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Au Québec, les politiques de développement des filières énergétiques ignorent le rendement énergétique net. Dans un contexte de valse-hésitation à l’égard des hydrocarbures, ce concept permettrait d’écarter les filières les moins prometteuses et de sélectionner les secteurs de production énergétique qui doivent être privilégiés à long terme afin de favoriser le développement durable. La thèse de cet article n’est pas que le Québec serait mal avisé d’exploiter son potentiel pétrolier. L’argument central est que le rendement énergétique net doit être utilisé afin de déterminer sans biais politique irrationnel s’il vaut effectivement la peine de développer le potentiel en hydrocarbures de la province plutôt que d’autres filières énergétiques.

1. Définition du rendement énergétique net

Le rendement énergétique net est lié au ratio de l’énergie produite sur l’énergie investie. Son appellation technique, le taux de retour énergétique, est dérivée de l’anglais energy returned on energy invested (ERoEI), ou energy return on investment (EROI)[2].

Le taux de retour énergétique a été étudié à partir des années 1970[3]. Il a fait l’objet d’une attention soutenue au début de la décennie suivante à la suite des crises pétrolières. Après qu’il fut tombé dans l’obscurité, l’augmentation du prix du pétrole l’a remis au goût du jour depuis quelques années.

Le taux de retour exprime la différence entre la quantité d’énergie requise pour produire un type d’énergie par rapport à la quantité d’énergie effectivement obtenue et utilisable au terme du processus de production. Plus le ratio de l’énergie produite sur l’énergie investie est grand, meilleur est le rendement énergétique : un taux de 100 : 1 est meilleur que 3 : 1.

Par exemple, la pureté d’une ressource énergétique à l’état brut de même que la distance entre son lieu d’extraction et son point de consommation peuvent entraîner des variations du taux de retour. En principe, si la ressource est d’une grande pureté à l’état brut, elle ne doit pas être soumise à un processus de raffinage qui demande un investissement énergétique important à la fois pour bâtir les équipements requis et les faire fonctionner. De façon similaire, si la ressource est extraite loin du lieu où elle est consommée, il faut dépenser de l’énergie pour construire des infrastructures de transport et les faire fonctionner ou les entretenir. Ainsi, un pétrole brut d’une grande pureté, qui est produit là où il est consommé, a un meilleur taux de retour qu’un pétrole brut de mauvaise qualité produit et consommé sur des continents différents, parce que celui-ci requiert un raffinage important et un transport sur de longues distances.

Le rendement énergétique reste imprécis parce que son calcul est affecté par des difficultés méthodologiques significatives[4]. L’une des plus importantes a trait à la sélection des limites du système soumis à l’analyse permettant d’établir le taux de retour[5]. Par exemple, il est difficile de déterminer de façon cohérente le seuil au-delà duquel ne doit plus être prise en compte l’énergie dépensée pour produire un équipement qui sert au transport du pétrole : il faut certainement inclure l’énergie directement dépensée pour construire un oléoduc, mais il est moins évident qu’il faille tenir compte de l’investissement énergétique requis pour extraire et fondre l’acier utilisé dans la production des segments de canalisation de l’oléoduc.

Néanmoins, l’utilité du rendement énergétique est indéniable. Elle repose sur un raisonnement clair et simple : plus la quantité d’énergie dépensée pour produire un type d’énergie donné est petite, plus sa production est attrayante. À l’inverse, il est préférable d’écarter une filière énergétique lorsqu’elle requiert beaucoup d’énergie pour en produire peu.

2. Le rendement énergétique doit dépasser un taux de retour minimal

Pour fonctionner, le système économique dépend de sources d’énergie qui offrent un rendement énergétique supérieur à un seuil minimal.

L’énergie qu’emploie l’économie est utilisée soit à des fins discrétionnaires, soit dans des activités et processus de production essentiels[6]. Les activités et la production essentielles comprennent toutes les dépenses nécessaires pour : (1) maintenir à niveau l’infrastructure socio-économique (réparer et remplacer les ponts, les équipements de production, les véhicules, etc.), (2) garantir un niveau de vie minimal à la population (combler des besoins tels l’alimentation, le logement, l’habillement, etc.), (3) acquérir l’énergie nécessaire afin d’assurer la production d’énergie elle-même (explorer, extraire, raffiner et transporter le pétrole jusqu’au point de consommation, etc.).

Une ressource dont le taux de retour est de 1 : 1 génère uniquement l’énergie nécessaire pour sa propre production, sans assurer le niveau de vie minimal de la population ni prendre en charge le maintien de l’infrastructure socio-économique. Un taux de retour de 1 : 1 n’est tout simplement pas viable.

Le niveau de développement économique en Occident requiert plutôt un taux de retour énergétique d’au moins 3 : 1[7]. À ce niveau minimal, l’économie ne peut pas croître mais tout au plus stagner. Il n’existe pas de surplus énergétique pour entreprendre des activités non essentielles comme un voyage en Floride ou la tonte et l’arrosage de sa pelouse[8]. C’est sous ce seuil minimal que le rendement énergétique du pétrole pourrait passer à moyen terme. La fin du pétrole serait due non pas à la déplétion de ressources encore vastes, mais plutôt à l’impossibilité de les produire à un rendement énergétique utile[9].

3. Un développement économique dépendant du rendement énergétique élevé du pétrole

Le développement économique des cent dernières années a été alimenté par le pétrole[10]. Le rendement énergétique élevé de cette ressource explique en partie son attrait[11]. Dans un contexte favorable, son taux de retour peut atteindre 100 : 1[12].

À un tel taux de retour, une dépense d’énergie équivalente à 1 litre de pétrole engagée afin d’en produire (forage, pompage, etc.) donne 100 litres de pétrole. En d’autres mots, seulement 1 % de l’énergie contenue dans 1 litre de pétrole doit être réinvesti dans le processus de production afin de maintenir l’approvisionnement en énergie ; les 99 % d’énergie excédentaire par litre peuvent être investis à discrétion dans la construction d’une autre route, un voyage à l’étranger ou un iPhone, au bénéfice de la croissance économique[13]. Ces chiffres permettent de mieux comprendre l’expansion sans précédent de l’économie au cours du xxe siècle. Ils mettent aussi en doute les projections actuelles de croissance économique[14].

La production globale d’énergie, assurée en bonne partie par le secteur pétrolier, doit augmenter de 1,3 % par année jusqu’à représenter 50 % de plus que la production actuelle en 2030 pour permettre une croissance économique modérée[15]. Toutefois, le pétrole est une ressource non renouvelable, sa consommation en diminue continuellement les réserves existantes, et son exploitation est soumise à des contraintes de plus en plus importantes[16].

La production mondiale de brut conventionnel a atteint un pic historique de 70 millions de barils par jour en 2006[17]. La production de pétrole est inévitablement appelée à décliner[18]. Conformément aux prévisions, la production pétrolière suit actuellement un « plateau ondulant » étalé sur plusieurs années[19].

Les ondulations du plateau de production sont dues à une rétroaction en boucle sommairement schématisée comme suit : (1) la croissance de l’économie augmente la demande de pétrole ; (2) les réserves de pétrole diminuent ; (3) la production peine à suivre la demande ; (4) le cours du pétrole grimpe ; (5) les coûts élevés ralentissent l’économie ; (6) la demande en pétrole diminue ; (7) le prix du pétrole baisse, ce qui relance l’économie[20].

4. Diminution du rendement des hydrocarbures conventionnels

Malgré tout, l’Agence internationale de l’énergie prévoit que les réserves de pétrole ne constitueront pas un facteur contraignant pour l’économie mondiale jusqu’en 2035[21]. Une approche basée sur le rendement énergétique offre une perspective différente[22].

Le rendement énergétique des principales sources d’énergie tend à décroître depuis quelques décennies[23]. En particulier, le taux de retour énergétique du pétrole est passé d’environ 100 : 1 en 1930 à 30 : 1 en 1970, pour tomber de 18 : 1 à 11 : 1 de nos jours[24]. La diminution persistante du taux de retour à cause de l’épuisement des gisements actuels et du déplacement vers de nouveaux gisements plus difficiles d’accès, où l’extraction est plus ardue et coûteuse, pourrait rendre l’exploitation du pétrole inintéressante à moyen terme[25].

Les nouvelles contraintes liées au pétrole pourraient générer assez d’inquiétude dans les coulisses du pouvoir pour expliquer l’étonnante insistance à mettre en oeuvre des politiques d’austérité malgré la quasi-stagnation des économies occidentales depuis la grande récession de la fin des années 2000 et le succès historique des politiques keynésiennes de relance par le déficit public[26].

Les obligations et titres souverains financent la dette d’un pays en accordant à échéance un taux de rendement économique prédéterminé à l’investisseur qui les achète[27]. Ces titres requièrent que l’assiette fiscale – les revenus publics – augmente de façon à permettre leur rachat et le paiement des intérêts par l’État aux investisseurs, ce qui dépend d’une croissance économique suffisante[28].

La diminution du taux de retour du pétrole mais aussi du charbon, qui assure une part accrue de la production énergétique mondiale, laisse penser que la croissance économique restera anémique pour un long moment[29]. Pour éviter d’être piégé par une dette qui augmente indéfiniment à un taux supérieur au taux de croissance d’une économie déprimée par la faiblesse du rendement énergétique, il peut sembler primordial de réduire les dépenses publiques et de rembourser la dette aussi rapidement que possible[30].

5. Quelles solutions de rechange aux hydrocarbures conventionnels ?

Une autre solution serait de faire appel à une source d’énergie de rechange dont le rendement énergétique se compare avantageusement à celui du pétrole. En principe, la substitution de cette ressource au pétrole pourrait maintenir la croissance économique grâce à un taux de retour énergétique supérieur.

Comparaison des taux de retour par filière énergétique

Comparaison des taux de retour par filière énergétique

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La comparaison des taux de retour de différentes filières énergétiques montre les options disponibles. Elle explique le recours accru au charbon malgré ses impacts en matière d’émissions de gaz à effet de serre[33]. Elle permet aussi d’écarter certaines filières, tel l’éthanol de maïs, parce que leur rendement énergétique ne dégage pas des surplus suffisants pour soutenir l’économie[34].

L’hydroélectricité et, dans une moindre mesure, l’éolien sont les énergies renouvelables les plus intéressantes. Toutefois, le potentiel de développement de la première est limité par la géographie du réseau hydrographique, c’est-à-dire le nombre et l’éloignement des sites disponibles, tandis que la seconde produit un apport intermittent en fonction du vent.

Le taux de retour des diverses filières énergétiques est encore sujet à des incertitudes importantes, faute d’étude scientifique détaillée. Il varie largement d’une région à l’autre en fonction du contexte local de production. Néanmoins, une perspective générale permet de conclure que la diminution persistante du rendement du pétrole à partir de son sommet historique de 100 : 1 marque la fin des surplus énergétiques abondants et que les ressources autres ne peuvent assurer l’après-pétrole sans contraintes majeures.

6. Le rendement énergétique : un concept inutilisé au Québec

Au Québec, les politiques énergétiques ne tiennent pas compte du taux de retour[35]. Hydro-Québec fait appel à un concept équivalent, le rendement de l’investissement énergétique (appelé energy payback ratio en anglais), afin d’évaluer les différentes options de production d’électricité sur l’ensemble de leur cycle de vie, telles que l’hydroélectricité, le charbon ou la biomasse[36].

En comparant la quantité d’énergie produite pendant la durée de vie normale de divers types d’équipements à l’énergie requise pour les construire, les entretenir et les alimenter en ressources, Hydro-Québec identifie les filières de production les plus avantageuses. Cette analyse confirme l’attrait de l’hydroélectricité et de l’éolien.

Néanmoins, le rendement énergétique reste généralement inutilisé. La Stratégie énergétique du Québec 2006-2015 n’en fait aucune mention[37]. N’en touchent pas mot non plus les deux évaluations environnementales stratégiques (ÉES) en cours à l’égard des gaz de schiste et des hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent.

L’évaluation de la pertinence de l’exploitation des gaz de schiste procède principalement sur une base financière à partir des coûts directs et indirects aux plans économique, social et environnemental[38]. Tout au plus l’étude EC1-2 de l’ÉES aurait-elle dû comparer le gaz de schiste à d’autres filières énergétiques dans l’optique du développement durable, ce qu’elle ne fait même pas en fin de compte.

L’analyse des coûts d’une filière énergétique qui repose sur une quantification financière pour comparer différentes options de développement sans inclure le rendement énergétique net ne permet pas une évaluation complète[39].

7. Rendement des hydrocarbures non conventionnels

L’utilisation du taux de retour pour évaluer la pertinence du développement des hydrocarbures non conventionnels des Basses-Terres du Saint-Laurent, de la Gaspésie, d’Anticosti et du golfe du Saint-Laurent est d’autant plus essentielle que le gouvernement affiche une volonté ferme d’encourager leur développement sans tenir compte d’études récentes qui démontrent le faible rendement énergétique de filières similaires à l’extérieur de la province[40].

Une analyse préliminaire publiée en 2011 avance que le taux de retour de certains types de pétrole de schiste pourrait être de 2 : 1, c’est-à-dire bien inférieur à celui du pétrole conventionnel et même inférieur au seuil minimal de 3 : 1 requis pour soutenir l’économie[41].

Un rapport détaillé dont les résultats ont été publiés en février 2013 dans la revue Nature indique que le faible rendement énergétique du pétrole de schiste, le déclin accéléré des puits stimulés par fracturation, l’épuisement déjà apparent des meilleurs gisements et le rythme élevé de forage requis pour maintenir la production à niveau font de cette ressource une solution de rechange sans intérêt à moyen terme[42]. Certaines analyses économiques de gisements de pétrole de schiste aux États-Unis font écho à cette conclusion[43].

L’exploitation du pétrole de schiste pourrait aussi entraîner des impacts environnementaux importants. Le passage à un taux de retour inférieur qu’implique la transition du pétrole conventionnel au pétrole de schiste requiert un accroissement significatif des activités d’extraction émettrices de gaz à effet de serre (GES) pour seulement maintenir l’activité économique à un niveau donné[44]. Or le Québec a prévu réduire ses émissions de GES de 20 % en 2020 par rapport à 1990, et la communauté scientifique lance des avertissements de plus en plus pressants à propos du réchauffement planétaire[45].

Il est essentiel de procéder à l’étude du rendement énergétique du pétrole de schiste dans le contexte québécois avant de s’engager dans l’exploitation de cette ressource. Ses impacts environnementaux devraient faire l’objet d’une attention spécifique. L’étude de ce concept pourrait fournir des informations cruciales pour les orientations que le gouvernement provincial entend transposer dans le nouvel encadrement légal des activités de développement des hydrocarbures sans cesse annoncé et reporté à plus tard. Les questions soulevées à cet égard sont d’autant plus pressantes que les hydrocarbures non conventionnels devraient assurer 100 % de l’accroissement de l’offre énergétique mondiale au cours de la décennie 2010, selon les projections de British Petroleum[46].

8. Perspectives québécoises sur la diminution du rendement énergétique

Dans un contexte global de diminution des surplus énergétiques à cause de la dégradation des taux de retour, le Québec semble fortuné de nager dans les excédents d’électricité dégagés par Hydro-Québec[47]. Mais la situation pourrait être temporaire[48].

La province est aussi dépendante du pétrole, qui est entièrement importé et qui assure environ 40 % de la consommation totale d’énergie, principalement à des fins de transport[49]. À échéance, il faudrait lui substituer d’autres sources d’énergie pour éviter une contraction économique résultant de la diminution du rendement énergétique du pétrole extrait à l’étranger, diminution qui s’exprime par l’accroissement de la facture d’importation dans la balance commerciale du Québec[50].

Le gouvernement a récemment annoncé son engagement pour l’électrification des transports[51]. C’est un pas dans la bonne direction puisque le pétrole fournit presque 100 % de l’énergie utilisée par ce secteur[52].

Selon la stratégie énergétique du Québec, l’accroissement de l’efficacité énergétique offre aussi des avantages importants à plusieurs plans, y compris une réduction de la consommation de produits pétroliers équivalente à 2 millions de tonnes par année à l’horizon 2015[53]. La réduction de la consommation d’électricité grâce à l’efficacité énergétique peut libérer des surplus additionnels qui permettraient, en principe, de substituer l’hydroélectricité au pétrole. Par exemple, la récente bonification du programme résidentiel de rénovation éco-énergétique est susceptible de favoriser une meilleure efficacité énergétique[54].

Ce tableau avantageux ne doit pas occulter la croissance presque continue de la consommation d’énergie, qui s’est élevée en moyenne à 0,84 % par année entre 1984 et 2009[55]. Le Québec est l’un des endroits au monde où il se consomme le plus d’électricité par habitant, soit 26 072 kWh par personne en 2009[56]. Or l’amélioration de l’efficacité énergétique n’offre une solution à la diminution des taux de retour que dans la mesure où l’augmentation de la demande en énergie décroît[57].

Face au déclin du rendement énergétique, la substitution de l’électricité au pétrole ne peut se conjuguer durablement à la hausse de la consommation d’énergie par habitant. À cet égard, il est délicat que l’État québécois considère les bénéfices d’Hydro-Québec comme un revenu essentiel qui doit augmenter à long terme[58]. Il peut en résulter un biais en faveur de la croissance de la consommation d’électricité qui s’agence mal avec les contraintes imposées par la diminution des taux de retour énergétique. D’ailleurs, l’ensemble des actions en efficacité énergétique vise une cible d’économies d’électricité de 11 TWh d’ici 2015 qui ne sera pas atteinte au rythme actuel[59].

9. Contraintes issues de la réduction du rendement sur la transition énergétique

La transition vers une économie alimentée par un substitut au pétrole est sujette à des contraintes importantes dans un contexte de diminution des rendements énergétiques.

Premièrement, plus faible est le taux de retour des ressources énergétiques qui alimentent l’économie, plus longue est la période de remplacement des infrastructures et des équipements de production. Ce principe découle d’une modélisation des processus économiques qui tient compte des contraintes thermodynamiques[60].

La théorie économique classique veut que le capital et le travail soient les deux principaux facteurs de croissance. Une nouvelle approche indique que l’accumulation du capital et la productivité du travail dépendent de la transformation et de l’agrégation de l’énergie dépensée dans les processus économiques. La conversion d’une économie fondée sur l’exploitation d’une source d’énergie particulière demande la conversion des moyens de production pour les adapter à un autre type d’énergie. Plus le capital matériel accumulé est important, comme dans les pays développés, plus l’effort et la période de conversion sont grands pour conserver un niveau de capitalisation équivalent. Certains auteurs avancent que le délai de conversion pourrait s’élever à 20 ans[61].

La conversion demande que des surplus énergétiques significatifs soient disponibles en excédent des dépenses énergétiques requises pour assurer un niveau de vie minimal, le maintien à niveau des infrastructures et la production d’énergie elle-même. Or la diminution des taux de rendement indique une réduction prévisible des surplus énergétiques[62]. Plus tôt une économie s’engage dans le processus de transition énergétique, moins elle est susceptible d’éprouver des difficultés de conversion[63]. À l’inverse, plus la décision d’amorcer la transition est différée, plus difficile est la conversion et plus probable devient la contraction de l’économie[64]. En somme, chaque décision d’immobiliser des surplus énergétiques raréfiés dans la rénovation ou la construction d’infrastructures destinées au fonctionnement d’une économie basée sur le pétrole et les hydrocarbures rend plus improbable une transition énergétique réussie[65].

Deuxièmement, le développement de filières énergétiques autres doit être réalisé dans le respect de l’environnement. L’option hydroélectrique illustre cet impératif. Dans la politique nationale de l’eau de 2002, le gouvernement provincial s’engageait à mieux protéger les débits d’eau en aval des barrages pour préserver les écosystèmes qui en dépendent[66]. Cet engagement n’a pas été respecté[67]. Comme l’a récemment constaté le commissaire au développement durable du Québec, l’application et le suivi de la politique de l’eau sont inadéquats[68]. Une éventuelle décision d’accroître le développement de l’hydroélectricité pour assurer la transition vers une économie sans carbone devrait impérativement s’accompagner des précautions nécessaires pour protéger les débits écologiques et les écosystèmes aquatiques.

Conclusion

Les opposants à l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste sont souvent dépeints comme des apôtres de l’immobilisme. Une analyse fondée sur le rendement énergétique pourrait étayer leur position et remettre en question la volonté de développer les ressources en hydrocarbures au Québec. Le maintien des investissements en faveur du développement et de l’exploitation des hydrocarbures entrave les changements nécessaires afin de s’engager dans un processus de transition énergétique. Compte tenu de l’utilité du rendement énergétique net, cet article propose l’utilisation du concept, sous l’une ou l’autre de ses appellations, comme l’un des principes directeurs de la prochaine politique énergétique québécoise afin de favoriser un plan de développement cohérent qui soit en mesure de favoriser les filières énergétiques les plus avantageuses au Québec dans une perspective de développement durable.