin pour sortir ces jeunes du cycle de la violence dans lequel le conflit les a plongés. Les premiers programmes ont été menés de manière anarchique au début de 1990 sous l’égide des Nations Unies[10] (Cordaid 2008 : 8), livrant les enfants à eux-mêmes[11]. Au fil des expériences acquises et des leçons tirées des divers programmes, les organismes humanitaires ont structuré et amélioré le processus ddr (Schmitz 2001 : 118-119).

Ce processus peut être scindé en deux grandes étapes. La première est la phase de rupture physique avec la guerre, qui consiste à désarmer et à démobiliser les enfants soldats afin de rompre avec le climat dans lequel ils vivaient (partie A). Une fois la rupture physique opérée, commence la seconde phase relative à la rupture psychologique avec la violence. C’est l’étape de la réhabilitation et de la réinsertion sociale (partie B).

A — La rupture physique avec la guerre : le désarmement et la démobilisation des enfants soldats

Le désarmement et la démobilisation constituent la première étape du processus et marquent une coupure entre l’enfance et la vie militaire (le port de l’uniforme, l’usage des armes, etc.). Dans la pratique, le désarmement précède la démobilisation des combattants.

Le désarmement de l’enfant soldat

Alors que le terme enfants soldats couvre l’ensemble des enfants associés à une force armée gouvernementale ou à un groupe armé indépendamment de la prise d’armes par ces enfants, le désarmement ne concerne que ceux d’entre eux qui ont porté les armes.

« Le désarmement consiste à rassembler, enregistrer, contrôler et éliminer les armes de petit calibre, les munitions, les explosifs, les armes légères et lourdes détenues par les combattants, mais souvent aussi par la population[12] » (unddr 2005). Il prend la forme d’une cérémonie officielle au cours de laquelle les enfants soldats rendent leurs armes et leurs munitions. Ces derniers se départissent également de leurs uniformes militaires, signe de la fin de la vie militaire. L’opération de désarmement suggère le rassemblement et le cantonnement des soldats dans différents sites où les armes sont saisies et détruites. Les enfants ainsi dépouillés de leurs armes et de leurs vêtements militaires revêtent des tenues civiles.

La question du désarmement pose le problème crucial de celui des groupes armés et des milices. Le désarmement des premiers, généralement négocié dans les accords de paix, demeure une question sensible chez ces groupes armés. En effet, ces derniers ont besoin de leurs armes pour subsister ; dès lors, renoncer à leurs armes revient pour eux à renoncer à tout (Hottinger 2008 : 30). C’est dire que le désarmement des enfants associés à ces groupes armés exige une négociation ardue.

La question du désarmement se pose également pour les milices, même s’« il est presque impossible de récupérer » toutes leurs armes (Douglas et al. 2006 : 56). Malgré cette difficulté, il importe que les programmes élaborent une stratégie à long terme visant à réduire la quantité d’armes en leur possession. Ce plan peut consister en l’élaboration d’une campagne de sensibilisation et d’information de la population sur les armes légères et de petit calibre. Il doit d’abord rassurer la population sur la sécurité intérieure et sur le retour définitif de la paix[13], ce qui permettra par la suite de gagner sa confiance. Dans ce cas, la politique de collecte de leurs armes pourra prendre deux formes : la cession volontaire ou la collecte forcée. Cette dernière étant difficile à assurer et dangereuse[14] (Douglas et al. 2006 : 57-58), il est préférable de promouvoir la cession volontaire[15] (Douglas et al. 2006 : 56-57).

Si le désarmement ne vise que ceux ayant porté les armes, la seconde étape qu’est la démobilisation concerne toute personne ayant été associée à une force armée gouvernementale ou à des groupes armés.

La démobilisation de l’enfant soldat

La démobilisation est le processus par lequel les forces ou les groupes armés réduisent leur effectif dans le cadre d’une transition vers la paix (Diagne 2006). Elle implique en général le regroupement, le cantonnement, l’administration et la préparation au retour à la vie civile des anciens enfants soldats, lesquels reçoivent diverses formes d’indemnisation et d’assistance devant faciliter leur réintégration dans la société. Dans un contexte d’extrême pauvreté, cette phase peut être perçue comme un moyen de se sortir de la misère.

Les programmes sont dès lors adaptés à chaque situation et ils déterminent les critères d’admissibilité des personnes susceptibles d’en bénéficier. À cet effet, étant donné que les programmes visent essentiellement les personnes ayant pris une part au conflit, c’est-à-dire celles qui sont allées au front, il convient de déterminer les personnes pouvant y être admises en tant que membres d’une faction armée. Il est clair que les enfants qui sont associés à des factions armées en tant que soldats entrent dans la catégorie des personnes ayant participé au conflit. Leur participation ne se fait toutefois pas nécessairement par la prise d’armes. Or, les programmes tendent, dans leur tentative de sélection, à limiter leur action aux seules personnes ayant remis une arme[16] (Schmitz 2001 : 121). Ce qui a pour conséquence d’exclure de nombreux enfants, par exemple ceux qui ont été porteurs, cuisiniers, esclaves sexuels (Verhey 2001 : 6). Même si ces derniers n’ont pas porté d’armes, ils doivent faire face aux mêmes difficultés économiques et sociales lorsqu’ils quittent l’armée et qu’ils ont subi les mêmes traumatismes de guerre. Il est donc préconisé d’inclure dans la démobilisation tous les enfants, aussi bien ceux qui ont été recrutés par une force armée gouvernementale que ceux qui ont été associés à un groupe armé. Telle est la recommandation faite par les organisations non gouvernementales (ong) et les institutions humanitaires (Leblanc 2004 : 42).

Le plaidoyer en faveur de l’admission de tous les enfants dans le processus de démobilisation ne souffre aujourd’hui d’aucune contestation théorique, car un enfant soldat est communément défini par les organismes internationaux de protection de l’enfant comme toute personne ayant participé de quelque manière que ce soit à l’effort de guerre. C’est à juste titre que certains[17] (Arseneault 2009) préfèrent utiliser le terme « enfant associé à une force ou groupe armés » afin d’éviter les malentendus relatifs au terme « soldat » qui n’inclut que les personnes ayant participé aux hostilités.

Dans sa phase opérationnelle, le processus de démobilisation peut revêtir deux aspects : la démobilisation formelle et la démobilisation informelle (Banque mondiale 2002 : 2). La démobilisation formelle intervient généralement après l’entrée en vigueur d’un accord de paix, mais aussi à la suite d’une restructuration militaire[18] (Schmitz 2001 : 118-119). Cependant, il arrive que les autorités politiques et militaires limitent, dans les accords de paix, les programmes de démobilisation aux seuls soldats adultes, en faisant donc abstraction des enfants[19] (Verhey 2001 : 6). Néanmoins, par voie de négociation, ces derniers sont intégrés au programme[20] (Verhey 2001 : 13) et aujourd’hui ils sont plus souvent inclus dans les accords de paix sous le regard bienveillant des représentants des Nations Unies.

La démobilisation informelle intervient lorsque les enfants s’échappent ou qu’ils sont libérés par leur groupe armé ou leur force armée gouvernementale, que ce soit spontanément ou en raison d’un plaidoyer des organismes humanitaires, ou dans d’autres circonstances[21] (Unicef, s. d. : 3). Le contexte des programmes ddr ayant considérablement évolué ces dernières années, si les premiers programmes de démobilisation ont été mis en place dans le cadre d’accords de paix, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Par conséquent, « les agences de protection de l’enfance ont dû apprendre à démobiliser les enfants au milieu d’un conflit armé, […] en l’absence d’un processus politique visant à une solution négociée » (Schmitz 2001 : 119). De ce fait, les activités de plaidoyer menées par les organismes humanitaires aident considérablement à la démobilisation de nombreux enfants et cela en marge du processus officiel, c’est-à-dire avant la cessation des hostilités (onu 2001 : 10 ; Unicef 2009a et b).

Le processus ddr tel que mené par l’Unicef consiste, dans la phase de démobilisation, à orienter les enfants démobilisés vers des camps de transit qui constituent un environnement autrement plus protecteur que le fut l’entité militaire ; dans ces camps, les jeunes sont pris en charge par des travailleurs sociaux et humanitaires. Ces derniers procèdent à leur enregistrement et les aident à combler leurs besoins immédiats. L’enregistrement permet aux travailleurs humanitaires de déterminer l’identité de chaque enfant et de procéder à la recherche de sa famille et de sa communauté d’origine (Leblanc 2004 : 36). Quant aux mesures d’assistance, elles visent à déterminer les besoins de chaque enfant.

La première de ces mesures est d’ordre sanitaire ; on fait passer à chaque enfant une visite médicale à la suite de laquelle celui-ci reçoit quelques « fournitures indispensables et personnelles » (Leblanc 2004 : 38), notamment un lit, des vêtements, une trousse de toilette, etc. » (Beah 2008 : 154). Étant donné que, durant leur passage au sein des groupes armés, de nombreux enfants consommaient de la drogue, ils en sont restés dépendants (Specht 2006 : 438). Les programmes essaient donc d’aider ceux qui sont dépendants à se défaire de leur toxicomanie[22] (Specht 2006 : 439).

Une fois la prise en charge effectuée, les enfants reçoivent une carte dite de démobilisé, qui leur permet d’accéder à certaines activités récréatives avant de regagner les centres de réinsertion.

Le processus de démobilisation doit uniquement échoir aux organismes de protection de l’enfance et aux structures gouvernementales de protection de l’enfance; il ne doit aucunement être mené par des structures militaires. Les enfants doivent être séparés des autorités militaires. C’est une étape qui marque la cassure d’avec la guerre, et la présence des militaires peut constituer un obstacle à sa réussite. En effet, « dans un certain nombre d’expériences vécues dans certains pays, un manque de protection des enfants soldats a permis aux autorités militaires de manipuler le processus de démobilisation pour le transformer en recrutement[23] » (Banque mondiale 2002 : 2).

De plus, le processus de ddr doit dès le départ prendre des mesures pour s’assurer que les enfants soldats restent le moins longtemps possible dans les centres de transit. Dans la pratique, les équipes qui gèrent les programmes tentent toujours de rendre le plus court possible le séjour dans ces centres. Dans la majorité des cas, celui-ci « ne dépasse pas 72 heures » (Leblanc 2004 : 38).

Le séjour d’un ex-enfant soldat dans les centres vise à l’aider à se couper de la guerre. Une fois cette coupure opérée, débute la délicate phase de son retour au sein de sa famille et de sa communauté par sa réhabilitation et sa réinsertion sociales.

B — L’accompagnement de l’enfant soldat dans la vie civile : le processus de réhabilitation et de réinsertion

Alors que la démobilisation est le point à partir duquel l’enfant rompt avec la vie militaire, la réhabilitation et la réinsertion représentent le processus d’accompagnement à la vie civile. L’objectif des programmes de réhabilitation et de réinsertion est de permettre à l’ex-enfant soldat de se reconstruire une nouvelle identité sociale en dehors de la violence. Pour faciliter sa transition vers la vie civile, les programmes fournissent d’abord une aide psychosociale à l’enfant afin de préparer son retour au sein de sa famille et de sa communauté.

L’encadrement psychosocial de l’enfant : la phase de réhabilitation

Un grand nombre d’années passées au sein de l’armée affectent indubitablement le développement normal de l’enfant soldat, son identité. Cet état de fait est essentiellement dû à la rupture avec un environnement culturel normal, avec les valeurs morales et sociales véhiculées par la famille et la communauté. L’action des organismes humanitaires et de ceux chargés de la protection de l’enfance va permettre au jeune de se réadapter pendant un certain temps dans un centre de transit. « Le temps de 4 à 12 semaines selon les programmes et les pays, les anciens enfants soldats reçoivent des services de base, des soins, une éducation et tout un encadrement psychologique » (Leblanc 2004 : 38).

Le soutien psychologique est d’une importance capitale dans la phase de réhabilitation des enfants qui ont été « socialisés pour une existence d’hostilité polarisée » (Banque mondiale 2002 : 3). Ce soutien s’avère d’autant moins évident que l’adolescence est la période de l’affirmation de l’identité, et que l’enfant peut être réfractaire à l’idée de voir son identité militaire changer pour celle d’un civil[24] (Poissonnier 2004 ; Blattman et Annan 2009 : 13).

Ces enfants cassés, blessés par le conflit armé trouvent dans les centres de transit un encadrement qui tente de panser leurs plaies invisibles et d’accompagner ceux qui souffrent[25] (Van Bueren 1989 : 130). Ces centres ont recours à diverses méthodes de suivi, dont des thérapies « modernes » en groupe ou seul. D’autres enfants expriment leurs douleurs par la catharsis, grâce au théâtre[26] (Dictionnaire de l’Académie française). En Angola, c’est la culture qui a été placée au coeur du programme psychosocial en faveur des ex-enfants soldats, tout en y mêlant les rites traditionnels de guérison. Les croyances communautaires estiment que la personne qui a tué doit être hantée par le mauvais esprit de ses victimes (Jacquier 2006 : 208), et ces rites sont censés purifier l’enfant et faire en sorte qu’il soit accepté par la communauté. Ils permettent de soulager les esprits malades qui habitaient l’enfant soldat durant le conflit, et de le réconcilier avec les esprits ancestraux. Dans le nord de l’Ouganda, d’anciens enfants soldats ont rapporté l’importance des cérémonies de purification, car elles permettent à la communauté entière de comprendre qu’ils ont été « décontaminés » (Banque mondiale 2002 : 18).

Des programmes de désintoxication sont également proposés aux enfants devenus dépendants aux drogues et à l’alcool.

Outre le soutien psychologique, les centres offrent aux enfants soldats des cours de base et une formation professionnelle minimale. Comme l’a souligné Jean-Claude Legrand, haut conseiller chargé de la protection des enfants dans les conflits armés auprès de l’Unicef, « le meilleur moyen d’aider un enfant est de lui donner une éducation et la possibilité de gagner sa vie » (onu 2001). Ainsi des cours du primaire ou du secondaire sont-ils donnés aux ex-enfants soldats. Divers sujets les concernant sont abordés, notamment leurs droits, les dangers du vih/sida, l’hygiène et les risques de re-recrutement.

En plus de suivre ces formations de base, les jeunes apprennent un métier ou des moyens de gagner leur vie. Ces formations destinées à professionnaliser les ex-enfants soldats sont fondamentales, car elles leur donnent les moyens de trouver un emploi et donc de survivre, leur permettant de se construire une personnalité autre que celle du soldat ou de l’esclave (Leblanc 2004 : 38). Divers apprentissages leur sont ainsi proposés. En République démocratique du Congo (rdc), par exemple, les enfants ont été initiés aux techniques de l’agriculture (Banque mondiale 2002 : 18) et aux métiers de la boulangerie ; en Angola, les enfants démobilisés ont été formés au métier de tailleur (Verhey 2001 : 20) ; dans le sud du Soudan, certains anciens enfants soldats ont reçu une formation qui leur a permis de devenir enseignants, ce qui a contribué à la formation des générations futures (onu 2001).

Parallèlement à l’aide psychologique, aux rites de purification et aux formations offertes aux ex-enfants soldats, l’Unicef, le Comité international de la Croix-Rouge (cicr) et les ong procèdent à la recherche de leurs parents, de leur famille afin de préparer leur retour. Forts de nouvelles capacités, et lavés de leurs maux par la communauté, les ex-enfants soldats peuvent trouver un rôle, une fonction et un statut au sein de la société.

Le retour en famille et en communauté de l’ex-enfant soldat : la réinsertion

La réinsertion est le point d’achèvement du processus de retour à la vie civile des anciens enfants soldats. Elle « les aide à redevenir des civils sous toutes leurs formes » (Faltas 2006 : 481). C’est en effet durant cette phase qu’ils rejoignent leur famille et leur communauté d’origine. Les relations familiales et communautaires sont les facteurs fondamentaux de sa réussite, la famille jouant le rôle principal dans le retour à la vie civile des jeunes combattants (Tumba 2009). Or, le conflit armé a pu entraîner des changements dans le contexte familial et la vie communautaire à cause de l’augmentation de la pauvreté, du décès des membres de la famille et des amis, du déplacement des membres de la communauté et, peut-être, du repeuplement qui l’ont accompagné.

En dépit de ces changements, tout l’enjeu des programmes ddr réside essentiellement dans le retour des enfants dans leur famille et leur communauté, qui demeurent l’unique voie vers la réinsertion. Celle-ci passe donc par un accompagnement de la famille et de la communauté afin que ces dernières puissent accueillir et soutenir les enfants.

Dans la pratique, un soutien est apporté aux proches de l’enfant. Un suivi psychologique ainsi qu’un service de médiation familiale leur sont proposés. Le retour des enfants est difficile, par moments, dans la mesure où ces derniers ont souvent été les bourreaux de certains membres de leur famille ainsi que de membres de leur communauté[27] (Stohl 2002 : 19). Ils ont pu être impliqués dans des viols, des meurtres, des pillages, et leur acceptation par la communauté n’est pas toujours évidente (Save the Children uk 2003 : 81). Aussi un long processus de médiation est-il parfois nécessaire afin d’aboutir à la réconciliation communautaire. Les leçons tirées de la réintégration de certains anciens enfants soldats d’Angola et du Salvador montrent que la médiation aboutit à une acceptation des enfants. En Angola, en 2002, les familles ont reconnu que la responsabilité des actes commis par les enfants incombait essentiellement aux adultes qui avaient recruté ces derniers (Banque mondiale 2002 : 16). Au Salvador, 98,5 % des anciens enfants soldats rapportaient que leur relation au sein de leur famille était bonne, contrairement à 6,6 % qui indiquaient avoir été difficilement acceptés par la communauté (Banque mondiale 2002 : 16).

La mobilisation communautaire peut jouer un rôle important dans la réinsertion de l’enfant soldat. À cet effet, un soutien psychologique doit être apporté aux communautés, car les familles peuvent être traumatisées par les violences exercées à leur encontre par un enfant membre de la famille. Elles peuvent donc être animées par des sentiments de peur, de violence et de rejet à l’encontre de ce dernier. Si ce soutien psychologique et la médiation menés ont réussi, la communauté peut aider l’enfant à se réinsérer. Certaines communautés ont matérialisé leur aide à l’enfant par la mobilisation des églises[28] (Verhey 2001 : 22), par les cérémonies traditionnelles de guérison.

La promotion de l’éducation et des programmes d’apprentissage par les communautés sont des facteurs qui favorisent également la réinsertion de l’ex-enfant soldat. En effet, les programmes d’éducation scolaire et professionnelle, amorcés dans les centres de transit, doivent être poursuivis lors du retour de l’enfant dans la communauté. L’éducation revêt une importance capitale, car non seulement elle contribue à « normaliser » la vie de l’enfant en permettant l’établissement de rapports nouveaux avec des jeunes, mais elle est aussi la voie de l’emploi. Cependant, les ex-enfants soldats ayant passé leur jeunesse sur un champ de bataille, ils risquent d’être les plus âgés de leur classe, ce qui peut les démotiver. À cet égard, Graça Machel suggère l’adoption de mesures spécifiques visant à créer des classes spéciales pour cette catégorie d’enfants, afin qu’ils puissent rattraper leur retard et réintégrer peu à peu des classes normales (Assemblée générale des Nations Unies 1996 : 19). Comme elle le souligne, « le risque existe aussi que nombre d’enseignants et de parents s’opposent à ce que des enfants qui faisaient partie des combattants fréquentent l’école, de crainte qu’ils n’aient un effet perturbateur » (Assemblée générale des Nations Unies 1996 : 19). Il faudrait que les programmes de réinsertion tiennent compte de ces aspects et sensibilisent les communautés à la nécessité de la réinsertion pour faciliter la réintégration sociale des enfants.

Par ailleurs, grâce à l’apprentissage d’un métier, l’enfant pourra s’engager peu à peu dans une autre voie que la guerre et éviter les risques d’un re-recrutement. L’accent est donc mis sur les actions qui lui permettent de trouver un emploi, ce qui l’aidera à survivre et favorisera son acceptation par la communauté. Cette reconversion est en effet la preuve de sa rupture avec le cycle de violence et de son désir de vivre avec sa communauté.

Il ne faut cependant pas oublier que l’enjeu de l’après-guerre et du processus ddr se situe dans la réinsertion sociale de l’enfant pour la consolidation de la paix afin que l’État ne plonge pas à nouveau dans la violence.

II – La nécessaire réinsertion de l’ex-enfant soldat pour la consolidation de la paix

Bien que tout l’enjeu du processus de ddr se situe dans la réinsertion sociale de l’enfant, cette dernière n’est pas aisée pour lui. Cette difficulté se situe pour l’enfant au niveau du traumatisme psychologique qui peut l’affecter, de la peur de l’accueil que lui réserve sa famille ou sa communauté. Plusieurs facteurs concourent ou peuvent concourir à l’échec du processus ddr (partie A), ce qui a pour conséquence d’alimenter les foyers de guerre et de menacer la paix, qui reste fragile au lendemain du conflit.

Cependant, les leçons tirées des processus ddr déjà menés laissent percevoir que ces entraves peuvent être surmontées par certains éléments nécessaires à la réussite et à la consolidation du processus (partie B).

A — Les entraves à la mise en place efficace des programmes ddr

Le défi majeur qui se pose aux pays touchés par un conflit armé est la mise en place d’une paix durable (Bureau international du travail 2002 : 5). Outre la cessation des hostilités et le recours à « la justice qui doit permettre de réconcilier le peuple et l’État » (Khérad 2008 : 308), l’un des moyens de parvenir à cette paix durable est le processus par lequel les parties au conflit et les organisations humanitaires procèdent au désarmement, à la démobilisation et à la réinsertion des ex-combattants en général, mais surtout des nombreux enfants souvent associés à une force armée gouvernementale ou à un groupe armé. Or de nombreux obstacles – qui peuvent être primaires ou secondaires – semblent entraver la réalisation efficace du ddr.

Les obstacles primaires : l’absence de volonté politique

Le manque de volonté politique (political will) (Colletta 1997 : 3) est le premier obstacle à la réussite du processus de sortie de crise et à la réalisation de tous les projets d’après-conflit, tels que le ddr. En effet, la participation des enfants aux hostilités obéit à des enjeux politiques et stratégiques. Par conséquent, leur retrait des troupes et leur reconversion à la vie civile sont tributaires de la volonté politique des parties au conflit.

Lorsque la démobilisation des enfants intervient à la suite d’un accord de paix signé entre les parties, la volonté de celles-ci de respecter le programme mis en oeuvre est une condition préalable à sa réussite. Cela s’explique entre autres par le fait que les parties ont souvent tendance à nier la présence d’enfants au sein de leurs troupes[29] (Coalition pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats 2008 : 119), de même que « par la décision de les maintenir comme réservoirs de combattants potentiels » (Schmitz 2001 : 122). Dans cette optique, comment pourrait-on démobiliser des personnes qui n’ont jamais existé ?

Dans certains cas, l’opération de démobilisation est perçue par les parties au conflit comme un moyen d’améliorer leur image au niveau international[30] (Azar 2007 : 271 ; Singer 2004 : 572). Cependant, les forces armées ainsi que les groupes armés sont souvent moins disposés à la démobilisation de leurs troupes ; ils usent dans ce cas de subterfuges pour contourner le processus officiel. Pour eux, la référence à l’utilisation des enfants peut donner une image négative de leur organisation ; de plus, en démobilisant officiellement les enfants, les chefs ainsi que les recruteurs dans les armées gouvernementales courent le risque d’être accusés de crimes de guerre. Par conséquent, ils préfèrent les libérer en marge du programme officiel afin d’éviter la publicité négative. Dans ce cas, la démobilisation se fera à la faveur des négociations entreprises par les organisations humanitaires, sans passer par une cérémonie officielle. Le risque est que l’on assiste souvent à des démobilisations effectuées au compte-goutte par les forces ou les groupes armés. La mauvaise foi des protagonistes se manifeste également par la démobilisation des enfants qu’ils ne veulent plus, par exemple les indisciplinés, par celle des adultes qu’ils font passer pour des enfants ou, encore, par celle des prisonniers de guerre appartenant à une autre force armée ou des détenus appartenant à un autre groupe armé (Azar 2007 : 274). De plus, il arrive souvent que la démobilisation soit un leurre, car, pendant qu’ils acceptent une démobilisation officielle de certains enfants, des groupes armés procèdent officieusement à de nouveaux recrutements[31].

Ces diverses attitudes des parties au conflit sont de nature à constituer de véritables entraves au programme de ddr. En effet, on ne peut pas imposer aux belligérants la mise en oeuvre de ce programme, pas plus qu’on ne peut décider à leur place des soldats à démobiliser et de leur nombre. Seuls les combattants qui se présentent au désarmement sont admissibles au programme ; or, la présentation au désarmement se fait en général avec l’aval des commandants. C’est pourquoi, en l’absence de réelle acceptation de leur part, le processus est voué à l’échec.

À l’absence de volonté politique chez les parties au conflit peut s’ajouter le désengagement de la communauté internationale. En effet, la mise en place des programmes nécessite la mobilisation de moyens financiers considérables. Or, ces moyens viennent principalement des dons faits par les États, qui s’engagent en ce sens en signant des accords bilatéraux avec les pays concernés ou multilatéraux en passant dans ce cas par des organismes internationaux, tels que l’Unicef, le Programme des Nations Unies pour le développement (pnud), le cicr ou encore la Banque mondiale. Le manque de volonté de la communauté internationale se manifeste par un désintérêt des États à l’égard de certains pays déchirés par un conflit. Les conflits libériens et sierra-léonais illustrent bien l’engagement à « double vitesse » de la communauté internationale. En effet, tandis que celle-ci concentrait tous ses efforts sur le conflit sierra-léonais, le Liberia voisin était laissé pour compte. Des retards étaient enregistrés dans la mise en place du programme de ddr dans ce pays à cause d’un financement insuffisant (Amnesty International 2004 : 14), pendant que le processus amorcé le 1er décembre 2003 s’enlisait faute de moyens. Aussi une conférence internationale pour la reconstruction du Liberia s’est-elle tenue les 5 et 6 février 2004 en vue de lancer un plan d’action destiné à récolter des fonds. L’ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, s’adressant aux participants de la conférence, soulignait en ces termes la nécessité du processus de ddr pour les enfants : « Si ces enfants ne sont pas désarmés et réinsérés dans la société, si vous ne leur offrez aucune perspective de mener une existence décente, si vous ne soutenez pas la reprise et la reconstruction, vous n’aurez aucune réelle possibilité de succès » (Amnesty International 2004 : 14). Les conclusions de la conférence se sont articulées autour d’un engagement de 400 millions d’euros en vue du financement du processus. Cependant, au début du mois de mars 2004, les annonces de contributions au fonds d’affectation spéciale du pnud pour le programme de ddr s’élevaient à 9,5 millions d’euros environ et environ 6 millions d’euros avaient été versés. On prévoyait que ces fonds seraient épuisés à la fin de juin 2004 (Amnesty International 2004 : 20-21). Finalement, ce n’est qu’au terme du processus de ddr en Sierra Leone que les efforts financiers se sont focalisés sur le conflit libérien.

Cet état de fait montre que certains conflits sont considérés comme prioritaires par rapport à d’autres pour les bailleurs de fonds. Cela peut être justifié par les intérêts stratégiques et politiques de certains États par rapport à d’autres. De plus, les médias jouent un rôle important dans la prise en compte des conflits par la communauté internationale. En effet, de nombreux conflits restent ignorés par manque de diffusion dans les médias. Le conflit ougandais en est un exemple révélateur, au moment où la situation de nombreux enfants reste alarmante dans ce pays (Harsch 2010 : 20).

En somme, si la volonté politique manifeste des parties au conflit est un préalable incontournable au succès du processus de ddr (Diagne : 2006), l’effort financier international est, pour sa part, plus qu’indispensable (Leblanc 2004 : 44) ; en effet, en dépit de la volonté politique des acteurs internes, l’absence de volonté des bailleurs de fonds de financer le programme constitue un frein récurrent à la réussite de celui-ci.

À ces obstacles primaires, liés à la volonté des acteurs nationaux et internationaux de voir le programme de ddr réussir, peuvent s’ajouter des difficultés secondaires.

Les obstacles secondaires à l’efficacité du ddr

Certains obstacles à la réalisation du ddr sont dits secondaires, car ils sont tributaires de l’élimination des premiers écueils. En effet, il faut que les acteurs politiques nationaux et la communauté internationale soient pleinement engagés dans la mise en place du processus et de son exécution avant que ces obstacles puissent être levés. Les entraves étant diverses, mention ne sera faite ici que des critères de sélection des enfants admissibles au processus, de la méfiance des enfants à l’égard des programmes et de la non-intégration des filles au processus.

L’élaboration de certains critères d’admissibilité au ddr permet de déterminer qui a droit à l’assistance. Étant donné qu’il n’existe pas d’âge universellement reconnu en ce qui concerne la définition d’un enfant soldat (Diomandé 2012 : 159-170), il faut s’entendre dans les accords de paix sur une limite d’âge qui permettra de considérer les jeunes comme des enfants soldats afin de les inclure dans le processus de démobilisation. Si l’on part du postulat qu’un enfant soldat est une personne de moins de 18 ans, il reste à situer la période de référence (Croidieu 2002). Doit-on tenir compte de l’âge des enfants au moment de la signature des accords de paix ? Ou doit-on considérer celui qu’ils ont au moment du début du processus de ddr ? Et quel doit être le sort des jeunes qui viennent d’avoir 18 ans au moment de la signature de l’accord ou du début du processus de ddr ? Quid de ceux ne pouvant pas justifier leur âge ?

L’accord de paix est l’expression de la volonté des parties à s’engager dans le processus de sortie de crise, notamment dans les programmes de ddr. La signature de cet accord par les parties est la marque de leur consentement à être liées par ce dernier[32]. Cet accord étant bilatéral et souvent signé avec des sujets (les groupes armés) ne disposant pas d’une compétence entière, car ils ne sont pas en principe des sujets du droit international, la seule signature suffit à le rendre obligatoire à l’égard des parties (Daillier, Forteau et Pellet 2009 : 159). Par conséquent, le point de repère de la limite d’âge à partir duquel une personne sera considérée comme ayant moins de 18 ans devra être celui de la date fixée par les dispositions de cet accord. Cette date peut être celle de sa signature ou du commencement de l’opération ddr. Il est donc primordial que les accords de paix tiennent compte de cet aspect. En l’absence de stipulation expresse, la date à prendre en compte doit être celle de la signature de l’accord de paix[33] (Verhey 2001 : 9). Et en l’absence d’accord de paix, lorsque les organismes humanitaires négocient la démobilisation des enfants, la date à considérer pour décider de l’admissibilité d’un enfant doit être celle de la négociation.

En ce qui concerne ceux qui viennent d’avoir 18 ans au moment de la signature de l’accord – si celle-ci est le point de départ – ou au commencement du ddr, ils ne devront en principe pas pouvoir prétendre à la démobilisation en tant qu’enfants, car ils n’entrent plus dans cette catégorie de personnes vulnérables. Néanmoins, les parties pourraient étendre le processus à cette catégorie de personnes en essayant de réparer la violation d’une règle de droit qu’elles auraient enfreinte en intégrant ces jeunes dans les groupes armés, alors qu’ils n’auraient pas dû y être.

Toutefois, ces mesures ne valent que pour les personnes pouvant justifier leur appartenance à la catégorie des personnes de moins de 18 ans sur présentation d’un acte d’état civil. Or, en période de conflit armé, il est quasi impossible pour la population de justifier de son âge à cause de la destruction des registres d’état civil ou, encore, parce que la personne n’a jamais obtenu d’acte de naissance (Unicef Innocenti Research Centre 2007 : 2). Selon l’Unicef, les enfants soldats ont certes besoin de prouver leur âge afin de pouvoir entrer dans le processus de ddr, mais il arrive que nombre d’entre eux ne puissent le faire. L’activité des agences de protection de l’enfance devient dès lors compliquée, surtout pour les personnes de 16 et 17 ans (l’âge des plus jeunes étant plus facile à déterminer) (Unicef Innocenti Research Centre 2007 : 2). Pour cette catégorie d’enfants, on pourrait présumer qu’ils sont mineurs, lorsqu’il y a doute sur leur âge réel en l’absence de pièce justificative. Il existe bien des examens médicaux qu’on peut subir aux personnes dont on doute de l’âge, mais ils sont trop onéreux pour les organisations humanitaires[34].

Outre le problème de l’âge qui exclut de nombreux enfants du processus de ddr, il existe une autre difficulté liée à la détermination de ceux qui peuvent être admissibles en fonction de leur statut de soldat ou non. En effet, les programmes de ddr visent la démobilisation et la réinsertion des soldats en général, mais de façon prioritaire celles des enfants ayant pris une part active au conflit (Schmitz 2001 : 122)[35]. Ils doivent aussi prendre en compte tous les enfants associés à une force ou un groupe armés, indifféremment des fonctions qui ont pu être les leurs.

Dans la pratique, certains programmes ont rendu la démobilisation des enfants conditionnelle à un désarmement (Knudsen 2004 : 497 ; Bennett 2002 : 26). En Sierra Leone, par exemple, seuls les enfants qui rendaient des armes conventionnelles (onu, s. d.)[36] étaient admissibles au programme. Au Liberia, par contre, c’est la remise d’une arme qui conditionnait l’admission. Ces conditions ont eu pour conséquence d’exclure les enfants affectés à des tâches autres que le combat et n’ayant pas d’armes conventionnelles à remettre pour leur sortie de l’armée. En considération de ces facteurs d’exclusion, non protecteurs des enfants, l’ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan estimait « que les critères d’admission des enfants associés à des forces ou groupes armés [doivent être] suffisamment larges » (Assemblée générale des Nations Unies, 2005 : 36) pour prendre en compte tous les enfants associés à une force ou groupe armés sur la base des principes édictés au Cap.

Par ailleurs, de nombreux enfants refusent parfois d’entrer dans les programmes pour diverses raisons. Pour ceux qui se sont engagés « volontairement » dans une force ou un groupe armés, ils refusent de rejoindre les programmes pour des raisons économiques, voire de survie (Leblanc 2004 : 42). Pour eux, l’entité militaire est devenue une structure de socialisation ainsi qu’une source de revenus et ils ont peur de quitter un environnement qu’ils connaissent bien et dans lequel ils ont leur place pour un monde qu’ils connaissent mal (Azar 2007 : 262). D’autres, par contre, refusent d’intégrer les programmes car ils redoutent le retour dans leur communauté. Leur appréhension du monde civil se fonde dans ce cas sur la peur du rejet par la communauté[37] (Cause Canada 2006 : 339). Une autre difficulté réside dans le fait que ces enfants ont eu pour habitude et comme formation de ne faire confiance qu’à leurs armes. Il devient alors très difficile pour eux de s’en séparer (Pascalini 1999 : 135).

Conscientes de ces difficultés, les autorités humanitaires ont envisagé de rendre les programmes attractifs en proposant aux enfants des compensations financières. L’idée est que les enfants soldats vivent et survivent grâce à leurs armes ; pour les inciter à s’en séparer, il faut leur proposer un autre moyen de subsistance. De ce fait, les programmes ont cru bon de leur proposer une contrepartie financière en échange de leurs armes. Ainsi, en Sierra Leone, les programmes ont prévu, dans l’optique de la démobilisation des enfants, la remise préalable d’une arme. Chaque enfant qui se présentait avec une arme recevait une indemnité de 300 dollars américains. De même, au Liberia, on donnait aux enfants désarmés « un filet de sécurité » de 300 dollars (Coalition to Stop the Use of Child Soldiers 2006 : 14), somme qui était directement versée à leurs parents, à leur famille ou à leur représentant légal.

Toutefois, on a vite constaté les limites et les effets pervers de la promesse d’une allocation en espèces sur remise d’une arme.

En effet, il ressort de certains rapports que des chefs militaires se sont fait passer pour les tuteurs d’anciens enfants soldats ou qu’ils se sont emparés de leurs armes pour les donner à leurs propres enfants afin d’obtenir une rémunération. Certains chefs militaires ont même vendu des armes à des enfants afin qu’ils puissent participer à un programme de désarmement, démobilisation et réinsertion.

Assemblée générale des Nations Unies, 2005 : 36

Devant ces actions malhonnêtes, Kofi Annan a conclu qu’« on ne devrait pas exiger des enfants qu’ils rendent leurs armes pour les autoriser à participer aux programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion ni leur offrir une rémunération en espèces lorsqu’ils les déposent » (Assemblée générale des Nations Unies, 2005 : 36).

En somme, afin que les programmes de ddr produisent les résultats escomptés, c’est-à-dire la démobilisation et la réinsertion des enfants soldats, il faudrait la bonne foi de tous les acteurs qui y sont impliqués ainsi qu’un élargissement de ces programmes. Cela permettrait d’y intégrer tous ceux qui ont participé directement et indirectement au conflit, notamment les filles, très souvent les « laissées pour compte » des programmes. En effet, dans les programmes de démobilisation pour les enfants soldats on tend à focaliser l’attention sur les besoins des garçons et à ignorer complètement l’existence et les besoins des filles soldats. Pourtant, dans certains pays, celles-ci représentent 40 % de l’ensemble des enfants soldats. Cette lacune vient en partie du fait que les programmes n’intègrent pas le facteur genre dans le processus de démobilisation (Pillai 2008 : 23). Au Liberia, par exemple, les jeunes filles ont été les grandes oubliées du programme de ddr : sur environ 11 780 enfants démobilisés dans le pays, seules 2 738 filles en faisaient partie (Sowa 2010 : 195). Conscients de ces obstacles, les acteurs du processus tendent à y intégrer des pratiques optimales, dont la prise en compte des besoins spécifiques des filles et des enfants handicapés.

Une fois ces écueils décelés et surmontés, certains facteurs doivent être pris en compte afin de consolider le processus de réinsertion sociale des ex-enfants soldats.

B — L’influence des facteurs socioéconomiques dans la réinsertion sociale des ex-enfants soldats

Si le processus de ddr permet la rupture entre l’enfant et le monde militaire, l’aspect réinsertion demeure la pierre angulaire du programme. C’est en effet cette dernière phase, la plus difficile, qui est la plus importante, car sa réussite favorise le retour de l’ex-enfant soldat dans son environnement familial et communautaire. Cependant, certains facteurs demeurent déterminants quant à la réinsertion sociale de l’ex-enfant soldat. Ils sont d’ordre économique.

Les facteurs sociaux : le rôle de la famille et de la communauté

Famille et communauté sont le pivot de la réintégration sociale de l’ex-enfant soldat[38] (Faltas 2006 : 479). Il convient de voir, par conséquent, comment elles peuvent contribuer efficacement au retour de ce jeune dans la société.

Afin que le processus de réintégration de l’ex-enfant soldat puisse être effectif au sein de sa famille, il est capital que l’on en retrouve les membres, souvent dispersés à la suite du conflit armé. Les ong et certaines organisations internationales procèdent à la recherche des membres de la famille de chaque enfant démobilisé. On se base à cette fin sur les informations données par l’enfant. Il s’agit à ce stade de ne pas se limiter à la famille restreinte, c’est-à-dire les parents directs, tels que le père ou la mère, mais de chercher aussi des tantes, oncles, cousins ou grands-parents qui pourraient accueillir l’enfant (Azar 2007 : 285).

Toutefois, il existe des aléas à la réunification. Le fait que certains enfants ont été contraints de tuer des membres de leur famille au moment de leur recrutement par les groupes armés les pousse à appréhender un éventuel retour. Ces jeunes se disent qu’ils ne pourront pas être acceptés par la famille, qui les considérera comme des criminels[39] (Williamson 2006 : 194). Tout un travail doit être mené en amont par les organismes humanitaires, afin de connaître le rôle qu’a pu éventuellement jouer chaque enfant démobilisé au sein de sa communauté et de sa famille durant la guerre pour mener une médiation par le biais de laquelle seront expliquées à la famille les contraintes qui pesaient sur l’enfant pour la commission du crime. Il s’agit du préalable pour leur faire agréer l’idée que la place de l’enfant ne se trouve pas au sein de l’armée, mais plutôt dans sa famille. C’est pourquoi celle-ci doit lui pardonner ses actes et faciliter son retour.

Il arrive également que des enfants joignent les rangs des groupes armés à cause des sévices sexuels ou des violences qu’ils subissaient chez eux (Coalition to Stop the Use of Child Soldiers 2006). Dès lors, ils refusent de retourner dans leur famille d’origine ; il faut les convaincre du bien-fondé de la rupture d’avec le cycle de la violence et du retour en famille. Ils doivent dans cette optique avoir les garanties d’une vie sans sévices à leur retour, ce retour pouvant se faire chez un membre de la famille auprès de qui il pourra s’épanouir.

Cependant, la réunification familiale est souvent impossible parce que les membres de la famille sont introuvables[40]. Dans cette perspective, « il faut alors trouver des voies alternatives à l’enfant » (Leblanc 2004 : 39), telles que l’adoption temporaire ou définitive. Comme le souligne Sylvie Bodineau, « lorsqu’on pense “réunification familiale”, on croit que les enfants vont retourner habiter chez leurs père et mère, mais la réalité est souvent autre. Ce qui est important dans la réunification familiale, c’est le rétablissement de liens familiaux » (Azar 2007 : 288). Et ces liens peuvent être recréés au sein d’une famille d’accueil. D’autres solutions ont été avancées, telles que l’apprentissage[41], la colocation ou l’indépendance totale[42].

À côté de l’importance de la famille dans la réintégration de l’enfant, la communauté peut jouer un rôle crucial. L’acceptation de l’ex-enfant soldat par sa communauté d’origine favorise également sa réintégration en plus de celle de sa famille. Car, s’il est accepté par sa famille, encore faut-il que la communauté en fasse autant dans la mesure où il est contraint de vivre avec cette dernière. Néanmoins, l’image que peut avoir la communauté des enfants soldats peut être un obstacle à sa réintégration. Cette image est justifiée par le fait que cette communauté est souvent détruite par des années de violences armées qui ont causé des déplacements de personnes à l’intérieur du pays ou des réfugiés dans un pays voisin, la destruction de leurs biens, la perte de proches, etc.

Cette image peut toutefois être fonction du groupe armé auquel les jeunes ont appartenu. Ainsi, en Sierra Leone par exemple, les enfants soldats du Front révolutionnaire uni (ruf) étaient perçus comme les bourreaux de la communauté, de la société, et cette dernière les détestait et ne voulait pas les voir ou, si elle le souhaitait, c’était pour les tuer[43] (Williamson 2006 : 192). À l’opposé, les enfants de la force de défense civile étaient perçus comme les défenseurs de la communauté et leur participation au conflit était qualifiée d’héroïque, ce qui facilitait leur réintégration au sein de la communauté. Afin de faciliter la réintégration des enfants combattants, notamment du ruf, un travail de sensibilisation est mené auprès de la communauté. Dans cette optique, les personnels des ong prennent contact avec les chefs locaux et leurs conseillers afin de discuter avec eux de la situation de ces enfants. L’argument avancé est que ces jeunes ont été obligés par les adultes de participer au conflit et de commettre des atrocités (Williamson 2006 : 193). Les chefs autorisent ensuite les représentants des ong à parler aux personnes clés de la communauté, notamment les autorités civiles, les leaders religieux, les enseignants, les responsables des divers rites initiatiques de la société, afin qu’elles influencent d’autres personnes de la communauté. Cette médiation, qui a permis la réintégration de nombreux enfants soldats au sein de leur communauté, n’a cependant pas été menée dans tous les cas. En somme, outre le rôle joué par la famille dans la réintégration de l’ex-enfant soldat, l’implication de la communauté est essentielle pour faciliter son retour. C’est pourquoi des médiations doivent être menées afin de favoriser la réintégration sociale de ce jeune.

Le fait que la famille et la communauté aient accepté l’enfant démobilisé est une condition nécessaire mais pas suffisante à la réinsertion de cet enfant. Il faut en outre que les facteurs économiques soient réunis.

Les facteurs économiques de la réinsertion sociale

La réinsertion de l’enfant dans sa famille et sa communauté n’est que le début de sa réinsertion. Il faut par ailleurs lui donner les moyens de devenir autonome économiquement et socialement, grâce, par exemple, à la création de possibilités de revenus. En effet, la création des possibilités de revenus pour ces enfants est vitale pour le succès de leur réintégration, car leur survie quotidienne et leur dignité au sein de la société en dépendent (Cordaid 2008 : 12). Cependant, dans de nombreux pays secoués par un conflit armé, l’économie productive est affectée, les biens économiques sont endommagés, détruits ou pillés, tandis que les ressources humaines et le capital social souffrent en raison des morts, des blessures et des déplacements. Dans ce contexte, le processus de ddr doit permettre à l’enfant et à sa famille de faire face aux problèmes économiques immédiats et à leur survie quotidienne, afin que l’enfant ne retombe pas dans la violence ou, encore, ne retourne pas au sein de l’armée. Dans l’immédiat, les projets consistent à payer ceux ayant atteint l’âge de 18 ans pour qu’ils participent à des travaux de construction de maisons, de routes, d’écoles, etc. Ce dispositif procure de l’argent qui alimente le circuit économique. Il favorise également son acceptation par la société et, enfin, contribue à la reconstruction des infrastructures. D’autres projets ont consisté à verser une indemnité financière à ceux de moins de 18 ans qui ne sont pas aptes au travail, ce qui a révélé des effets pervers[44]. Ce genre d’indemnités peut également être jugé néfaste par la communauté, qui risque de le percevoir comme une récompense à la prise d’armes, alors même que la population a dans son ensemble souffert des conséquences de l’usage des armes[45]. Les possibilités immédiates de gains d’argent ou le versement d’indemnités ne sont donc pas la panacée pour assurer l’indépendance financière de l’enfant. Ils peuvent même être dangereux pour sa réintégration.

Les projets de travaux publics peuvent offrir des emplois temporaires, même s’ils ne débouchent que rarement sur des emplois à long terme (Bureau international du travail 2002 : 21). L’effort doit par conséquent porter sur le long terme, notamment sur la formation professionnelle. L’accent est très souvent mis sur l’agriculture, la micro-entreprise, les travaux professionnels de cuisiniers, de conducteurs, de menuisiers, etc. Cependant, le programme peut s’avérer inefficace si toutes les personnes démobilisées suivent la même formation professionnelle ou si cette dernière n’offre plus de possibilité de revenus. À cette fin, une étude doit être menée au préalable afin de déterminer les types d’emplois les plus porteurs et les plus utiles à créer pour contribuer au développement économique de la communauté (Bureau international du travail 2002 : 22).

En définitive, l’emploi dans l’immédiat des personnes qui étaient des enfants avant le processus de ddr, mais qui sont devenus des adultes au moment de la démobilisation, ou encore la formation professionnelle pour ceux qui sont toujours enfants, dans l’optique de participer à long terme à l’activité économique, leur permettent de se réinsérer plus facilement dans la société. Ils permettent également à la communauté ainsi qu’à leur famille de voir en eux des personnes ayant effectivement rompu avec la violence et ayant la volonté de travailler. De même, les possibilités d’emploi après la formation professionnelle permettent, d’une part, d’éviter à ces jeunes de retourner dans les groupes ou forces armés et empêchent, d’autre part, qu’ils ne deviennent des enfants de la rue qui se « reconvertissent dans la criminalité urbaine  (Pouligny 2004 : 40) ou qui sont condamnés à mendier.

Le conflit armé étant une situation exceptionnelle, tout comme la participation de l’enfant, il s’avère impérieux de revenir à la situation de paix et à la vie civile de l’enfant. C’est à cette fin que sont institués les programmes de ddr qui opèrent le passage de la vie militaire à la vie civile, en passant par la réduction des armes au sein de la population.

La logique du processus est que la place de l’enfant n’est pas au sein de l’armée et qu’il faut donc l’aider à en sortir. D’une part, c’est un processus souvent périlleux dans la pratique, car certains enfants sont laissés pour compte. C’est pourquoi le ddr doit être inclusif, prenant en compte tous les enfants soldats. D’autre part, alors que les volets « désarmement et démobilisation ne sont généralement pas problématiques[46] » (Nzekani 2013 : 3), le plein succès du processus réside dans le volet réinsertion économique et sociale. La réinsertion demeure « la composante la plus complexe et critique du ddr, mais celle à laquelle est accordée néanmoins la priorité la plus basse » (Nzekani 2013 : 1) C’est pourquoi, pour atteindre le but fixé, les programmes ddr doivent apporter à l’enfant soldat un soutien financier et psychologique pour sa transition vers la vie civile ainsi qu’une formation et des opportunités suffisantes pour subvenir à ses besoins.

À défaut de ces mesures destinées à favoriser l’intégration économique et sociale de l’enfant dans sa communauté, le processus de ddr serait incomplet et inefficace. Par conséquent, le jeune court le risque d’être à nouveau recruté[47] (Wessells 2006 : 3), ce qui favoriserait une augmentation de la criminalité armée dans la région. Ainsi a-t-on pu assister en Afrique de l’Ouest au phénomène de transhumance des ex-enfants soldats du Liberia qui se retrouvaient comme soldats dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, déstabilisant ainsi la sous-région. En outre, cette situation peut être dramatique dans la mesure où la mauvaise réinsertion peut conduire ces enfants à vendre leurs services au plus offrant, devenant ainsi des mercenaires[48] (El Kouhène 1986 : 55-56).

En définitive, l’enfant étant perçu comme l’avenir, cet avenir n’est-il pas compromis par sa participation aux conflits armés et par l’impossibilité d’en sortir, faute de programme de ddr efficacement conduit ?