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Introduction

Depuis le début de la décennie 1980, la falaise morte ourlant la partie externe de la terrasse de 8-10 m, entre la rivière du Sud, à Montmagny, et Cap-Saint-Ignace (fig. 1), a été ravivée à quelques endroits. Les coupes ainsi dégagées ont permis de connaître les unités litho-stratigraphiques dont elle est composée et d’obtenir des datations au 14C pour les diverses unités (Dionne, 1988a, 1998, 2001).

Dans le secteur de Montmagny, à l’est de la rivière du Sud, comme à Cap-Saint-Ignace, la falaise vive (coupe 1, fig. 1) est composée de cinq unités (fig. 2) : 1) À la base, on trouve l’argile de la Mer de Goldthwait ; cette argile limoneuse, gris pâle à moyen, rosâtre par endroits, est légèrement pierreuse et contient surtout des cailloux de délestage glaciel ; elle a été datée sur coquillages marins à >10 ka (3 datations) (Dionne, 1998, 2001) ; la concentration de cailloux à sa surface correspond à un résidu d’érosion. 2) L’argile est surmontée par une unité stratifiée de limon et d’argile gris pâle contenant des lamines sableuses ; elle fait environ 4 m d’épaisseur ; les 2 à 3 m supérieurs contiennent des débris de plantes aquatiques et des fragments de bois, y compris des troncs au sommet de l’unité ; elle a été mise en place entre 8 et 7 ka (35 datations) (Dionne, 1998, 2001). Il existe donc une lacune de plus de 2000 ans entre cette unité à faciès infratidal ou bas intertidal et le substrat argileux de la Mer de Goldthwait. 3) La deuxième unité est recouverte par une couche organique tourbeuse et ligneuse de 45 à 65 cm d’épaisseur (Bhiry et al., 2000) ; elle contient de nombreux troncs d’arbres, des racines ainsi que des souches, principalement d’espèces résineuses (Picea, Larix, Pinus et Tsuga). La tourbe a été datée de 6990 ± 100 à 5800 ± 100 BP (22 datations), alors que les troncs et les souches ont donné des âges au 14C compris entre 6850 ± 100 et 5820 ± 80 BP (42 datations). Le contact entre la couche organique et l’unité limono-argileuse sous-jacente est régulier. Il semble donc que l’on soit passé brusquement d’un milieu submergé à un milieu terrestre émergé. 4) La couche organique est elle-même surmontée de 3 à 4 m de sédiments fins (limon sableux ou vase) stratifiés du type rythmites tidales ; les 2 m supérieurs de l’unité contiennent des débris de plantes en position de croissance, en particulier des tiges de scirpe américain (Scirpus americanus) ; on trouve aussi quelques fragments de bois à différents niveaux dans les 2 m inférieurs de l’unité. Les débris de plantes et les fragments de bois ont donné des âges au 14C compris entre 5,6 et 4,3 ka (16 datations). Cette unité intertidale a été mise en place lors d’une remontée du niveau marin relatif après une période d’environ un millénaire. 5) En surface, on trouve une tourbière, de 50 à plus de 200 cm d’épaisseur dont la partie inférieure a été datée de 4,5 à 4 ka (13 datations), indiquant ainsi le début de l’émersion de la terrasse de 8-10 m.

Figure 1

Carte de localisation.

Location map.

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Partie arrière de la terrasse

Les unités observées dans la falaise vive à Montmagny et à Cap-Saint-Ignace s’étendent-elles à l’ensemble de la terrasse de 8-10 m ? On peut le supposer ; mais en l’absence de coupes ou de forages, il paraît téméraire de l’affirmer. Lors de l’excavation d’une fosse d’épuration des eaux d’égout à Cap-Saint-Ignace (coupe 2, fig. 1) il y a quelques années, nous avons pu constater que la couche organique avec des troncs d’arbres s’étendait sur plus de 1 km à l’intérieur des terres, au droit de la large terrasse sise entre le cap Saint-Ignace et le village, situé du côté sud de la Nationale 132. En est-il de même ailleurs, en particulier dans le secteur entre la rivière du Sud et Cap-Saint-Ignace, là où la terrasse de 8-10 m est plus étroite ?

Figure 2

Unités litho-stratigraphiques exposées dans la falaise vive, à l’aéroport de Montmagny.

Lithostratigraphic units of the section exposed in the cliff at the Montmagny airport.

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Figure 3

Coupe dans l’arrière-partie de la terrasse de 8-10 m, à environ 1,6 km à l’est de l’aéroport de Montmagny.

A section in the back area of the 8-10 m terrace, about 1.6 km east of the Montmagny airport.

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Tableau I

Dates au 14C de la coupe dans la partie arrière de la terrasse de 8-10 m à Montmagny–Cap-Saint-Ignace

Dates au 14C de la coupe dans la partie arrière de la terrasse de 8-10 m à Montmagny–Cap-Saint-Ignace

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Une fosse à purin creusée au cours de l’été 2003 dans la partie arrière de la terrasse de 8-10 m, dans le secteur ouest de la municipalité de Cap-Saint-Ignace (70° 29’ 45” O, 47° 00’ 29” N), plus exactement au numéro civique 992 de la Nationale 132, à environ 1,6 km à l’est de l’extrémité orientale de la piste de l’aéroport, a permis de constater l’absence de la couche organique à cet endroit. Il s’avère donc d’intérêt scientifique de décrire cette coupe et de faire les corrélations latérales avec les unités observées dans la falaise vive.

Description de la coupe

Dans le secteur de la fosse à purin, la largeur de la terrasse de 8-10 m est d’environ 600 m. La fosse a été creusée à environ 75 m du côté nord de la Nationale 132. D’une profondeur d’environ 6 m, les parois de la fosse ont permis d’observer les unités suivantes (fig. 3). 1) À la base (unité 1), on trouve l’argile limoneuse de la Mer de Goldthwait datée à plus de 10 ka dans la zone intertidale (Dionne, 1998, 2001) ; l’argile est calcaire, gris rosâtre et pierreuse près de la surface mais, en profondeur, elle est laminée et contient des cailloux épars de délestage glaciel ; elle est légèrement déformée par endroits ; l’épaisseur du dépôt argileux sur le substrat rocheux n’est pas connue, mais la proximité d’une crête rocheuse permet de penser qu’elle n’excède pas 5 à 10 m. 2) L’argile est recouverte d’une couche de sable et de petit gravier (unité 2) correspondant à un faciès d’estran ; nous n’avons pas trouvé de coquillages mais un fragment de bois au sommet de l’unité qui a donné un âge au 14C de 5970 ± 70 BP (tabl. I) ; un dallage de petits cailloux caractérise la surface de cette unité alors que des gros blocs épars affectent à la fois cette unité et la surface argileuse. 3) L’unité détritique grossière est surmontée par 3 m de vase (limon sableux) intertidale, stratifiée en lits minces de type rythmique, de couleur gris pâle à sec et gris moyen lorsque humide (unité 3) ; elle contient à la base, juste au niveau des cailloux, des fragments de bois qui ont donné des âges au 14C de 5640 ± 70 et 5650 ± 70 BP. Des débris de plantes aquatiques in situ caractérisent l’ensemble de l’unité intertidale ; un échantillon récolté vers 280 cm de profondeur a donné un âge de 5460 ± 70 BP. 4) En surface, l’unité intertidale est recouverte par une tourbière (unité 4) d’une épaisseur comprise entre 50 et 150 cm (70 cm vis-à-vis de la coupe). Il s’agit d’une tourbe de sphaigne de milieu terrestre contenant des souches et autres fragments de bois. La base décomposée de la tourbière ainsi qu’une souche de Larix sp. ont donné des âges respectifs de 5080 ± 70 et 5020 ± 70 BP, indiquant que la partie arrière de la terrasse de 8-10 m dans ce secteur était déjà en voie d’émersion vers 5 ka.

Dans un fossé de drainage relié à la fosse à purin et situé à une quarantaine de mètres plus au sud, c’est-à-dire plus près de la Nationale 132, nous avons relevé les unités suivantes (fig. 4) : 1) À la base (unité 1), on observe l’argile limoneuse gris rosâtre de la Mer de Goldthwait. 2) Elle est surmontée d’une couche de gravier moyen à grossier sableux, mal trié, à stratifications peu nettes, de 50 à 60 cm d’épaisseur (unité 2) ; ce dépôt correspond à un faciès de bas estran ou de plage ; les unités 1 et 2 sont séparées par un dallage de cailloux. 3) La couche de gravier est recouverte par 60 cm de tourbe (unité 3). Aucune des unités n’a été datée. L’altitude de la surface argileuse est d’environ 9 m. On retrouve dans cette coupe le dépôt argileux de la Mer de Goldthwait et la limite d’un rivage antérieur à celui de la Transgression laurentienne. L’unité intertidale mise en place lors de la transgression à l’Holocène moyen est absente.

Corrélations entres les coupes

La figure 5 montre les corrélations entre les parties externe et interne de la terrasse de 8-10 m et confirme que la Transgression laurentienne n’a pas dépassé la Nationale 132 dans le secteur entre Montmagny et Cap-Saint-Ignace. De plus, l’absence de l’unité 2 à faciès infratidal ou bas intertidal, visible à la base de la falaise vive, renseigne sur le niveau marin relatif lors de la mise en place de cette unité. La transgression de l’Holocène moyen n’a pas atteint la partie arrière de la basse terrasse parce que la surface argileuse sise à 5 m d’altitude était trop élevée et devait à l’époque correspondre à la partie supérieure du rivage.

Cette coupe confirme donc l’altitude de 8-10 m atteinte par la Transgression laurentienne dans la région de Montmagny ; cette altitude est, rappelons-le, légèrement inférieure à celle observée plus en amont, soit 10-12 m à l’anse de Bellechasse (Dionne, 1997, 2000), mais semblable à celle observée à Rivière-Ouelle (Dionne, 1988b ; Dionne et Pfalzgraf, 2001).

Figure 4

Coupe à la limite interne de la terrasse de 8-10 m, à une quarantaine de mètres de celle de la figure 3.

A section at the inland margin of the 8-10 m terrace, about 40 m of the section illustrated in figure 3.

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Figure 5

Relations entre les unités litho-stratigraphiques de la coupe de la falaise vive et celles des deux coupes de la partie interne de la terrasse de 8-10 m.

Correlations between the lithostratigraphic units of the cliff section and the two sections at the back of the 8-10 m terrace.

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