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l’ambiguïté[1]

1.

la lampe incline brusquement

l’angle du mur sur la paroi

où tu te redresses tu n’attends

plus du rendez-vous convenu

que de nouveau la surface lisse

apparemment qui te retient

de basculer vers les automobiles

stationnées la faim l’exploration

du réfrigérateur où rien tu le sais

ne chatouillera tes papilles

et si l’on frappe à la porte enfin

tu ne répondras pas

2.

paraît-elle que tu retournes

la question sur la nature

de son plaisir en l’observant

qui dérive dans l’effusion

verbale avec un enthousiasme

dont tu te lasserais à la longue

tu le sais s’il devait devenir

l’enjeu de votre vie quotidienne

mais là n’est pas le sens

de votre rencontre et tu te tais

tu ne remets pas en cause

la contrainte et ne regrettes rien

3.

l’envie de caresser ses fesses

à la longue s’atténue tu songes

à la rareté de vos repas

face à face au hasard de l’un

où l’autre de vos déplacements

de l’une à l’autre ville tu sens

de quelles heures tu te prives

en interprétant contre elle

ces apparences qu’elle te renvoie

tu te demandes quel jeu

joue-t-elle elle qui ne joue pas

tu n’écoutes pas ses explications

4.

t’entendrait-elle qu’elle

protesterait de la violence

de cet essai d’autoportrait

tu te racontes des histoires

dirait-elle je n’ai pas non

plus donné signe de vie

disons que c’est toujours zéro

zéro qu’il s’agit du classique

décalage de la chronicité

d’une partie remise à cause

de la pluie du mécanisme

faussé de notre intuition

5.

des fois tu laisses le regard

flou sur le frêne rouge du buffet

le coude appuyé à la table

de même bois tu la reconnais

dans l’acuité dont elle ponctue

ses phrases dans l’étendue

toujours accrue de sa curiosité

tu sais qu’un jour vous vous verrez

pour la dernière fois déjà tu sais

que tu sauras un jour des années

plus tard ce jour-là vous vous êtes

rencontrés pour la dernière fois

6.

mais ce n’est pas à cette éventualité

que tu penses du moins pas dans son

cas tu te rappelles ces autres occasions

où l’idée de la disparition de certains

personnages ne t’effleurait même pas tant

tu les tenais pour acquis tu t’attendais

plus ou moins à les voir réapparaître

sans leur prêter tellement d’attention

lorsqu’ils surgissaient de nouveau dans ton

champ de vision comme si vous vous étiez

vus la veille et comme si vous alliez

vous voir le lendemain peut-être

ou dans vingt ans

7.

elle tu n’entendras pas parler d’elle

des mois durant tu ne prendras guère

de nouvelles quand il suffirait d’un coup

de fil à l’heure habituelle du souper

pour couper court à cet éloignement déjà

renforcé par la monotonie de l’autoroute

sans te laisser suffisamment de temps

voilà qu’elle glisse de la dernière syllabe

de son prénom sur son nom tu n’auras

pas à tenter de deviner au fil des mots

qui t’appelle un soir tu ne voudrais voir

personne et tu ne réfléchis pas son désir

8.

à longueur de journée

tu erres dans l’essentielle

banalité des choses

que le moindre incident

révèle et tu la regardes

l’air de dire de te voir

ça finit bien la journée

qu’elle comprenne à demi

mot de toute façon tu

n’iras pas plus loin sur

ce terrain qu’un malaise

s’installerait dans tes mots

9.

tu n’ignores pas pourtant

qu’elle entretient le désir

ne l’a-t-elle pas senti

chez toi qui se manifeste

par ces silences par trop

appuyés par certains airs

que tu prends nostalgiques

ou sait-on quoi sa façon

tout à coup d’affirmer

qu’elle rentrera bientôt

lorsque rien de la soirée

ne le laissait entrevoir

une adolescence vue de loin[2]

1.

paysages battus de rafales

parmi les éclats sombres

de l’orage où tu traînais

alors une angoisse filtrée

par tes récentes lectures

et dont tu te souviens

à peine du moins pas

du regard de l’adolescent

du temps des permissions

prises plutôt qu’arrachées

du déchirement qu’au non

perçu tu ressentais sans

te demander si tu avais

bien compris ce langage

muet du corps mouvant

disant que ce non serait

la réponse à la question

que tu ne risquerais pas

de poser devant témoins

ni si vous vous retrouviez

par hasard en tête-à-tête

en attendant sans doute

les autres ou si les autres

avaient déjà quitté non

les irrémédiables paroles

tu ne les prononcerais pas

tu t’enfoncerais le soir

venu parmi les paysages

battus de rafales corps

battu de rafales enseveli

dans ton imperméable noir

2.

ces culs qu’imaginaient

tes mains en massant

les testicules bientôt

la verge raide violacée

leurs à peine existantes

images la nostalgie

de l’été des plages des corps

enfin que passe l’éternité

du mois de juin pourtant

rétréci d’une extrémité

toi oui depuis pourrait-on

dire toujours les fesses

et tu te souviens la photo

de cette jeune femme nue

de vingt vingt-cinq ans

à l’oeil ou bien dix-huit

croyais-tu vue de dos dont

tu te gavais l’imaginaire

sans connaître le regard

qui l’animait derrière

tes verres fumés ton livre

tu inscrivais la sinuosité

de ces peaux que tes mains

n’approcheraient dans la

quasi-totalité des cas pour

ne pas dire la totalité

jamais dans ta mémoire

le soir venu les connaîtrais

3.

ces regards qui fuyaient

le tien dès qu’il se posait

dans les leurs une fraction

de seconde de trop au gré

du crépitement des mots

contre les nappes carrelées

du café que la discussion

saupoudrait de cendres

ces regards singularisés

dans celui de celui dont

tu connaissais quelquefois

à défaut du visage le nom

mais ici si peu dans le tien

te répétais-tu soir après soir

l’isolation de la chambre

aidant les bruits du sommeil

rythmant le défilé flou

des déliés hypothétiques

où tes doigts s’iriseraient

ces regards où tu dispersais

le sien celui du premier

baiser des lents tête à tête

des errances vers l’avenir

du consentement des mots

4.

des heures durant la clarté

du bruit sur le sable des vagues

la foule retraitée vers ses cavernes

de bois son silence le tien

des heures durant pensant

prends ma main ne la prenant pas

disant louise c’est le prénom

que je préfère demandant commences-tu

à avoir froid n’ajoutant rien

jusqu’au pied du perron disant

disons demain soir ou peut-être

demain matin

5.

tu voudrais lui dire tout

l’amour que seuls les mots

disaient alors tu voudrais

réparer dire plutôt je suis

l’enfant sauvage des samedis

après-midis passés dans

les tramways de montréal

celui à qui on a permis de fuir

depuis sa toute première année

d’école primaire tu voudrais

murmurer son si commun prénom

depuis vingt-quatre ans

dans l’émerveillement continu

des caresses de la simple présence

du fou rire de la gravité

tu voudrais lui dire que jamais

tu ne saurais

à louise l.

pour l’été 58

6.

tu n’extirpes pas des cellules

sa silhouette les circonstances

de la rencontre sinon la mer

quelques semaines les marches

le sable mouillé de la marée

basse la minceur de ses seize

ou dix-sept ans la couleur

jaune d’une robe certain soir

mais le souvenir n’est pas si

précis qu’il y paraît trace

comme ça lancée sur elle

que dus-tu la croiser dans

la rue tu ne reconnaîtrais

pas tu ne veux pas ne pas

te souvenir tu ne veux pas

ne pas avoir été

7.

tu n’allais quand même

pas crier maman j’ai

déchargé tu n’allais pas

revendiquer ton statut

si nouveau d’adolescent

les sorties jusqu’à des heures

impossibles l’augmentation

immédiate de ton allocation

tes parents n’étaient pas là

ce soir-là