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Vient de paraître un très bel ouvrage sur la baie du Mont-Saint-Michel, une région célèbre non seulement pour son monastère ancien perché sur un piton rocheux en pleine zone intertidale et pour ses succulents fruits de mers, mais aussi pour l’histoire quaternaire de son bassin sédimentaire macro-tidal.

Il s’agit d’un ouvrage collectif rédigé par une vingtaine d’auteurs de diverses spécialités du domaine des sciences de la Terre et des littoraux. L’ouvrage comprend trois parties : une introduction composée de trois chapitres, puis deux autres parties respectivement consacrées à la baie du Mont-Saint-Michel et à l’estuaire de la Rance, comportant chacune quatre chapitres. Sans doute pour assurer une plus grande diffusion et permettre aux unilingues anglophones de le lire, l’ouvrage a été traduit. Le texte français apparaît sur la colonne de gauche, le texte anglais, sur celle de droite. L’édition sur papier glacé est soignée et de très bonne qualité. La plupart (85 %) des illustrations (figures, cartes et photos) sont en couleurs. Riche et diversifié, le contenu donne un aperçu fort satisfaisant de l’état des connaissances sur ce vaste bassin sédimentaire.

L’objectif de l’ouvrage est d’analyser le fonctionnement sédimentaire de deux systèmes macro-tidaux voisins (la baie et l’estuaire) fortement modifiés par l’homme. Deux grandes formations sédimentaires occupent l’ensemble de la baie du Mont-Saint-Michel : des sables bioclastiques anciens, fortement concentrés en zone infratidale et prélittorale, et des vases silto-argileuses, en milieu intertidal et littoral. Dans le détail, ces formations présentent des faciès variés liés à l’action des courants et des vagues, ainsi qu’à celle des organismes et de l’homme dont les activités depuis plusieurs siècles ne sauraient être ignorées dans l’évolution de ce milieu complexe. Rappelons, à titre d’exemple, le barrage hydraulique (usine marémotrice) de la Rance, construit au début de la décennie 1960, les divers aménagements pour la conchyliculture, la mytiliculture, l’ostréiculture et les pêcheries, ainsi que le broutage des herbus par les moutons (agneaux de pré-salé de grande renommée).

Le plan général des deux parties principales consacrées respectivement à la baie du Mont-Saint-Michel et à l’estuaire de la Rance est similaire. On parle d’abord du cadre physique, des milieux sédimentaires, de l’influence des aménagements sur ces milieux et de leur évolution à l’Holocène. Le chapitre consacré aux milieux sédimentaires de la baie du Mont-Saint-Michel (p. 45-97) retiendra tout particulièrement l’attention de ceux qui s’intéressent aux littoraux. Il traite notamment des bancs coquilliers de la batture, du banc des hermelles (vers sédentaires : Sabellaria alveolata), des herbus (schorres), des rythmites tidales dans la tangue ainsi que du cordon littoral sableux du Bec d’Andaine. Le lecteur notera l’emploi, dans la version anglaise, du terme « schorre » à la place de « tidal marsh ». Bien que d’origine néerlandaise, ce vocable, très utilisé en francophonie, l’est rarement, sinon jamais, dans le monde anglophone. On le trouve pourtant dans le Glossary of Geology de l’American Geological Institute et dans l’Encyclopedia of Beaches and Coastal Environment.

L’évolution des vastes (2 415 ha) herbus de la baie du Mont-Saint-Michel au cours des dernières décennies a été étudiée par Chantal Bonnot-Courtois et Jeannine LeRhun, toutes deux rattachées au Laboratoire de géomorphologie et environnement littoral, à Dinard. Il est beaucoup question des processus et de la dynamique d’évolution des herbus qui tantôt prennent de l’expansion, tantôt reculent. La période 1947-1980 a été caractérisée par une progression importante de la surface des herbus alors que, durant la période 1980-1996, le taux d’expansion a considérablement diminué. À quelques endroits, sur de courtes distances, l’érosion récente (1980-1996) a fait reculer le schorre à un taux compris entre 4 et 12,5 m par année. Ce taux élevé est en grande partie attribuable au déplacement sur la batture des chenaux de marée. Curieusement, les auteurs ne fournissent pas de données sur les taux d’accrétion verticale de la surface du schorre, bien que l’on trouve de rares données concernant la slikke, où l’accumulation annuelle serait de l’ordre 4 à 5 mm.

Les faciès sédimentaires de la batture (schorre, basse et haute slikke) sont décrits et caractérisés par Bernadette Tessier du Laboratoire de géomorphologie du CNRS, à Caen.

Non moins intéressant est le chapitre 3 (p. 99-152) portant sur l’influence des aménagements sur le milieu sédimentaire, un aspect rarement abordé dans la plupart des ouvrages scientifiques. Dans le cas spécifique de la baie du Mont-Saint-Michel, c’est un aspect difficile à ignorer. On s’en convaincra facilement en examinant la série de figures (p. 105-120) illustrant les nombreux changements de cours du Couesnon et la progression des herbus depuis le XVIIIe siècle.

Une belle synthèse (p. 153-196) retraçant l’histoire de la baie du Mont-Saint-Michel termine la deuxième partie de l’ouvrage. Les chapitres 3 et 4 sont à lire sans faute. On a là un très bel exemple de l’évolution d’un bassin sédimentaire en milieu macro-tidal en partie récupéré par l’homme au cours des derniers siècles.

Les 55 pages consacrées à l’estuaire de la Rance, cours d’eau débouchant à Dinard–Saint-Malo, donnent un aperçu substantiel de ce milieu sédimentaire perturbé depuis le début de la décennie 1960 par la construction et l’exploitation d’une usine marémotrice. On le lit avec un intérêt soutenu. On pense aux estuaires situés à la tête des baies de Cumberland et de Chignecto (baie de Fundy). Et l’on souhaiterait disposer d’un ouvrage général sur cette grande baie à régime macro-tidal qui a fait l’objet de multiples recherches et publications depuis plus d’un siècle.

En attendant, nous recommandons vivement à tous ceux qui s’intéressent aux littoraux la lecture attentive de cet ouvrage.