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Introduction

L’érosion côtière est un phénomène bien connu, tant le long du Saint-Laurent qu’ailleurs dans le monde (Bird, 1985 ; Komar, 1998, Paskoff, 2001 ; Stone et Orford, 2004). Dans le contexte des changements climatiques, ce phénomène devrait prendre de l’ampleur, notamment en raison de la hausse mondiale du niveau marin et de l’augmentation de l’intensité des tempêtes (Shaw et al., 1998 ; IPCC, 2001 ; Lozano et al., 2004 ; Mörner, 2004). Or, comme plus de 40 % de la population mondiale demeure à moins de 100 km du littoral et que le phénomène risque d’avoir d’importantes répercussions sur elle (McCarthy et al., 2001), il est impératif que l’on s’intéresse sérieusement à la question. Au Québec, les impacts de l’érosion se manifestent notamment sur le plan socio-économique, par des dommages occasionnés aux réseaux routier et ferroviaire ainsi qu’au cadre bâti, des perturbations aux activités économiques et une hausse des coûts d’entretien des infrastructures côtières (fig. 1 à 3). Ils se manifestent aussi, sur le plan écologique, par la perte ou la modification d’habitats, dont les effets se feront bientôt sentir sur les activités traditionnelles des communautés littorales (fig. 4). La figure 5 donne un bon aperçu des zones de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent déjà reconnues pour leur vulnérabilité particulière à l’érosion. Parce que leurs systèmes côtiers sont très diversifiés et encore naturels, ou tout récemment perturbés, l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent constituent un laboratoire naturel exceptionnel pour comprendre les processus et les causes de l’érosion propres aux régions tempérées froides. Hormis un essai sur la dynamique sédimentaire dans l’estuaire du Saint-Laurent (Drapeau, 1992) et des synthèses sectorielles (Dubois, 1979a, 1999 ; Dionne, 1999 ; Bernatchez, 2003a), il n’existait, jusqu’à maintenant, aucune synthèse exhaustive sur les taux et les processus d’érosion pour l’ensemble du Saint-Laurent. L’objectif de cet article est donc de réaliser une telle synthèse à partir de résultats publiés, de même qu’à partir de mesures inédites réalisées par les auteurs. Ce bilan des connaissances permet d’établir les relations entre l’évolution de l’érosion du littoral et les grands types de systèmes côtiers du Québec maritime laurentien, c’est-à-dire du secteur en aval de Québec, là où l’influence maritime est prédominante (fig. 5).

Figure 1

Portion de la Nationale 138 emportée lors d’un glissement de terrain survenu en mai 1980 près de Havre-Saint-Pierre, Côte-Nord (photographie : ministère des Transports du Québec).

May 1980 landslide that destroyed a portion of Road 138 near Havre-Saint-Pierre, North Shore of St. Lawrence River, Québec (photograph: ministère des Transports du Québec).

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Figure 2

Enrochement de la voie ferrée, Barachois, baie des Chaleurs, été 2003 (photographie : Pascal Bernatchez).

Rail track protected by a stone wall, Barachois, Baie-des-Chaleurs, Québec summer 2003 (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 3

Résidences menacées par le recul de la microterrasse de sable, Sept-Îles, été 2003 (photographie : Pascal Bernatchez).

Houses threatened by the recession of the sandy cliff low terrace, Sept-Îles, Québec, summer 2003 (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 4

Érosion du marais intertidal, constituant une perte d’habitat importante, à l’Île-aux-Grues, été 2003, (photographie : Stéphane Gaumond).

Erosion of the intertidal marsh causing an important habitat loss at Île-aux-Grues, Québec, summer 2003 (photograph: Stéphane Gaumond).

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Figure 5

Répartition des zones d’érosion côtière problématiques connues pour le Québec maritime laurentien et toponymie.

Distribution of the problematic zones of coastal erosion for the laurentian maritime Québec and toponymy.

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Taux d’érosion du littoral

Les côtes de la partie maritime du système du fleuve Saint-Laurent, en particulier celles qui se sont constituées dans des formations meubles, suivent la même tendance que les autres côtes du monde. En effet, les taux moyens annuels de recul du trait de côte y sont de l’ordre de 0,5 à 2 m en maints endroits. Ils sont élevés, même pour des falaises constituées de roches sédimentaires.

Les taux d’érosion sont successivement présentés, ci-après, pour l’estuaire moyen, l’estuaire maritime et le golfe du Saint-Laurent (fig. 5).

Estuaire moyen

Côte nord

En maints endroits, les côtes de l’estuaire moyen subissent une érosion relativement sévère, particulièrement au droit des schorres supérieurs et de la basse terrasse Mitis (tabl. I). Dans le secteur de Sainte-Anne-de-Beaupré–Cap-Tourmente, le schorre supérieur recule à une vitesse moyenne de 1 à 2 m/an depuis plusieurs décennies (Troude et Sérodes, 1985 ; Dionne, 1986, 1993a, 2000). À l’anse aux Canards, à la pointe NE de l’île d’Orléans, Allard (1981) a estimé, à partir de photographies aériennes, un recul moyen du schorre inférieur de 4,9 m/an entre 1963 et 1972, et de 2,7 m/an entre 1972 et 1978,. Il en va de même à Petite-Rivière, où le schorre se voit retranché de 0,4 à 1,5 m/an en moyenne, et à la pointe aux Alouettes, où la terrasse Mitis recule, en moyenne, de 0,5 à 1,5 m/an ; cette dernière aurait même été érodée de 4,5 m au droit de la basse terrasse pendant la période de 1966 à 1987 (Dionne, 1996a, c). Encore là, l’érosion n’est pas récente. Elle serait à l’oeuvre depuis plus de deux siècles dans certains secteurs, comme en fait foi le récit de voyage de Pehr Kalm, en 1749 (Rousseau et al., 1977) ; celui-ci signale déjà des problèmes d’érosion à cette époque.

Côte sud

La côte sud s’érode à des vitesses similaires à celles rapportées pour la côte nord. À Montmagny, les relevés dans le schorre supérieur effectués par Dionne (1985a, b, 1986) et Dionne et Bouchard (2000) sur deux décennies indiquent un recul annuel moyen variant entre 1,5 et 3,5 m. La falaise en bordure de l’aéroport aurait, quant à elle, reculé, à un rythme de 2 m/an entre 1984 et 1999 (Dionne, 1999); elle a d’ailleurs été empierrée à l’automne 2003 pour freiner cette érosion rapide. En maints endroits à Montmagny, l’érosion complète du schorre a entraîné la réactivation et le recul de la falaise morte qu’il protégeait. À partir de mesures effectuées à l’aide de piquets-repères entre 1984 et 1986, Dionne (1986) a enregistré un recul annuel de 1,0 m du schorre entre Montmagny et Cap-Saint-Ignace, et de 2 à 4 m à Rivière-du-Loup. Les relevés de terrain effectués depuis 2003 dans le schorre supérieur de l’île aux Grues montrent aussi une érosion importante (fig. 4). Entre novembre 1982 et juillet 1984, Denis (1987) a enregistré un recul annuel du schorre supérieur à Rivière-du-Loup variant entre 1,25 et 5,2 m, pour un taux moyen annuel de 1,9 m.

Estuaire maritime

La plupart des travaux portant sur les taux de recul du littoral de l’estuaire maritime du Saint-Laurent couvrent des portions de territoire restreintes avec des mesures ponctuelles. Toutefois, certains secteurs de la Côte-Nord, comme le delta des rivières Manicouagan-aux Outardes, ont fait l’objet de nombreuses mesures au cours des deux dernières décennies. Si plusieurs études quantifiant le recul du rivage ont été réalisés sur la Côte-Nord, de tels travaux sont pratiquement inexistants pour la côte sud de l’estuaire maritime du Saint-Laurent (tabl. II).

Côte-Nord

Sur la côte nord de l’estuaire maritime, indépendamment du type de côte, et qu’il s’agisse de microfalaises sableuses ou silto-argileuses, ou de falaises basses ou hautes, le recul de la ligne de rivage est généralement fort important dans les formations meubles. En effet, les schorres supérieurs de la baie de Mille-Vaches et de la baie Laval ont, en moyenne, respectivement reculé de 0,85 à 1,35 m/an entre 1931 et 1996 (Hardy et al., 1998) et de 0,77 à 1,15 m/an entre 1964 et 1990 (Lamontagne, 1996). À la pointe à Boisvert, le recul moyen de la microfalaise de sable a été de 0,77 à 2,3 m/an, entre 1964 et 1990 (Lamontagne, 1996).

Dans le secteur localisé entre les rivières Portneuf et du Sault-aux-Cochons, au sud de Forestville, une falaise vive d'une hauteur de 40 à 85 m a reculé à une vitesse moyenne annuelle de 0,4 m entre 1931 et 1987 (Soucy, 1988). Cette érosion a forcé les autorités concernées à relocaliser la route 138 en 1999. Compte tenu de la hauteur de la falaise, ce recul est relativement important. Il se traduit par un apport substantiel en sédiments dans le système côtier.

Pour le territoire de Ragueneau et de Chute-aux-Outardes, les taux de recul de la falaise, mesurés depuis une cinquantaine d’années au moins, varient de 0,15 à 3,9 m selon les secteurs et la technique utilisée. Il semble que les taux qu’ont mesuré Chagnon et al. (1979) par photo-interprétation pour la période de 1935 à 1978 sous-estiment de moitié le recul de la falaise. En utilisant la même méthode, et pour une période similaire, Grondin et al. (1990) arrivent à des résultats comparables à ceux mesurés sur le terrain, soit des taux variant entre 0,4 et 1,9 m/an, avec une moyenne de 1,1 m/an. Quoi qu’il en soit, le recul semble plus important dans la partie aval de l’estuaire de la rivière aux Outardes. Sur la péninsule de Manicouagan, le recul de la falaise est important, avec des taux variant de 0,1 à 3,6 m/an depuis environ 70 ans (Grondin et al., 1990 ; Bernatchez et Baker, 1995 ; Bernatchez, 1998, 2000, 2003a ; Dubois, 1999) ; il a même dépassé 7 m/an sur les pointes sableuses au cours de la dernière décennie (Bernatchez, 2003a).

Tableau I

Taux d’érosion du littoral de l’estuaire moyen du Saint-Laurent

Taux d’érosion du littoral de l’estuaire moyen du Saint-Laurent
1.

Photographies : photographies aériennes multidates

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Une classification côtière de l’érosion du littoral réalisée en 1995 montre une alternance de côtes en érosion et de côtes stables alors qu’en bordure des enrochements, l’érosion est généralement élevée (Bernatchez, 1995).

Bien que les données sur les taux de recul soient ponctuelles et très fragmentaires, il apparaît clairement que la majorité des falaises entaillées dans des formations meubles sont affectées par l’érosion ; c’est entre autres le cas des côtes deltaïques de Tadoussac, de Betsiamites, de Franquelin et de Godbout ainsi que des côtes de Grandes-Bergeronnes, des Escoumins, de Longue-Rive et du cap Colombier.

Côte sud

Sur la côte sud, Dionne (1999) rapporte des taux d’érosion annuels moyens variant entre 0,25 et 0,5 m pour le schorre supérieur, basés sur une trentaine d’années d’observations, ce qui est nettement inférieur au taux de recul observé dans le moyen estuaire. Les marais intertidaux sont en voie d’érosion, notamment à L’Isle-Verte, à Trois-Pistoles et à Rimouski (Dionne, 1999).

Tableau II

Taux d’érosion du littoral de l’estuaire maritime du Saint-Laurent

Taux d’érosion du littoral de l’estuaire maritime du Saint-Laurent
1.

Photographies : photographies aériennes multidates

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Particulièrement entre Rimouski et Saint-Anne-des-Monts, l’érosion de la microterrasse de sable vient alimenter les plages qui sont déficitaires en raison de la diminution des apports en sédiments des cours d’eau (Dionne, 1999), mais aussi du fait qu’un fort pourcentage du littoral a été « artificialisé ». Dans le secteur entre Petit-Matane et Baie-des-Sables, la microterrasse de sable est particulièrement affectée par l’érosion, de sorte que la route 132, ainsi que certains bâtiments, sont menacés à court terme à quelques endroits. Les falaises vives sont beaucoup moins nombreuses que sur la côte nord, mais on en retrouve tout de même au Bic (cap Enragé), dans le secteur ouest de la baie de Mitis et à Matane (Coll, 1994 ; Dionne, 1999, 2001b, 2002a).

Golfe

Côte-Nord

Les données sur le recul du trait de côte de la Côte-Nord du golfe du Saint-Laurent proviennent en majeure partie des études de Dubois et de ses collaborateurs (Dubois, 1999). Les taux de recul sont basés sur des relevés faits à l’aide de piquets entre les années 1981 et 1985, mais aussi sur une plus longue période (20 à 50 ans), à partir de mesures réalisées par photo-interprétation multidate (tabl. III). Les données sont partielles pour certains secteurs alors que pour d’autres, comme ceux de Sept-Îles à Moisie et de Rivière-Saint-Jean à Magpie, elles sont abondantes. Par contre, les données pour la Basse Côte-Nord sont, à notre connaissance, très rares.

Pour le golfe du Saint-Laurent, le taux moyen de recul varie de 0,1 à 4 m/an mais peut atteindre plus de 10 m/an pour des falaises silteuses et argileuses des secteurs affectés par des mouvements de masse, et jusqu’à 8 m/an pour les microterrasses de sable sensibles aux vagues de tempêtes (tabl. III). Bref, le recul du littoral n’est négligeable nulle part.

De façon plus spécifique, on rapporte que l'érosion aurait cours depuis plus d'un siècle dans la région de Moisie. D’après des cartes cadastrales multidates, le recul de la flèche littorale se serait fait au taux annuel moyen de 2 à 5 m entre 1866 et 1933 (De Roquefeuil, 1965). Pour la période 1948 à 1976, Dubois et Briard (1980) ont estimé, par photo-interprétation, un recul maximal des flèches d'embouchure et du secteur du village de Moisie de 5 à 6 m , alors que le taux de recul moyen était de 1,2 à 1,4 m/an (Lessard et Dubois, 1984). Cette érosion sévère a d’ailleurs nécessité la relocalisation du village en 1973. Des mesures sur le terrain viennent confirmer le recul important du littoral entre la rivière Moisie et Sept-Îles, avec un taux moyen annuel de 2,4 m entre 1981 et 1985 (Dubois et Lessard, 1986). Par contre, vers Sept-Îles, la terrasse de plage accroît sa superficie. Ce phénomène entraîne un déplacement de la ligne de rivage vers la mer, qui a pu atteindre 120 m à la pointe aux Basques, entre 1930 et 1976, en raison d’un transfert de sédiments par la dérive littorale (Lessard et Dubois, 1984). L’analyse des photographies aériennes multidates indique que les zones de terrasses de plage, souvent dunifiées, subissent généralement des cycles d’érosion et d’accumulation en relation avec la dérive littorale, les tempêtes et les crues printanières. Certaines phases d’érosion peuvent parfois être très intenses. En effet, l’extrémité de la flèche littorale qui barre une bonne partie de l’estuaire de la rivière Sainte-Marguerite a été tronquée de 480 m entre 1996 et 2000 (Messier et Therrien, 2001, 2002), puis trouée lors d’une tempête à l’automne 2003.

Un autre secteur qui montre une forte érosion est celui de la rivière Saint-Jean, où le taux de recul annuel moyen de la microfalaise sableuse aurait été de 3,6 m entre 1948 et 1976 (Dubois, 1980a), alors qu'il était de 1,2 m entre 1981 et 1985 (Dubois et Lessard, 1986). Les microfalaises sableuses des régions de Longue-Pointe-de-Mingan et de Mingan présentent ponctuellement des zones de recul avec des taux moyens annuels respectifs de 0,7 m et de plus de 3 m entre 1981 et 1985 (Dubois et Lessard, 1986). Enfin, mentionnons aussi l’importance de l’érosion à proximité de l’embouchure des rivières au Bouleau, Tortue, Manitou, aux Graines, à la Chaloupe, Sheldrake, au Tonnerre, Magpie et Mingan (Dubois, 1979a ; Dubois et Briard, 1980).

Île d’Anticosti

Sur l’île d’Anticosti, même si 28 % de la côte occupée par des formations meubles présente des falaises actives (Dubois, 1993, 1999), il n’existe pas d’étude spécifique sur l’érosion littorale. Par contre, le ministère des Terres et Forêts du Québec (1974) mentionne des taux d’érosion de 0,5 à 1 m/an, probablement localisés, sur les côtes rocheuses de calcaire et de grès exposées au nord, mais sans indiquer de quelle façon ces données ont été obtenues. De plus, Samson (2004, in Dubois et al., 2005) rapporte que, sur une photographie de 1940, la maison du phare de la pointe Sud, photographiée à partir du rebord de la falaise, était à une distance d’environ 30 m, alors qu’en 2003, les fondations de cette maison se trouvaient au bord de la falaise en érosion. Le recul de cette falaise au cours des six dernières décennies s’est donc fait au taux moyen de 0,48 m/an.

Côte sud

À l’exception d’une étude détaillée sur les processus d’érosion des falaises rocheuses de la baie des Chaleurs (Daigneault, 2001), il n’existe, à notre connaissance, aucune autre étude qui ait traité systématiquement et spécifiquement de l’érosion côtière de la côte sud du golfe du Saint-Laurent, en particulier la côte nord de la Gaspésie. Toutefois, de longs secteurs ont été enrochés pour protéger la Nationale 132.

Baie des Chaleurs

Dans la baie des Chaleurs, des taux de recul maximaux de la microfalaise sableuse de 0,6 à 0,9 m/an ont été calculés par photo-interprétation pour la période de 1948 à 1980 (Lavoie et al., 1985). La flèche littorale est de Pasbébiac a, quant à elle, reculé de façon importante, à un taux moyen de 3 m/an, entre 1870 et 1998 (Renaud, 2000). Des mesures réalisées à partir de points de repère dans la baie des Chaleurs entre 1990 et 2000 montrent des reculs variables, oscillant entre 0,3 m et 3,6 m, pour des falaises rocheuses de grès et de conglomérats (Daigneault, 2001).

Tableau III

Taux d’érosion du littoral du golfe du Saint-Laurent

Taux d’érosion du littoral du golfe du Saint-Laurent
1.

Recul par des glissements de terrain

2.

Peut comprendre par endroits de petits secteurs de falaises dans les formations meubles

3.

Photographies : photographies aériennes multidates

4.

Communication personnelle de P. Samson (Collège Boréal, à Sudbury) à Jean-Marie Dubois, le 15 juillet 2004

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Îles-de-la-Madeleine

Dans les noyaux rocheux des Îles-de-la-Madeleine, on a obtenu, pour la falaise du cap du Dauphin, un taux de recul de 0,35 m/an à partir de la comparaison des cartes cadastrales de 1890 et de 1952 (Drapeau, 1979), et de 0,28 m/an à partir de la carte cadastrale de 1952 et de la couverture de photographies aériennes de 1977 (Mercier, 1987). Si l’on prend pour base un taux de recul uniforme d’environ 0,30 m/an, le volume érodé serait de l’ordre de 172 500 m3/an (Drapeau et Mercier, 1990). D’après ces auteurs, le bilan sédimentaire des plages serait nul puisque la sédimentation dépasserait l’érosion d’à peine 1 300 m3/an. Toutefois, à partir d’une étude exhaustive de l’évolution côtière de l’archipel des Îles-de-la-Madeleine, Grenier (1993) indique plutôt une érosion générale des côtes entre 1963 et 1983, avec une perte nette de plus de 254 310 m2, soit 12 716 m2/an. Dans le détail (tabl. III), Grenier et Dubois (1992) montrent que les falaises rocheuses sont aussi vulnérables que les falaises et les microfalaises de formations meubles. Les différences entre les résultats de ces études tiennent au fait que Drapeau (1979) et Mercier (1987) ont utilisé comme repère l’interface terre-eau, dans une optique sédimentologique, tandis que Grenier et Dubois (1992) et Grenier (1993) ont utilisé la limite de la végétation ou le rebord des falaises et des microfalaises, c’est-à-dire la bordure des terres habitables, à des fins d’aménagement.

Processus d’érosion

Jusqu’à maintenant, très peu d’études ont tenté de quantifier la part relative des différents processus d’érosion dans le recul global des littoraux du Saint-Laurent, de sorte que l’on peut surestimer ou sous-estimer l’effet de certains d’entre eux (Daigneault, 2001 ; Bernatchez, 2003a). Les études sur les processus d’érosion se fondent principalement sur des constats qualitatifs ponctuels, tant dans l’espace que dans le temps. Il est en outre difficile de classifier et de départager les agents des processus d’érosion parce qu’ils sont souvent interreliés ou encore, qu’un même agent peut déclencher différents processus. Sont présentés ici les processus d’érosion de premier ordre qui peuvent être regroupés dans les grandes catégories suivantes : aérodynamique/hydrodynamique, hydrogéologique/gravitaire, météorisation, biologique, anthropique et chimique (tabl. IV).

Tableau IV

Classification des processus d’érosion de premier ordre en milieu côtier

Classification des processus d’érosion de premier ordre en milieu côtier

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Processus aérodynamiques et hydrodynamiques

Cette catégorie regroupe l’éolisation ainsi que l’action des vagues, des courants de marée, de la dérive littorale et des glaces littorales.

Éolisation

L’activité éolienne affecte principalement les côtes sablonneuses de la Côte-Nord du Saint-Laurent.

Dans l’estuaire maritime, bien qu’elle soit généralement négligeable et ponctuelle, l’activité éolienne a tout de même un impact sur les hauts de plage exposés aux vents dominants, notamment sur la flèche de Portneuf et sur les pointes de Betsiamites, aux Outardes, Paradis et Manicouagan, mais aussi sur les falaises bien drainées et constituées de sable fin du secteur est de Ragueneau et de celui situé à l’est de Baie-Saint-Ludger.

Sur les côtes sableuses du golfe du Saint-Laurent, les vents peuvent éroder et transporter une quantité importante de sable, notamment à l'embouchure des rivières Moisie, aux Graines, au Tonnerre, Magpie et Saint-Jean, ainsi que le long du littoral, entre Rivière-Saint-Jean et Mingan, dans la région de Havre-Saint-Pierre et d’Aguanish, sur le delta de la rivière Natashquan, à Chevery (Dubois, 1977a, c, 1999) et à Lourdes-de-Blanc-Sablon (Bergeron et al., 1983).

Welsted (1960) a rapporté que la destruction du couvert forestier par un feu, dans la région de Natashquan, avait favorisé la prise en charge par le vent des sédiments sur lesquels il reposait. Le déplacement de ces sédiments vers la zone forestière avoisinante a entraîné la destruction du couvert forestier, ce qui a favorisé une accentuation de l’activité éolienne (Welsted, 1960 ; Dubois, 1979a).

Les flèches littorales et les cordons littoraux sableux récents sont particulièrement sensibles à l’éolisation. On constate aussi une reprise de l’éolisation le long de chemins ou de sentiers de véhicules tout-terrain, à des endroits qui avaient pourtant déjà été stabilisés par la végétation. Certains rebords de falaises où le ortstein a été enlevé ou défoncé peuvent aussi devenir sujets à l’éolisation.

Quoique son rôle soit négligeable dans l’érosion directe des côtes, le vent conditionne de manière importante les processus hydrodynamiques.

Action des vagues et des courants de marée

L’érosion du littoral de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent est principalement attribuée à l’action des vagues, particulièrement lors des marées de vive eau et des tempêtes (Dionne, 1961, 1986, 1996a, b, 2001a ; Dubois et Briard, 1980 ; Allard et Tremblay, 1981 ; Valton et al., 1983 ; Troude et Sérodes, 1985 ; Dubois et Lessard, 1986 ; Lessard et Dubois, 1986 ; Denis, 1987 ; Dubois, 1999 ; Bernatchez, 2003b). Il n’existait toutefois, jusqu’à tout récemment, aucune étude basée sur des données de terrain permettant de préciser l’impact réel des vagues dans le recul de la ligne de rivage. La majorité des taux de recul connus étaient obtenus à partir de comparaisons de couvertures multidates de photographies aériennes, en postulant souvent que les vagues étaient le seul, ou, du moins, le principal agent d’érosion.

Des relevés effectués sur la Côte-Nord avant et après l’importante tempête qui a frappé l’ensemble des Maritimes le 29 octobre 2000 (McCulloch et al., 2002 ; Forbes et al., 2004), montrent que l’impact des vagues sur le littoral est intimement lié au type de lithologie de la côte. En effet, le recul de falaises argileuses a été nul à faible (de 0 à 0,2 m) alors qu’il a varié de 0,9 m à 9,6 m pour les côtes de sable. Il en va de même pour es côtes à flèches littorales, à terrasses de plage, à saillants triangulaires, à tombolos et celles découpées dans des formations rocheuses sédimentaires, qui sont les plus vulnérables à l’action des vagues de tempête (Bernatchez, 2003a). À Sainte-Anne-de-Beaupré et à Montmagny, il a été estimé que 50 à 60 % du recul annuel total du schorre supérieur s’effectue lors de la période interglacielle ; les vagues et les courants de marée en sont les principaux responsables (Dionne, 2000 ; Dionne et Bouchard, 2000). Sur l’estran et le milieu infralittoral, l’action spécifique des houles ordinaires se manifesterait jusqu’à une profondeur de 10 à 12 m, comme l’ont démontré Long et Drapeau (1983) au large du delta de la rivière Saint-Jean. Cependant, à titre indicatif, les résultats d’une expérimentation de Drapeau et Morin (1981), à Trois-Pistoles, montrent que les vagues n’affectent le fond qu’à des profondeurs de moins de 5 m, sauf lors des tempêtes (Drapeau, 1992).

Les vagues de tempête peuvent aussi déloger des blocs de grande dimension sur les estrans rocheux, comme on l’a constaté à l’île d’Anticosti (Nadeau, 1987 ; Lessard et al., 1989 ; Dubois et Nadeau, 1999). Il n’en demeure pas moins que les tempêtes sont occasionnelles et qu’elles doivent, pour avoir un impact sur le littoral, coïncider avec d’autres conditions, dont la combinaison marée haute-absence de pied de glace. L’action des vagues ne peut donc, à elle seule, expliquer les taux de recul enregistrés sur les côtes de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent.

Dans le contexte d’une hausse du niveau marin, l’érosion des côtes devrait s’accélérer. En segmentant les données marégraphiques, Dubois et Lessard (1986) ont mis en évidence le fait que certaines périodes de forte érosion enregistrées sur la Côte-Nord coïncidaient avec des périodes de hauts niveaux d’eau. C’était le cas, par exemple, pendant l’intervalle 1965-1970 ; à l’inverse, la période 1970-1976 a été caractérisée par une érosion modérée et une baisse des niveaux d’eau. Il n’existe, à la connaissance des auteurs, aucune étude exhaustive portant sur les variations récentes du niveau marin relatif pour l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. Toutefois, une recherche en cours à l’échelle de ces secteurs suggère que le littoral est relativement stable ou en voie de submersion ; elle met en évidence la présence de lobes et de cordons de sable transgressifs sur les côtes basses, de même que la migration continuelle de la ligne de rivage vers l’intérieur des terres (Bernatchez, 2004). Ces résultats corroborent le modèle géophysique de Tarasov et Peltier (2004) selon lequel la Baie des Chaleurs et la partie sud du golfe du Saint-Laurent seraient en subsidence alors que l’estuaire subirait un faible relèvement isostatique. Des datations au 14C révèlent que l’émersion glacio-isostatique résiduelle des côtes est inférieure à 1,3 mm/an (Bernatchez, 2003a). La hausse moyenne globale du niveau des océans aurait été de 1 à 2 mm/an depuis un siècle (Gornitz, 1995 ; Woodworth et al., 1999 ; Mörner, 2004) ; il n’est donc pas surprenant d’observer une submersion côtière de certaines régions du Québec maritime laurentien, laquelle ne devrait d’ailleurs pas tarder à se produire dans d’autres régions côtières. Cette hausse relative du niveau marin explique sans doute, en partie, l’érosion côtière récente constatée dans l’estuaire maritime et le golfe du Saint-Laurent.

Action des glaces littorales

Les études sur le rôle morphosédimentologique des glaces sur les littoraux ont presque exclusivement porté sur les côtes de sédiments fins de la côte sud du moyen estuaire du Saint-Laurent (Dionne, 1985c, 1989a, b), de sorte que les données relatives à l’influence des glaces sur les côtes sableuses du Saint-Laurent sont plutôt rares (Moign, 1972 ; Lessard et Dubois, 1984).

Les glaces jouent un rôle important dans l’érosion des schorres et des plates-formes littorales de l’estuaire moyen (Dionne, 1961, 1968b, 1971, 1972, 1985c, 1988, 1989a, b ; Allard, 1981 ; Brodeur et Allard, 1983), de l’estuaire maritime (Dionne, 1968a, b, 1972, 1986, 1989a, b, 1993b ; Dionne et Brodeur, 1988a, b ; Bernatchez et Leblanc, 2000) et du golfe du Saint-Laurent (Dionne, 1981 ; Dubois, 1999). L’action érosive des glaces est connue depuis de nombreuses décennies : Prat y faisait déjà allusion dans son article de 1933 sur le rivage de Trois-Pistoles. Dionne (1986) mentionne que l’érosion glacielle a occasionné, à certains endroits de l’anse au Persil, près de Rivière-du-Loup, un recul du schorre supérieur de 6 m au printemps 1984. De plus, la glace peut arracher de grands radeaux de schorre ; un tel radeau, d’une dimension de 2 à 6 m de longueur, de 1 à 2 m de largeur et de 0,30 à 0,50 m d’épaisseur a été signalé à Sainte-Anne-de-Beaupré par Dionne (2000). L’arrachement glaciel ne serait pas, non plus, un agent d’érosion négligeable dans les marais des secteurs de L’Isle-Verte, de Trois-Pistoles, du Bic, de Rimouski et de Métis-sur-Mer (Dionne, 1961, 1972 ; Migneault, 1979). Associée à l’action des glaces, la cryoplanation serait un processus d’érosion à prendre en considération dans les parties supérieure et moyenne de l’estran rocheux entre Saint-Fabien-sur-Mer et la pointe Mitis (Guilcher, 1981).

Les glaces jouent aussi un rôle important dans le transport sédimentaire. À Montmagny, les glaces transporteraient annuellement plus d’un million de tonnes de vase et le couvert glaciel annuel contiendrait environ 60 000 t/km2 de sédiments (Dionne, 1984, 1989a, b, 1993c, 2002b) tandis, qu’à Cap-Tourmente, il contiendrait 15 000 t/km2 et l’érosion annuelle serait évaluée à 60 000 t (Troude et Sérodes, 1985). Dionne (1993b) a évalué à 250 kg/m2 la masse de débris rocheux délestés annuellement par les glaces sur la plate-forme littorale à Pointe-au-Père. Les glaces littorales peuvent même déplacer des mégablocs de plus de 80 t (Dionne, 1988, 2004).

La formation de mares et l’érosion des plates-formes littorales par l’action des glaces favorisent un recul rapide du schorre supérieur à cause du sapement par les vagues, lequel devient de plus en plus intense au fur et à mesure que l’estran s’abaisse. De plus, la répartition des microformes glacielles à la surface de l’estran concorderait avec le gradient-inondation qui détermine les modalités du déglacement printanier (Allard, 1981).

Sur les côtes sablonneuses, l’érosion directe par les glaces s’effectue à la suite de la destruction épisodique du pied de glace et du départ des glaçons, sous lesquels est soudée une couche de sédiments (Moign, 1972 ; Bernatchez, 2003a). Dans la région de Val-Marguerite, les glaces joueraient un rôle important dans l’érosion de la partie médiane de la plage, mais elles n’éroderaient pas directement les falaises (InteRives et Roche-Dessau, 1998a, b).

Le principal effet des glaces littorales sur les côtes sableuses est indirect : ces glaces agissent comme une structure rigide qui réfléchit les vagues et favorise une érosion du bas de plage (fig. 6). Ainsi, à la suite du départ du pied de glace, la plage est reprofilée par l’action des vagues, ce qui entraîne un abaissement du haut de plage. Des mesures effectuées entre 1998 et 2004 sur des plages sableuses de la Côte-Nord montrent des abaissements d’un mètre de la surface de la plage. Le départ répété des glaces pendant la saison glacielle et l’augmentation du nombre de cycles glaciels observés depuis 1998 sur la Côte-Nord assurent un maintien du transit sédimentaire sur le bas de plage en hiver, d’autant plus que l’on enregistre les vents les plus forts pendant cette période. Ce phénomène pourrait s’accentuer dans le contexte du réchauffement climatique. Cet accroissement du déficit sédimentaire des plages explique les taux élevés de recul mesurés récemment pour certaines falaises et microfalaises de la Côte-Nord. L’érosion des plages augmente le temps de submersion du haut de plage et permet dorénavant aux marées de morte eau d’atteindre la base de certaines falaises ; cela se traduit par une plus grande efficacité des vagues à évacuer les sédiments provenant de la météorisation des falaises et des mouvements de masse. Une connaissance plus approfondie du glaciel et de l’impact du pied de glace est, au même titre que celle d’autres agents, tels les vagues et les courants, indispensable à la compréhension globale de l’évolution côtière.

Processus hydrogéologiques et gravitaires

Dans cette catégorie est regroupé l’ensemble des mouvements de masse affectant les falaises littorales.

Glissements et coulées

L’hydrogéologie est une composante importante dans le déclenchement des différents types de mouvements de masse le long des littoraux.

Les glissements de terrain contribuent de manière significative au recul des hautes falaises des complexes deltaïques de la Côte-Nord, notamment celles de Tadoussac, du secteur entre Les Escoumins et la baie des Bacon, de Forestville, de Betsiamites, des deltas des rivières Manicouagan-aux Outardes et Sainte-Marguerite, de la baie de Sept-Îles, des deltas des rivières Moisie, Magpie, Saint-Jean et Romaine, des anses de Glaise et du Sault-Blanc, de Mingan, de Havre-Saint-Pierre et du delta des rivières Natashquan et Kegaska (Dubois, 1977b, 1979a, 1999 ; Dubois et Briard, 1980 ; Dredge, 1983 ; Grondin, 1987, 1996 ; Soucy, 1988 ; Bernatchez, 1995, 2003a ; Hardy et al., 1998 ; Morneau, 1999). On retrouve aussi des cicatrices de glissements de terrain sur la rive nord de l’estuaire moyen, notamment à Saint-Joseph-de-la-Rive (Quilliam et Allard, 1989) et à Baie-Sainte-Catherine (Dionne, 1996a).

Certains secteurs, connus, sont sujets aux coulées argileuses, soit ceux de Chute-aux-Outardes (Raynald, 1977 ; Allard, 1984) et de la pointe des Booms à Pointe-Lebel (Desmarais, 1976 ; Grondin, 1988) et de Rivière-Saint-Jean (Lebuis, 1977 ; Allard, 1980).

L’énorme glissement de terrain survenu au printemps 1980 à l’ouest de Havre-Saint-Pierre, qui a emporté une section de la route 138, montre l’ampleur que peut prendre ce type de phénomène (fig. 1).

Les glissements par décrochement constituent le type de glissement de terrain le plus répandu (fig. 7). Sur la Côte-Nord, ils affectent la majorité des falaises constituées de sable reposant sur de l’argile ou du silt marin. Sur la côte sud, les principaux secteurs touchés font partie de la terrasse Micmac et sont principalement constitués de sédiments fins intertidaux ; ils sont localisés dans les régions de Montmagny, de Berthier-sur-Mer, du Cap-Saint-Ignace, de Métis-sur-Mer, de la rivière Seal Cove (baie de Gaspé) ainsi que sur les falaises d’argile glacio-marine de Matane et les falaises deltaïques de Carleton. Les fortes précipitations sont généralement la cause principale du déclenchement de ces types de mouvements de masse. Ces derniers se produisent souvent à la suite de la saturation, puis de la liquéfaction des couches de sable très fin observées dans les dépôts prodeltaïques (Bernatchez, 2003a). Les fortes précipitations de juillet 1996 et la crue exceptionnelle qui en a résulté ont engendré de nombreux glissements de terrain le long des falaises littorales : 32 glissements de terrain ont été répertoriés sur une distance d’un kilomètre, immédiatement à l’ouest de Chute-aux-Outardes. À l’été 1999, 83 % des cicatrices étaient encore actives, ce qui démontre que certains événements climatiques peuvent déstabiliser des falaises à plus long terme (Bernatchez, 2003a). Un autre déclencheur qui pourrait avoir un impact accru dans le contexte d’une hausse du niveau marin relatif est le sapement de la base des falaises ou des berges des cours d’eau, car il accentue leur pente, favorisant ainsi le déclenchement de glissements de terrain.

Suffosion et ravinement

Bien que son importance soit sous-estimée dans les études d’érosion côtière, la suffosion est un processus d’écoulement souterrain qui constitue un acteur majeur dans le recul des falaises deltaïques (Bernatchez, 1995 ; Dubois, 1999 ; Morneau, 1999 ; fig. 8 et 9).

Un suivi régulier effectué sur la péninsule de Manicouagan depuis 1995 montre que 60 % des réactivations de falaises sablo-silteuses (pourcentage calculé en termes de longueur de côtes) sont liées à l’écoulement souterrain (Bernatchez, 2003a).

Figure 6

Abaissement du bas de plage en raison de la réflexion des vagues sur le pied de glace de haut estran, péninsule de Manicouagan, hiver 2000 (photographie : Pascal Bernatchez).

Erosion of the lower foreshore triggered by waves reflection on the upper foreshore’s ice foot, Manicouagan Peninsula, Québec, winter 2000 (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 7

Glissement par décrochement de la partie superficielle de la falaise, péninsule de Manicouagan, été 2003 (photographie : Pascal Bernatchez).

Superficial landslide on the cliff, Manicouagan Peninsula, Québec, summer 2003 (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 8

Formation de trous de suffosion dans une falaise de sédiments fins, péninsule de Manicouagan, été 1998 (photographie : Pascal Bernatchez).

Suffosion holes forming in a cliff of fine sediments, Manicouagan Peninsula, Québec, summer 1998 (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 9

Formation d’un ravin de suffosion à la suite de fortes précipitations survenues au printemps 1983, Pointe-Lebel (photographie : Jean-Marie M. Dubois).

Development of a gully-flow caused by heavy rain during the spring of 1983, Pointe-Lebel, Québec, (photograph: Jean-Marie M. Dubois).

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Dans certains cas, les processus de suffosion peuvent modifier de manière soudaine le bilan sédimentaire. Le cas de la rivière Moisie est particulièrement bien connu. Le 16 juin 1959, un mégaravinement s’y est produit, entraînant 200 000 m3 de sédiments. Le 4 novembre 1966, lors d’un autre événement semblable survenu un peu en aval du premier, 3,5 millions de mètres cubes de sédiments ont été déversés dans la rivière Moisie, laissant derrière eux un système de ravins de 2,5 km de longueur et de 30 m de profondeur (Dredge et Thom, 1976 ; Dredge, 1983). Ces événements ont été précédés par de fortes précipitations, qui ont provoqué une saturation et une liquéfaction des sables. La configuration du ravin qui en a résulté suivait celle d’un réseau de chemins forestiers dont on avait défoncé le ortstein, en maints endroits, pour permettre l’égouttement des eaux de surface. Le ravinement est donc favorisé lorsque l’ortstein, fréquent au sommet des édifices deltaïques de la Côte-Nord (Dubois et al., 1990), est défoncé par les activités humaines. Les fortes précipitations de juillet 1996 ont aussi eu un impact majeur sur la zone côtière de la Côte-Nord car elles ont entraîné la formation de ravins, lesquels ont sectionné la route 138 à plusieurs endroits.

Écroulements et éboulis

Dans le Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine, à l’île d’Anticosti et dans l’archipel de Mingan, les talus d’éboulis et les écroulements dans les formations de grès, de conglomérat, de calcaire, de gypse et de schiste constituent les types les plus importants de mouvements de versants. Aux Îles-de-la-Madeleine, les zones d’argilite altérée évoluent même par liquéfaction et fluage. L’effondrement d’importants pans de conglomérat dans le secteur de Saint-Fabien-sur-Mer—Parc du Bic confère une géomorphologie côtière fort particulière à la région (Dionne, 1969 ; fig. 10). Dans le secteur du cap Bon Ami, le sapement basal par les vagues et l’action des glaces maintiennent actifs les talus d’éboulis (Allard et Tremblay, 1981). De plus, la gélifraction et les fortes précipitations affectant la partie supérieure des parois rocheuses favorisent l’alimentation en débris des talus d’éboulis côtiers. Malheureusement, très peu d’études sur les processus affectant les falaises rocheuses ont été réalisées dans l’estuaire maritime et le golfe du Saint-Laurent ; il n’existe pas davantage de données sur les taux d’érosion.

Météorisation

Cette catégorie regroupe les processus d’ordre atmosphérique affectant la surface des falaises, soit ceux liés au gel et à la dessiccation.

Processus cryogéniques

Les processus cryogéniques englobent l’ensemble des processus liés au gel-dégel. Le gel-dégel est particulièrement efficace dans les falaises et les plates-formes rocheuses de grès, de conglomérat, de calcaire et de schiste de Saint-Fabien-sur-Mer, du parc du Bic, de Pointe-au-Père, de Mitis (Dionne, 1961, 1993b ; Guilcher, 1981), des îles de Mingan (Dionne et Dubois, 1979 ; Dubois, 1979a) et du nord de la Gaspésie (Trenhaile et Rudakas, 1981). Sur l’île d’Anticosti, l’érosion de la plate-forme rocheuse intertidale, aussi faible soit-elle, serait provoquée par la gélifraction qui emprunterait les réseaux de fissures (Dubois et Nadeau, 1999). La gélifraction affecterait aussi les plates-formes littorales de l’île aux Coudres et de l’île d’Orléans (Champagne, 1978 ; Brodeur et Allard, 1983). Encore actifs de nos jours, les mouvements sur les versants rocheux côtiers du nord de la Gaspésie se déclenchent par la gélifraction, les processus nivéo-éoliens et les précipitations (Hétu et al., 1994 ; Hétu et Gray, 2002).

Jusqu’à maintenant très peu abordés ou ignorés, les processus cryogéniques jouent un rôle fondamental dans l’évolution des basses terrasses et des falaises de sédiments fins des complexes deltaïques du Saint-Laurent (Bernatchez et Dionne, 1999 ; Bernatchez, 2003a).

En hiver, les falaises – surtout celles exposées au sud – dégèlent presque tous les jours ensoleillés, au moins jusqu’à des températures ambiantes de -23 oC, pour regeler ensuite (Bernatchez, 2003a). Ce dégel répété, lorsqu’il se produit dans des parois de falaises (5-30 cm) constituées de silt et de sable fin prodeltaïque de secteurs non protégés par une congère de neige peut entraîner deux phénomènes : 1) l’éclatement des dépôts argileux et silteux marins en gélifracts, puis leur effondrement (fig. 11) ou 2) la liquéfaction et la solifluxion des matériaux, puis la formation de nombreuses coulées boueuses (Bernatchez, 2003a ; fig. 12). Pendant les hivers 1998 à 2003, de nombreux redoux accompagnés de pluie ont favorisé le déclenchement de glissements de terrain et d’importantes coulées boueuses (fig. 13). La fréquence de ces processus pourrait donc augmenter dans le contexte du réchauffement climatique.

La congélation de la paroi d’une falaise saturée en eau favorise aussi une poussée hydrostatique et provoque la disjonction et l’écroulement de pans de falaise. Ces processus peuvent aussi être initiés par la formation et la croissance de glaçons dans les fissures des parois argileuses ou au sommet des falaises, dans les ortsteins. L’érosion des falaises s’accélère aux endroits où il y a suintement de la nappe phréatique ou résurgence d’eau, au contact entre les sédiments sableux de surface et les sédiments plus fins (donc plus imperméables) sous-jacents.

Des relevés effectués dans la région de la Manicouagan indiquent qu’environ 65 % du recul annuel total des falaises composées de sédiments fins serait directement lié à l’action du gel ; le recul se produirait principalement pendant la période glacielle, durant laquelle la base de la falaise est protégée de l’action des vagues (Bernatchez, 2003a).

À Ragueneau, le gel-dégel répété affecte aussi la plate-forme argileuse et favorise l’abaissement de la surface de l’estran (Bernatchez et Dionne, 1999). À la connaissance des auteurs, aucune étude n’a été consacrée à ce type de processus d’érosion des falaises meubles sur la côte sud. Toutefois, Dionne (1961) mentionne que l’infiltration et le gel-dégel provoquent des coulées de solifluxion le long de la falaise Micmac, dont celles survenues en 1959 à Sainte-Luce-sur-Mer et dans la baie de Mitis. Au printemps 2002, on a observé des coulées boueuses liées au dégel de la falaise dans la région de Matane.

Il ne serait pas surprenant que les processus cryogéniques jouent un rôle important dans le recul des falaises meubles de Carleton, étant donné leur lithostratigraphie (sable sur silt marin) et leur exposition sud. Ce secteur constitue une des zones les plus actives à ce chapitre dans la baie des Chaleurs. Le gel-dégel joue aussi un rôle complémentaire important dans l’érosion des microfalaises des marais maritimes, où 40 à 50 % du recul s’effectuerait pendant la période de gel, soit de novembre à la fin d’avril (Dionne, 2000, 2001a ; Bernatchez, 2003a).

Dessiccation (processus d’hydratation-déshydratation)

La contribution de la dessiccation à l’érosion des côtes du Saint-Laurent a été très peu étudiée. Ce phénomène affecte particulièrement les sédiments fins qui composent les falaises et les estrans d’argile marine, ainsi que les microfalaises des marais maritimes (fig. 14). Son rôle ne serait pas négligeable dans la région de Ragueneau (Grondin et al., 1990 ; Bernatchez et Dionne, 1999). Sur la péninsule de Manicouagan, le processus serait resposable de 20 % à 30 % du recul annuel moyen, tant pour les falaises d’argile que de silts marins ou prodeltaïques (Bernatchez, 2003a). Des alternances d’humidification et d’assèchement entraînent des ruptures et l’effondrement de paquets et de dalles qui font reculer ponctuellement la falaise de 10 à 40 cm en moyenne (fig. 15).

Processus biologiques

Les processus biologiques sont principalement liés aux activités d’alimentation (« picorage ») et de nidification de la faune ailée, mais ils ont été très peu documentés jusqu’à maintenant au Québec.

En creusant des milliers de trous à la recherche de rhizomes de plantes, les oies blanches causent un abaissement de la surface de l’estran en raison de la remise en suspension de la vase et de sa prise en charge par les vagues et les courants littoraux (Allard, 1981 ; Dionne, 1985b, 1986) ; la durée de la submersion de l’estran est donc plus importante dans les secteurs à forte concentration d’oies. De plus, en détruisant le couvert végétal, les oies sont responsables de 5 à 10 % de l’érosion annuelle totale du schorre supérieur de Sainte-Anne-de-Beaupré, et de 20 à 25 % de celle du schorre de Montmagny (Dionne, 2000, 2001a). Les répercussions des activités des bernaches ont aussi été rapportées pour les marais des estuaires des rivières aux Outardes et Manicouagan (Bernatchez, 2003a) (fig. 16) : elles y creusent de petites cuvettes qui finissent par se rejoindre et former des surfaces d’érosion.

Figure 10

Éboulements de mégablocs de conglomérats, rive sud de la baie du Haha !, Parc national du Bic (photographie : Pascal Bernatchez).

Conglomerate megaboulder rockfall, southern shore of the Haha ! Bay, Parc national du Bic, Québec (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 11

Formation d’un talus d’éboulis de gélifracts d’argile sur le pied de glace, Ragueneau, Côte-Nord, hiver 2004 (photographie : Pascal Bernatchez).

Development of a clayey gelifract cliff on the ice foot, Ragueneau, North Shore, Québec, winter 2004 (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 12

Coulées boueuses formées à la suite du dégel de la partie superficielle de la falaise, péninsule de Manicouagan, hiver 1999 (photographie : Pascal Bernatchez).

Mud flow caused by the thawing of the superficial part of the cliff, Manicouagan Peninsula, winter 1999 (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 13

Glissement de terrain survenu à Rivière Saint-Jean, au printemps 2003. Les dépôts reposent sur le pied de glace de haut estran (photographie : Pascal Bernatchez).

Landslide that happened at Rivière-Saint-Jean, Québec, spring 2003. The deposits lay on the ice foot (photograph: Pascal Bernatchez).

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D’autres oiseaux, dont certaines hirondelles, nichent directement dans les falaises meubles. Les trous qu’ils creusent affaiblissent les parois et en favorisent l’érosion. Toutefois, même si elle n’a jamais été évaluée, leur contribution à l’érosion est sans doute peu importante et très localisée.

Processus anthropiques

Les modifications du littoral qu’entraînent les activités humaines méritent une attention particulière. Les principales actions humaines qui causent ou accélèrent l’érosion des côtes sont : la construction d’obstacles à la circulation des sédiments littoraux (ouvrages transversaux) et fluviatiles (barrages), qui entraînent une rétention des sédiments en amont des obstacles et un déficit en aval ; l’excavation et le prélèvement de matériaux sur le littoral ; la construction progressive de structures de protection contre l’érosion ; la concentration de l’écoulement des eaux vers les falaises pour améliorer le drainage de surface, notamment lors de l’exploitation de tourbières ou de l’aménagement des structures routières ; et la dénudation des surfaces (tabl. IV).

L’action anthropique semble jouer un rôle non négligeable dans l’érosion des marais intertidaux du moyen estuaire (Allard, 1981 ; Dionne, 1985a). Dionne (1985a) a d’ailleurs fait une synthèse des différentes activités humaines favorisant l’érosion : la récupération des marais, notamment à des fins agricoles (champs de culture et pâturages) et industrielles, la chasse, la pêche, l’installation d’égouts, le drainage des terres, la construction de voies d’accès au littoral et les activités récréatives. L’érosion résulte soit d’un prélèvement direct de sédiments (creusement de caches, de fossés, etc.), soit d’une déstabilisation de la surface du milieu (broutement, piétinement, circulation de véhicules, etc.), activités qui entraînent ultérieurement une remise en suspension des matériaux par les eaux courantes, les vagues et les courants littoraux. Un exemple de cet effet indirect des activités humaines : l’action glacielle et celle des vagues serait plus sévères au droit des fossés car ils facilitent la pénétration de l’eau ainsi que le soulèvement et la poussée des glaces (Dionne, 1985a, 2000).

Tout comme c’est le cas dans le moyen estuaire, les actions anthropiques favorisent l’érosion des côtes dans l’estuaire maritime et le golfe du Saint-Laurent. Le prélèvement de matériaux granulaires sur les plages a sans doute joué un rôle dans le bilan sédimentaire déficitaire de la côte sud du Saint-Laurent jusqu’aux années 1960 (Dionne, 1999). Ce type de prélèvement s’est même poursuivi plus tard aux Îles-de-la-Madeleine, comme l’a constaté J.-M.M. Dubois en 1983 et en 1997, lors de travaux sur le terrain respectivement effectués au sud de l’île du Havre aux Maisons (La Pointe) et au nord-est de l’île du Cap aux Meules (La Digue).

L’un des principaux effets de l’activité anthropique dans la zone côtière est l’augmentation du déficit sédimentaire. Sur les littoraux de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, le bilan sédimentaire est généralement négatif. Même si le déficit est principalement occasionné par la diminution considérable des apports sédimentaires des rivières en raison du rééquilibre glacio-isostatique, les activités anthropiques viennent amplifier cette tendance naturelle (Bernatchez, 2003a). Sur la Côte-Nord, le littoral n’est actuellement « artificialisé » que sur 5 % de la longueur totale de la côte, mais le phénomène s’est accéléré de façon importante dans les zones urbaines au cours de la dernière décennie (Bernatchez et Dubois, 2004). Par exemple, en 2000, sur la péninsule de Manicouagan, 37 % des falaises étaient artificialisées, dont 59 % étaient entièrement composées de sable ; cela a eu pour effet de réduire considérablement les apports sédimentaires potentiels pour l’alimentation des plages (Bernatchez, 2003a). L’artificialisation du littoral par l’enrochement et l’implantation de murets rigides augmente la réflexion des vagues et abaisse le niveau des plages par érosion ; c’est particulièrement vrai dans des secteurs où les plages se maintiennent avant tout grâce aux matériaux provenant de l’érosion des falaises, tant sur les deux côtes du Saint-Laurent que dans la baie des Chaleurs (Lessard et Dubois, 1984 ; Bernatchez, 1998, 2003a ; Leblanc et Bernatchez, 1999). La protection des réseaux routier et ferroviaire, parfois localisés directement sur le littoral, contribue aussi au déficit sédimentaire des plages. Le cas du nord de la Gaspésie, où l’implantation de la route 132 le long du rivage est venue soustraire aux plages leur alimentation en débris provenant des falaises et des versants rocheux côtiers, en est un bon exemple. Les structures parallèles à la côte accélèrent aussi l’érosion à leurs extrémités par des effets de bout qui prennent la forme d’encoches dans le trait de côte ; le phénomène a été rapporté sur la péninsule de Manicouagan et à Sept-Îles (Laverdière, 1954 ; Naturam Environnement, 1997 ; Carrier, 2001 ; Bernatchez, 2003a).

L’impact des barrages sur le milieu côtier n’est pas à négliger non plus (Dubois, 1979b, 1980b, 1999 ; Dubois et al., 1981 ; Hart et Long, 1990). Au cours du XXe siècle, l’exploitation des ressources naturelles a impliqué l’érection de ce type d’ouvrages sur de nombreux tributaires de la Côte-Nord. De plus, l’exploitation forestière, par le flottage du bois et l’implantation de scieries à l’embouchure des cours d’eau, a contribué à modifier le régime sédimentaire de la plupart des cours d’eau de moyenne importance localisés entre Tadoussac et Port-Cartier, mais aussi celui des rivières Manitou et Magpie. Plusieurs des barrages construits dans ce cadre sont encore présents, même si le flottage du bois a été abandonné. D’autre part, l’augmentation de la demande énergétique due à l’industrialisation et à l’électrification domestique a suscité l’érection de barrages sur des cours d’eau plus importants, soit les rivières Betsiamites, aux Outardes, Manicouagan et Sainte‑Marguerite : d’autres projets similaires, comme celui de la rivière Romaine, sont à l’étude.

La régularisation artificielle des eaux tend à modifier le régime sédimentaire des estuaires et des côtes adjacentes, notamment en atténuant les crues des rivières. Sur la rivière aux Outardes, il y aurait eu, en raison des aménagements hydroélectriques, une diminution des apports solides en provenance de l’amont et une chute du débit de l’ordre de 41 %, ce qui a favorisé la sédimentation dans l’estuaire au détriment du littoral (Cataliotti-Valdina et Long, 1984 ; Long et Hart, 1987). En effet, les sédiments transportés par la dérive littorale à la pointe aux Outardes pénètrent davantage dans l’estuaire et viennent combler une partie du marais intertidal (Bernatchez, 2003a). Ailleurs sur la Côte-Nord, Lupien Rosenberg et Ass. (1979) ont estimé que le harnachement de la rivière Saint-Jean réduirait le transport du sable de 35 %, ce qui aurait un impact direct sur l’érosion des falaises à l’embouchure de la rivière. Cet impact serait similaire sur les rivières Mingan et Romaine (Dubois, 1980b). L’érosion sur 480 m de longueur de la flèche de la Sainte-Marguerite survenue entre 1996 et 2000 a été en bonne partie attribuée à l’action des vagues de tempête (Messier et Therrien, 2001, 2002 ; Therrien et al., 2001). Cependant, la diminution de 76 % du débit de la rivière et l’abaissement de 0,22 m du niveau d’eau moyen à l’embouchure dus à la mise en eau du réservoir SM-3 ont modifié le rapport de force entre les régimes fluvial et marin,et, par conséquent, favorisé la plus grande pénétration des vagues de tempête et l’intensification de l’érosion de la flèche.

Ponctuellement, les véhicules tout-terrain et le piétinement engendrent également un impact négatif sur les milieux littoraux en détruisant la couverture végétale, ce qui ouvre la voie à l’érosion éolienne ; on l’a notamment constaté sur la flèche sableuse de la rivière Portneuf, sur les pointes de Betsiamites, aux Outardes, Paradis et Manicouagan, sur les flèches des rivières Sainte-Marguerite, Moisie et Natashquan, ainsi qu’en maints endroits sur les dunes et les cordons dunifiés des Îles-de-la-Madeleine. Les véhicules tout-terrain peuvent aussi favoriser la formation de brèches sur les flèches littorales.

Avant la réglementation qui restreint la coupe forestière en milieu riverain, la déforestation en bordure du littoral a sans doute aussi joué un rôle dans l’érosion des falaises ; les coupes effectuées dans les bassins versants devaient, quant à elles, favoriser les apports sédimentaires à la côte (fig. 17).

Autre agent d’érosion indirect, le drainage des tourbières sur la Côte-Nord engendre la concentration des eaux et le déclenchement de mouvements de masse (Dubois, 1980a ; Bernatchez et Baker, 1995). Enfin, le drainage des routes littorales entraîne souvent la concentration des eaux à des endroits précis et leur évacuation sur la côte, amorçant ainsi la formation de ravins, qui progressent par recul de tête, parfois jusqu’à la route elle-même (Dubois, 1999). De telles situations ont entre autres été constatées aux Escoumins, à l’est de Franquelin et à l’est de Rivière-Saint-Jean.

Processus chimiques

À notre connaissance, aucune étude n’a encore porté sur les processus d’érosion chimique à l’oeuvre dans le Québec maritime. Étant donné le climat tempéré froid qui caractérise les côtes du Saint-Laurent, on pourrait croire que ces processus sont plutôt négligeables. Toutefois, certaines formes de corrosion et de dissolution ont été rapportées dans les formations de calcaire et de conglomérat de l’archipel de Mingan (Dionne et Dubois, 1979), de l’île d’Anticosti (Nadeau et al., 1985 ; Dubois et Nadeau, 1999) et de la rive sud de l’estuaire maritime (Dionne, 1961, 1967). De plus, d’importants complexes d’altération, d’âge inconnu, ont été observés par les auteurs dans les falaises de roches sédimentaires de la baie des Chaleurs. Ceux-ci rendent très friables les falaises et les exposent davantage à l’érosion pluviale, au gel et à l’action des vagues.

Figure 14

Fissures de dessiccation dans une falaise argileuse, Ragueneau, été 1995. Les polyèdres d’argiles finissent par s’écrouler au pied de la falaise (photographie : Pascal Bernatchez).

Heat cracks in the clayey cliff, Ragueneau, Québec, summer 1995. The polyhedrons of clay eventually fall along the foot of the cliff (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 15

Blocs d’argile effondrés en raison de la dessiccation de la falaise, Rivière-Saint-Jean, été 2003 (photographie : Pascal Bernatchez).

Desiccation of the cliff caused the collapse of clayey boulders, Rivière-Saint-Jean, Québec, summer 2003 (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 16

Petites mares formées par les bernaches, estuaire de la rivière Manicouagan, automne 1999 (photographie : Pascal Bernatchez).

Small ponds formed by geese, Manicouagan River estuary, fall 1999 (photograph: Pascal Bernatchez).

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Figure 17

Formation d’importants ravins à la suite d’une coupe forestière en bordure du littoral, Carleton (photographie : Municipalité de Carleton-sur-Mer).

Development of an extensive system of gullies caused by wood logging on the shoreline, Carleton, Québec (photograph: Municipalité de Carleton-sur-Mer).

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Relation entre les taux d’érosion et le type de système côtier

De manière générale, les processus responsables de l’évolution des littoraux du Québec maritime laurentien sont assez bien connus. Toutefois, la rareté des études quantitatives et le caractère fragmentaire des données ne permettent de connaître ni leur part relative dans l’érosion globale des littoraux ni leur répartition le long des côtes ni l’évolution de leur influence. Comme on l’a vu précédemment, la connaissance de la lithostratigraphie des systèmes côtiers est essentielle pour cerner les processus d’érosion qui affectent leur évolution. Or, la plupart des études sur l’érosion des côtes, particulièrement celles réalisées par des entreprises privées, ne présentent pas les taux d’érosion en fonction des types de côte ; il est donc difficile de faire la relation entre l’érosion et les conditions environnementales des sites étudiés ou d’effectuer des comparaisons entre les diverses régions. De plus, la majorité des études ont été réalisées dans les années 1980, de sorte que très peu de données sur l’évolution récente des littoraux sont disponibles (fig. 18). Par conséquent, il est plutôt difficile de savoir s’il y a, de nos jours, une accélération de l’érosion des côtes. Cependant, une étude en cours sur l’ensemble de la Côte-Nord permettra bientôt de mieux préciser les tendances de l’érosion côtière (Dubois et al., 2005).

Les données sur les taux d’érosion colligées pour les fins du présent article ont été regroupées et réanalysées en fonction de quatre types de systèmes côtiers meubles du Québec maritime laurentien : marais maritime, côte basse sableuse (terrasse de plage, flèche littorale et saillant triangulaire), basse falaise argileuse et haute falaise deltaïque. Une analyse statistique a été effectuée en séparant les taux historiques (ceux d’avant 1990) et les taux récents (ceux de 1990 à 2003) afin d’analyser leur distribution spatiale (fig. 18 et 19).

Pour les secteurs les mieux documentés, il y a effectivement une importante augmentation de l’érosion des côtes basses sableuses et des falaises basses argileuses, tant au plan des taux minimaux que des taux maximaux ; le taux moyen a, quant à lui, presque doublé. Pour les marais maritimes, les données récentes sont très fragmentaires, mais elles montrent une légère accélération de l’érosion côtière (Dionne, 2001a). Pour les hautes falaises deltaïques, il n’y a pas, non plus, beaucoup de données récentes. Toutefois, dans les secteurs pour lesquels on dispose de données historiques et récentes, on note aussi une augmentation non négligeable de l’érosion côtière, tant pour les taux moyens que maximaux, alors que les taux minimaux sont similaires à ce qu’ils étaient auparavant. Lorsque l’on compare les taux des différents types de côte, on observe que les marais maritimes sont les plus sensibles à l’érosion côtière. Les forts taux de recul notés dans ces milieux s’expliquent par le fait qu’ils sont exposés à un plus grand nombre de processus d’érosion. À cause de leur composition en sédiments fins moyennement cohésifs, ils sont tout aussi vulnérables à l’action des vagues et des courants de marée, au gel-dégel, à l’action des glaces et à la dessiccation qu’aux perturbations anthropiques et biologiques. Il n’est donc pas surprenant que plusieurs lambeaux de schorre situés au pied de falaises aient disparu au cours des dernières années, provoquant ainsi la perte ou la modification d’habitats côtiers. Malheureusement, il existe très peu de données sur l’évolution de ce type de côte.

Les côtes basses sableuses enregistrent, elles aussi, des taux de recul très élevés, car elles sont particulièrement sensibles aux vagues de tempête (Bernatchez, 2003b).

Bien que les quatre grands types de côte soient présents sur l’ensemble du Québec maritime, aucun n’a été étudié dans les trois régions du Saint-Laurent (estuaires moyen et maritime et golfe), de sorte que l’on ne peut tirer de conclusion en fonction des paramètres hydrodynamiques et du profil longitudinal du fleuve. Les données sont, de plus, trop fragmentaires pour permettre des comparaisons entre la côte sud et la côte nord ou entre les différents secteurs de l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. On sait cependant que, pour les basses côtes sableuses, les taux de recul historiques moyen et maximal sont respectivement huit et cinq fois plus élevés pour le nord du golfe du Saint-Laurent que pour le nord de l’estuaire maritime. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que ce type de côte est principalement influencé par le régime des vagues et que, justement, le golfe du Saint-Laurent est plus exposé aux ondes de tempête de l’Atlantique et soumis à une plus longue course que l’estuaire.

De manière générale, on peut affirmer que les taux de recul sont relativement élevés, peu importe le type de côte et indépendamment de la nature géologique et de l’énergie du trait de côte. Le taux de recul n’est cependant pas le seul facteur à prendre en compte ; il y a, par exemple, une nette différence en termes de volume de sédiments libérés et d’impact sur la dynamique côtière, entre un recul d’un mètre sur une côte basse sableuse et un recul de même ordre sur une haute falaise deltaïque. Il est donc, fondamental d’examiner l’évolution des côtes non seulement sous l’angle de son taux de recul, mais aussi sous celui du volume de matériaux perdus, ce qui a rarement été fait au Québec (Drapeau et Mercier, 1990). Une telle approche, qui a l’avantage de tenir compte de l’énergie de la côte, permettrait de mieux comprendre la relation entre l’évolution côtière et la dynamique sédimentaire. De plus, il faudrait coupler les dynamiques côtière et marine si l’on veut comprendre les causes de l’accélération de l’érosion des systèmes côtiers.

Conclusion

À l’instar des autres régions côtières du monde, l’érosion côtière dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent constitue une problématique aux implications majeures en raison de l’occupation humaine du littoral. Dans un contexte de réchauffement climatique, une accélération de ce phénomène est prévue. De solides connaissances sur l’évolution historique des littoraux du Saint-Laurent seraient très utiles pour anticiper la réponse des systèmes côtiers face aux changements climatiques ; or, ces connaissances sont très limitées pour la côte sud du Saint-Laurent et pour la baie des Chaleurs et on ne dispose que de peu de données récentes pour l’ensemble du Québec maritime laurentien. Dans ces conditions, toute évaluation quantitative apparaît difficile.

Figure 18

Répartition des secteurs étudiés pour l’érosion côtière.

Distribution of the areas studied for coastal erosion.

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Figure 19

Sensibilité à l’érosion des quatre principaux types de système côtier du Québec maritime laurentien d’après les taux historiques et récents.

Sensibility to coastal erosion of the four major types of coastal systems of the laurentian maritime Québec according to historical and recent erosion rates.

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L’analyse préliminaire des données existantes montre toutefois que les différents types de côte composant le littoral du Québec méridional connaissent déjà un recul accéléré et que les marais maritimes – le système côtier le plus riche écologiquement – sont les plus affectés par l’érosion. Même si les vagues, les courants de dérive littorale et les courants de marée jouent un rôle fondamental dans l’érosion des marais maritimes et des côtes sablonneuses, des données récentes révèlent que la contribution des processus cryogéniques, hydrogéologiques et gravitaires ainsi que des perturbations anthropiques a été sous-estimée jusqu’à maintenant. Ces processus ne devraient pas être négligés, particulièrement pour les complexes deltaïques où ils sont particulièrement actifs.

Il est également paradoxal que, dans une région tempérée froide principalement caractérisée par son climat hivernal, les relevés de terrain soient exécutés principalement pendant l’été et l’automne. Une meilleure compréhension de l’influence des processus hivernaux sur l’évolution côtière s’impose.

Les données sur la dynamique côtière sont actuellement trop partielles pour qu’on puisse identifier les causes véritables de l’érosion côtière dans le Québec maritime laurentien. De plus, les connaissances sur l’évolution des falaises rocheuses sédimentaires sont très fragmentaires ; pourtant, ces falaises couvrent une forte proportion des côtes du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie, de l’Île d’Anticosti, de l’archipel de Mingan et des Îles-de-la-Madeleine.

Étant donné leur complexité, les différents processus qui déterminent la sensibilité des côtes à l’érosion ne devraient pas être évalués sous les seuls angles de la hausse du niveau marin et de l’augmentation de la fréquence des tempêtes ; l’évaluation devrait aussi se faire au moyen d’une approche qui englobe les processus tant terrestres que marins, basée sur une segmentation à haute résolution spatiale des systèmes côtiers. Une meilleure compréhension de ces processus ne peut être acquise qu’en mettant en place un système de suivi à moyen et à long terme de l’environnement côtier. Un tel système permettrait, d’une part, de quantifier les effets des agents en présence ainsi que l’intensité et l’extension spatiale des processus d’érosion par la mesure de paramètres climatiques et hydrodynamiques et, d’autre part, de faire un suivi des changements de la ligne de rivage et des perturbations anthropiques à partir de relevés terrestres ou aéroportés.