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Introduction

Les fluctuations du niveau marin relatif (NMR) sur la côte nord du Saint-Laurent estuarien et du golfe demeurent mal connues. Si la limite marine maximale atteinte par la Mer de Goldthwait est assez bien établie (Dionne, 1977 ; Dubois, 1979 ; Dredge, 1983 ; Bigras et Dubois, 1987 ; Govare, 1994 ; Dionne et Occhietti, 1996 ; Bernatchez, 1997, 2003), par contre, on sait peu de choses sur les événements survenus au cours de l’Holocène, en particulier à l’Holocène supérieur (Dionne, 1996a, 1996b ; Bonenfant, 1993 ; Bernatchez, 2003). Il existe pourtant, à plusieurs endroits sur le littoral de la côte nord, des dépôts susceptibles de renseigner sur les variations du NMR. C’est le cas des fragments de la terrasse Mitis. Jusqu’à maintenant seuls les sites de Petite-Rivière (Charlevoix), de la pointe aux Alouettes (Saguenay), de Ragueneau et de la péninsule de Manicouagan–Outardes ont été étudiés (Dionne, 1996a, 1996b ; Bernatchez et al., 2000 ; Bernatchez, 2003).

La présente contribution concerne la basse terrasse à l’extrémité sud-ouest de la péninsule de Portneuf sur la Haute Côte-Nord de l’estuaire. L’érosion qui prévaut à cet endroit, depuis plusieurs années, a entaillé latéralement la basse terrasse exposant ainsi les formations détritiques dont elle est constituée. L’objectif consiste donc à décrire le milieu, à caractériser les dépôts et à reconstituer les événements en essayant de préciser les variations du niveau marin relatif aux cours des derniers millénaires.

Situation géographique et contexte géomorphologique

La pointe de Mille-Vaches[1] est située à l’extrémité sud-ouest de la péninsule de Portneuf-sur-Mer ou de Rivière-Portneuf (69º 08’ O, 48º 34’ 15” N), sur la Haute Côte-Nord, dans l’estuaire maritime du Saint-Laurent, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Tadoussac et à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Baie-Comeau (Fig. 1).

Dans ce secteur, la zone côtière est formée d’une vaste plaine sablo-graveleuse étagée correspondant aux paléodeltas des rivières Portneuf et du Sault-aux-Cochons (Forestville), d’une longueur de plus de 20 km et d’une largeur de 10 à 12 km, comprise entre le rivage actuel et une altitude d’environ 140 m. La péninsule de Portneuf correspond à la partie sud-ouest de cette grande plaine côtière. Relativement plane, la surface de la plaine s’abaisse progressivement à partir des contreforts du Bouclier laurentidien, au nord-ouest, en direction de l’estuaire, au sud-est. Puis, vers 30 m d’altitude, la pente change de direction tournant vers le SSE, le S, le SSO et finalement vers le SO à partir de 15 m d’altitude, de sorte qu’à son extrémité, la péninsule de Portneuf fait face au grand rentrant de la baie de Mille-Vaches plutôt que directement à l’estuaire (Fig. 2). De Portneuf-sur-Mer à la pointe à Boisvert (soit du NE au SO), la plaine côtière passe de 30 à 3 m d’altitude sur une distance d’environ 7 km. L’inclinaison est donc très faible et peu apparente sur le terrain. Par contre, du NO au SE, la topographie diffère. En effet, la partie supérieure de la plaine, d’une largeur de 4 km environ, passe de 90 à 50 m sur une distance de 3 km ; puis elle est accidentée par un escarpement d’une trentaine de mètres de hauteur au pied duquel s’étend, sur une distance de 3,8 km, une basse terrasse d’une altitude comprise entre 10 et 6 m.

Plusieurs gradins ou escarpements correspondant à diverses étapes du relèvement isostatique découpent la surface de la plaine côtière. Cette dernière est essentiellement constituée de dépôts meubles holocènes, les uns marins ou pro-deltaïques (limon et argile stratifiés), les autres deltaïques et littoraux (sable et gravier stratifiés) (Gamache, 1990).

En surface, on trouve plusieurs tourbières[2] de un à deux mètres d’épaisseur, alors que les dépôts détritiques atteignent plus de 60 m d’épaisseur dans la partie interne de la plaine côtière. En réalité, la surface de la basse terrasse comprend une série de petites flèches et de cordons littoraux sableux séparés par des sillons ou des dépressions comblées de tourbe (Fig. 3).

Une falaise morte d’une dizaine de mètres de hauteur entaille la plaine argileuse dans le secteur de Saint-Paul-du-Nord et de Rivière-Éperlan avec à son pied, une étroite terrasse d’érosion. Cette falaise morte se poursuit vers le nord-est dans la partie arrière de la péninsule de Portneuf, alors que son pied, à cet endroit, est masqué par des dépôts de plage mis en place postérieurement. Vers 10 m d’altitude, un escarpement d’érosion orienté OSO‑ENE caractérise la partie basse de la péninsule de Portneuf. Au niveau du rivage actuel, cette dernière est ceinturée par une longue flèche littorale de 3,5 km de longueur, appelée pointe à Boisvert[3], qui isole une lagune contenant beaucoup de bois et de débris organiques. Une deuxième flèche, plus ancienne, appelée pointe à Émile et située derrière la première, ferme partiellement le secteur nord-est de la baie de Mille-Vaches occupée par un vaste marais intertidal (schorre). Du côté de la baie de Mille-Vaches, la basse terrasse, à l’extrémité SO de la péninsule de Portneuf, est entaillée par un escarpement, de un à deux mètres de hauteur, présentement boisé et inactif.

Remarquablement rectiligne, le rivage du côté sud-est de la péninsule de Portneuf est caractérisé par une large batture[4] (1,5 km) à pente faible (0,2‑0,3 %), appelée Banc de Portneuf[5] ; du côté sud-ouest, la batture s’élargit au droit de la baie de Mille-Vaches mesurant entre 1,5 et 2,5 km. De nature limono-argileuse, cette batture est recouverte, par endroits, de bancs sableux et graveleux de 30 à 40 cm d’épaisseur, alors que la majeure partie de la surface est plutôt voilée par une couche sableuse de 5 à 15 cm selon les endroits et les saisons. Les bancs sablo-graveleux sont plus rares dans la baie de Mille-Vaches et dans la moitié inférieure de la batture. D’après Lamontagne (1996), les caractéristiques granulométriques des bancs sableux à la surface de la batture sont semblables à celles des dépôts de la péninsule de Portneuf, d’où proviendraient en grande partie les sédiments. Toutefois, sur la partie inférieure de la batture, le limon et le sable fin à très fin représentent environ 80 % des sédiments, alors que, dans les dépôts exposés dans la falaise active, ils ne comptent que pour 26 % (Tabl. I). La différence est visiblement attribuable au substrat limono-argileux de la batture. Curieusement, les cailloux erratiques, si abondants dans le secteur en amont situé entre Baie-des-Bacons et Les Escoumins (Dionne et Bernatchez, 2000), sont peu fréquents et ne forment pas, à cet endroit, de dallages sur le bas estran.

Figure 1

Carte de localisation et noms de lieu.

Location map and place names.

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D’après la carte marine (Canada, 1985), la batture intertidale se prolonge vers le large par une plate-forme infratidale jusqu’à une profondeur de 5 m, atteignant 250 à 800 m de largeur du côté sud-est de la péninsule de Portneuf et plus de 1 500 m dans la baie de Mille-Vaches. Au-delà, le plateau continental s’étend sur une largeur de 4 à 5 km jusqu’à l’isobathe de 90 à 100 m, soit là où débute la grande et profonde vallée sous-marine du Saint-Laurent (Shepard, 1933 ; Loring et Nota, 1973). L’épaisseur des sédiments meubles au droit du plateau continental atteindrait plus de 50 m (Syvitski et Praeg, 1989).

À Portneuf-sur-Mer, le niveau moyen de la mer (zéro géodésique) est de 2,4 m. La hauteur des pleines mers supérieures est de 4,8 m pour la marée moyenne et de 5 m pour les grandes marées de vive eau, alors que le niveau des basses mers inférieures est respectivement de 0,98 et 0,59 m pour les marées moyennes et celles de vive eau (Canada, 2004). Le marnage moyen est donc de 3,3 m pour les marées moyennes et de 4,5 m lors des vives eaux. Rappelons que dans ce secteur, il s’agit de marées mixtes semi-diurnes, d’inégale amplitude.

D’après l’orientation des flèches, la dérive littorale actuelle se fait de l’aval vers l’amont de l’estuaire ou du NE vers le SO dans le secteur entre l’embouchure de la rivière Portneuf et la baie de Mille-Vaches.

Figure 2

Carte des dépôts meubles de la région de la péninsule de Portneuf, d’après Gamache (1990).

Map of surficial deposits in the area of Portneuf Peninsula, after Gamache (1990).

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Lithostratigrahie de la basse terrasse

Sur une distance d’environ 600 m, une falaise active (Figs. 4‑5), de 2 à 3 m de hauteur, entaille latéralement l’extrémité sud-ouest de la péninsule de Portneuf, soit la partie de la terrasse située entre la halte routière de la Nationale 138 et la racine de la flèche littorale de la pointe à Boisvert, correspondant à l’emplacement de la pointe à Charles-Dubé. Le secteur de la halte routière et celui qui lui est contigu vers le nord-est ayant été empierrés, il y a environ 15 ans, n’ont pu être étudiés. Depuis, le secteur non empierré de la falaise active a reculé d’environ 15 m, à un taux annuel comparable à celui de plusieurs autres sites de la rive nord (Soucy, 1988 ; Dionne, 1996a, 1996c, 1999 ; Lamontagne, 1996 ; Dubois, 1999 ; Bernatchez, 2003 ; Morissette et Bernatchez, 2004 ; Bernatchez et Dubois, 2004).

Malgré la présence de talus d’éboulis masquant une partie de la falaise à plusieurs endroits, plusieurs coupes ont été levées à diverses reprises entre 1995 et 2000 ; des échantillons de bois et de débris organiques ont alors été récoltés pour datation au 14C et identifiés. La nature et surtout l’épaisseur des différents faciès varient latéralement du nord-est au sud-ouest mais, dans l’ensemble, plus de 85 % sont sableux.

Figure 3

Croquis géomorphologique d’une partie de la péninsule de Portneuf, d’après la photographie aérienne Q72 346‑66 à l’échelle de 1/40 000.

A geomorphic sketch of the lower area of the Portneuf Peninsula, after the air photo Q72 346‑66 at a scale 1 : 40 000.

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Tableau I

Caractéristiques granulométriques des dépôts littoraux à la pointe de Mille-Vaches (d’après Lamontagne, 1996)

Caractéristiques granulométriques des dépôts littoraux à la pointe de Mille-Vaches (d’après Lamontagne, 1996)
1

Dépôts de la falaise active de la terrasse Mitis.

2

Bancs sableux à la surface du bas estran supérieur.

3

Bas estran inférieur limono-argileux à mince couverture sableuse.

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Figure 4

Vue générale de la falaise active entaillant latéralement la terrasse Mitis à la pointe de Mille-Vaches et partie supérieure de l’estran (batture) (20‑5‑00).

A general view of the active cliff cut laterally into the Mitis terrace at Pointe de Mille-Vaches, and the upper zone of the tidal flat (00.5.20).

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Figure 5

Coupe verticale dans un secteur de la terrasse Mitis montrant diverses unités sédimentaires. 1, à la base, sable gris stratifié relativement compact ; 2, au-dessus, couche de sable grossier, granules et petit gravier oxydé et partiellement induré ; 3, sable fin à moyen, gris, finement stratifiée avec des lits bioturbés ; 4, au sommet, limon gris sableux, laminé avec débris de plantes en place ; 5, en surface, mince couche organique (10‑8‑98).

A vertical section of the Mitis terrace showing various sedimentary units. 1, at the base, grey, stratified fine sand, relatively compact; 2, above, a layer of oxydized and partially lithified coarse sand and fine gravel ; 3, grey fine to medium sand, thinly stratified with bioturbated layer ; 4, at the top, a layer of laminated grey sandy silt with plant debris in situ; 5, at the surface, a thin organic layer (98.8.10).

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Figure 6

Coupe lithostratigraphique généralisée de la terrasse Mitis vers le milieu de la falaise active à l’extrémité sud-ouest de la péninsule de Portneuf. La coupe est latérale par rapport au front de la terrasse.

A lithostratigraphic section into the Mitis terrace at the extremity of the Portneuf Peninsula. Section is a lateral view.

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Figure 7

Détail de l’unité détritique grossière 3b oxydée et partiellement indurée montrant des stratifications entrecroisées et inclinées vers le SO ou l’amont conformément à la pente de la terrasse Mitis (4‑8‑97).

A close-up view of the coarse detritic oxydized and partly lithified 3b unit showing cross bedding and frontal layers dipping SW or upstream according to the slope of the Mitis terrace (97.8.4).

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Figure 8

Coupe verticale dans la terrasse Mitis montrant l’unité 4 de la coupe synthèse constituée de sable fin gris avec des couches de sable jaunâtre finement litées (9‑8‑99).

A vertical section into the Mitis terrace showing unit 4 of the generalized section which is composed of fine grey and yellowish sand thinly bedded (99.8.9).

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Figure 9

Détail de l’unité 5 sous l’unité limoneuse intertidale à faciès de schorre inférieur montrant une séquence de rythmites (tidalites) composées de couches de sable fin, gris et jaunâtre de sable moyen. À noter la micro-faille oblique, à gauche, et les terriers de myes (18‑2‑99).

A close-up view of unit 5 underlying the intertidal silty layer showing rhythmites (tidalites) composed of a series of grey fine sand layers and light medium sand slightly oxydized. Note the oblique micro-fault to the left, and traces of clams (99.2.18).

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Figure 10

Détail de l’unité 5 constituée de sable fin à moyen bioturbé par des myes (Mya arenaria). Les terriers montrent un accroissement vertical de la surface du dépôt sableux (4‑8‑97).

A close-up to unit 5 composed of fine to medium sand bioturbated by clams (Mya arenaria); the biostructures indicate that the surface of the sand deposit was increasing vertically (97.8.4).

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La figure 6 est une coupe synthèse représentative du secteur étudié. Lors des divers relevés sur le terrain, la base de la falaise était généralement sise entre 250 et 260 cm par rapport à la surface de la basse terrasse. Une excavation d’environ 100 cm au pied de la falaise a permis de connaître la nature du dépôt sous-jacent sans pour autant atteindre le substrat limono-argileux, qui affleure parfois sur la batture en face.

Ainsi, l’unité 1, entre 320 et 350 cm de profondeur, est composée de sable fin, gris, stratifié en lits minces, relativement sec, compact et bioturbé par des mollusques, surtout des myes. D’épaisseur non connue, ce dépôt a vraisemblablement été mis en place dans un milieu peu profond (infratidal) ; il repose en discordance sur le substrat limono-argileux taillé dans l’argile de la Mer de Goldthwait datée à >9,5 ka.

Au droit de l’excavation, aucun matériau datable n’a été trouvé dans l’unité 1. Toutefois, deux dates au 14C sur des échantillons récoltés ailleurs dans ce secteur ont donné des âges respectifs de 3870 ± 60 BP (UL‑1920) sur des coquillages et 3970 ± 100 BP (UL‑2254) sur des débris organiques transportés. L’âge du dépôt infratidal sus-jacent au substrat limono-argileux serait donc approximativement de 4 ka, et peut-être même plus vieux.

La deuxième unité, entre 270 et 320 cm de profondeur, est, elle aussi, composée de sable fin, bien trié, laminé, gris pâle (Fig. 6). Certains lits sont déformés par des terriers de myes. Elle contient des fragments de bois et de minces inclusions de débris organiques fins qui ont donné des âges au radiocarbone allant de 1990 ± 60 (UL‑2006) à 2740 ± 70 BP (UL‑1889) (Tabl. II). Ce dépôt sableux présente les caractéristiques d’un milieu correspondant à la partie inférieure de la batture.

Susjacente à l’unité 2, l’unité 3 comprend deux couches de sédiments grossiers (Fig. 7). La première, entre 240 et 270 cm de profondeur, est composée de sable moyen à grossier fortement oxydé (Fe) voire même induré. La stratification est souvent horizontale mais parfois inclinée vers l’aval ou l’amont. La seconde, entre 220 et 240 cm est constituée de gravier sableux oxydé et induré. Deux dates au 14C sur des fragments de troncs d’arbre transportés ont donné un âge respectif de 1750 ± 50 BP (UL‑2003) et de 1550 ± 70 BP (UL‑1864). Ces âges étant plus jeunes que ceux des unités au-dessus, il est possible que les eaux d’infiltration, responsables de l’oxydation par le fer et de l’induration, aient rajeuni l’âge réel des échantillons datés. L’unité 3 correspond soit à un banc sablo-graveleux mis en place sur le bas estran, soit à une ancienne flèche littorale libre, semblable à celle en amont de l’embouchure actuelle de la rivière Portneuf (Fig. 2). Ce dépôt grossier, d’épaisseur variable (20 à 70 cm), n’est pas présent sur l’ensemble de la falaise active. Il rappelle les formes littorales à la surface de la basse terrasse visibles sur les photographies aériennes (Fig. 3).

L’unité 4, entre 160 et 220 cm de profondeur, est composée de sable fin, gris, finement lité et bioturbé (terriers de myes) (Fig. 8) ; il s’agit d’un faciès de milieu intertidal. Une datation sur un fragment de bois a donné un âge au 14C de 1880 ± 90 BP (UL‑1730). Par endroits, elle comprend de petites structures en berceau (cuvettes d’érosion) comblées de sédiments un peu plus grossiers que les couches encaissantes. Bien que semblables à des structures glacielles (Dionne, 1998), il s’agit plutôt de formes d’érosion (cut-and-fill structures) avec remplissage subséquent.

Entre 90 et 160 cm de profondeur, l’unité 5 est composée de sable fin à moyen, gris et jaunâtre, disposé en couches minces alternées semblables à des rythmites tidales (Fig. 9) ; certains lits sont bioturbés (terriers de myes) (Fig. 10) ; dans la partie supérieure subsiste des empreintes de myes (Fig. 11). Cette unité contient beaucoup de débris ligneux. Ceux qui ont été datés ont donné des âges au 14C allant de 1570 ± 60 (UL‑2238) à 1860 ± 70 BP (UL‑2007). À un endroit, la partie supérieure de cette unité était découpée par deux structures en berceau remblayées de sable moyen jaunâtre et partiellement oxydé (Fig. 12). Ce dépôt correspond à la moitié supérieure du bas estran et inclut, par endroits, des sédiments de plage.

L’unité 6, entre 30 et 90 cm de profondeur, est composée de limon sableux, gris moyen, laminé et contient des débris de plantes en place (tiges, racines, etc.). Il s’agit d’un dépôt intertidal à faciès de schorre inférieur. Ce dépôt est parfois recoupé par des chenaux reliques ou des structures en berceau (Fig. 13) comblées de limon et riches en débris organiques, les uns en place et d’autres transportés, ainsi que des fragments de bois. Les âges au 14C obtenus vont de 1570 ± 50 (UL‑2001) à 1970 ± 70 BP (UL‑1912) avec une médiane de 1830 ± 110 BP (UL‑2261).

En surface, on trouve, ici et là, une couche tourbeuse plus ou moins décomposée, de 20 à 30 cm d’épaisseur, dont la base a été datée entre 980 ± 90 (UL‑2249) et 1060 ± 90 BP (UL‑2260). Ce dépôt organique s’est formé principalement dans des sillons ou légères dépressions derrière des cordons littoraux, après l’émersion de la terrasse Mitis.

D’après Lamontagne (1996), la séquence détritique exposée dans la falaise active de la terrasse Mitis, à la pointe de Mille-Vaches, comprendrait environ 26 % de sable fin à très fin, 52 % de sable moyen à grossier et de granules, 4 % de petit gravier et moins de 1 % de limon. D’après nos observations, ces proportions ne s’appliquent pas à l’ensemble de la falaise active. Dans le secteur étudié, par exemple, le pourcentage moyen de limon et de sable fin est plutôt de 45 %.

Coupe à la racine de la flèche de la pointe à Boisvert

Présentement en érosion, le secteur amont de la flèche de la pointe à Boisvert présente une micro-falaise de 100 à 130 cm de hauteur (Fig. 14). La partie inférieure, entre 40 et 100 cm de profondeur, correspond à un dépôt lagunaire, riche en débris organiques variés, alors que la partie supérieure, essentiellement sableuse, est un dépôt transgressif mis en place lors de l’édification de la flèche littorale (Fig. 15). Un fragment de bois à 100 cm de profondeur a donné un âge au 14C de 1640 ± 90 BP (UL‑2070), alors qu’un autre fragment juste sous le dépôt sableux a été daté à 420 ± 60 BP (UL‑2294). La première date correspond à l’âge minimal du dépôt intertidal limoneux au sommet de la terrasse ; la seconde, à la phase initiale de l’édification de la flèche littorale, à l’extrémité de la péninsule de Portneuf face à la baie de Mille-Vaches.

Résidu d’un ancien glissement de terrain

Vers le milieu de la falaise active, plusieurs troncs d’arbres et des dépôts argileux déformés (Figs. 16‑17) ont été observés en 1998 dans la partie supérieure du bas estran, à la suite d’une période d’érosion qui avait enlevé une bonne partie de la couverture sableuse. Il s’agit visiblement d’un ancien glissement de terrain ayant affecté l’extrémité sud-ouest de la péninsule de Portneuf. L’examen des photographies aériennes et les observations sur le terrain n’ont toutefois pas permis de retracer la zone affectée, c’est-à-dire la cicatrice de l’amphithéâtre d’où provient le matériel.

Tableau II

Dates au 14C pour la terrasse Mitis à la pointe de Mille-Vaches

Dates au 14C pour la terrasse Mitis à la pointe de Mille-Vaches

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Le site en question est situé à environ 5 km à l’est des secteurs de Saint-Paul-du-Nord et de Rivière-Éperlan caractérisés par plusieurs cicatrices de glissement de terrain dans l’argile (Figs. 2‑3). Dans le contexte topographique local, on s’explique mal la présence de sédiments limono-argileux déformés et de troncs d’arbres dans le secteur de la pointe de Mille-Vaches ; il est peu vraisemblable que les sédiments déformés soient liés aux glissements ayant affecté la plaine argileuse dans le secteur de Saint-Paul-du-Nord–Rivière-Éperlan, localisés à plus de 6 km. À première vue, on pourrait penser qu’il s’agit de déformations locales d’origine glacielle. Mais la présence de débris organiques et de nombreux troncs d’arbres indique plutôt une déformation causée par un mouvement de terrain possiblement lié à une activité séismique. La plupart des troncs d’arbres étaient orientés perpendiculairement au rivage et pointaient vers le sud-est mais, à l’instar des couches argileuses déformées, ils étaient basculés vers l’intérieur. Le mouvement semble donc s’être produit de l’ONO vers l’ESE. Les matériaux déformés font vraisemblablement partie de la loupe de glissement. Cette dernière a pu, ultérieurement, être enfouie sous les sédiments de l’ancienne flèche littorale de la pointe à Boisvert avant d’être de nouveau exposée à la suite de la migration et de l’érosion de la flèche. Aujourd’hui, ils sont souvent masqués par un banc sableux qui se forme à la flexure entre le haut et le bas estran. Il semble que le mouvement de terrain aurait affecté seulement la partie externe de la terrasse Mitis, et que l’érosion littorale aurait, par la suite, effacé les traces du glissement de terrain au droit de la basse terrasse.

Les âges 14C obtenus sur des troncs d’arbres, une branche et des débris organiques divers ont donné des âges au 14C compris entre 250 ± 90 (UL‑2025) et 800 ± 80 BP (UL‑1846), avec une médiane de 570 ± 60 BP (UL‑2028) (Tabl. III). Si on se base sur l’âge des deux plus jeunes troncs et sur l’âge moyen des trois plus jeunes (340 ans), cet événement correspondrait à l’âge du séisme de grande intensité de 1663, auquel on a attribué d’autres glissements de terrain, notamment ceux de Saint-Jean-Vianney (LaSalle et Chagnon, 1968 ; Legget et LaSalle, 1978), de la rivière Sainte-Marguerite (Dionne, 1972b), de Saint-Joseph-de-la-Rive (Quilliam et Allard, 1989) et de Betsiamites (Bernatchez, 2003). L’âge des plus vieux échantillons est attribué à des troncs déjà morts et à de l’humus forestier à la surface du terrain affecté.

La variabilité des dates au 14C obtenues sur du bois ou des débris organiques est fréquente dans les anciens glissements de terrain (Dionne, 1972a, LaSalle, 1973). C’est le cas, par exemple, à Saint-Joseph-de-la-Rive avec des âges allant de 200 ± 60 (UL‑229) à 850 ± 70 BP (UL‑200) pour un âge moyen de 497 ans (Quilliam et Allard, 1989). L’écart entre la date la plus jeune et la plus vieille est ici de 650 ans alors qu’à la pointe de Mille-Vaches, elle est de 550 ans seulement. Or, les auteurs ont conclu que ce glissement historique avait fort probablement eu lieu en 1663. Il est donc possible que le glissement de terrain observé à la pointe de Mille-Vaches soit survenu lors du séisme de 1663, dont les Jésuites ont abondamment fait écho (Cellot, 1972).

La date de 3870 ± 60 BP (UL‑1920) obtenue sur des valves de Mesodesma arctata, dans une poche de sable gris incluse dans les sédiments limono-argileux déformés, ne correspond certes pas à l’événement. Les coquillages devaient plutôt être dans un dépôt situé au-dessus de l’argile avant la déformation causée par le glissement. Ainsi, il existerait dans le secteur sud-ouest de la péninsule de Portneuf des sédiments marins datant de la première partie de l’Holocène supérieur.

Figure 11

Détail de l’unité 5 juste sous la couche de limon gris laminé à faciès de schorre inférieur montrant des traces de myes (flèches) dont les valves ont été dissoutes (4‑8‑98).

A close-up to unit 5 near the contact with the overlying grey laminated silt unit showing traces (arrows) of clams in living position; the shells have been dissolved (98.8.4).

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Figure 12

Coupe verticale dans la terrasse Mitis montrant deux structures sédimentaires en berceau recoupant les dépôts sableux de la moitié inférieure de la terrasse. À noter la couche de sable fin gris foncé dessous la cuvette de gauche et le lit de sable fin gris recouvrant les deux structures (4‑8‑97).

A vertical section into the Mitis terrace showing two sedimentary cut-and-fill structures in the upper portion of the median sand unit. Note the grey fine sand layer under the structure to the left and that overlying the sand unit and the structures (97.8.4).

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Figure 13

Structure sédimentaire en berceau entaillant la couche de limon gris laminé à faciès de schorre supérieur (10‑8‑90).

A cut-and-fill sedimentary structure cut into the laminated silt layer with a low marsh facies (98.8.10).

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Figure 14

Vue générale de la racine de la flèche littorale de la pointe à Boisvert actuellement en érosion. Le palier inférieur est composé de matériaux organiques infiltrés de limon gris, alors que le palier supérieur (plage) est essentiellement sableux (9‑8‑99).

A general view of the Pointe à Boisvert spit presently under erosion. The lower section is organic with infiltrated grey silt, whereas the upper section (beach) is entirely sandy (99.8.9).

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Figure 15

Coupe lithostratigraphique au droit de la flèche littorale de la pointe à Boisvert en érosion.

A lithostratigraphic section into the spit of Pointe à Boisvert in an area under erosion.

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Figure 16

Zone perturbée du substrat argileux en face de la terrasse Mitis correspondant à un ancien glissement de terrain. Au premier plan, troncs d’arbres perpendiculaires au rivage et basculés vers l’intérieur des terres (25‑6‑98).

A deformed clay area in front of the Mitis terrace indicating a relict landslide. Tree trunks in foreground are perpendicular to the shoreline and are dipping inland (98.6.25).

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Figure 17

Détail de la zone de glissement de terrain montrant de l’argile perturbée contenant des valves de clovisses (Mesodesma arctatum) datée à 3,8 ka BP (25‑6‑98).

A close-up to a former landslide showing a disturbed clay deposit with shells of arctic wedge clams (Mesodesma arctatum) dated 3.8 ka BP (98.6.25).

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Particularités de la terrasse Mitis

À la pointe de Mille-Vaches, la composition lithostratigraphique de la terrasse Mitis diffère de celle observée à Petite-Rivière (Charlevoix) et à la pointe aux Alouettes (Saguenay). Dans la première localité (Dionne, 1996a), la terrasse Mitis est à la fois une forme d’érosion et d’accumulation composée de dépôts d’âge et de nature variés. Il en est de même à la pointe aux Alouettes, à cette différence que les dépôts sont tous d’âge holocène. Aux deux endroits, la terrasse Mitis est délimitée vers l’intérieur par une falaise morte taillée dans l’argile de la Mer de Goldthwait, dans du diamicton (till) ou encore dans des varves anciennes. À la pointe de Mille-Vaches, la basse terrasse (niveau équivalent au Mitis) n’est pas adossée à une falaise ; elle est plutôt en continuité topographique avec la partie sud-ouest de la péninsule de Portneuf face à la baie de Mille-Vaches. Elle est composée presque entièrement de sable fin à grossier avec quelques inclusions de gravier à faciès tantôt infratidal à intertidal, tantôt littoral. Le substrat limono-argileux à la base de la séquence détritique n’est pas visible au droit de la falaise active mais seulement sur la partie supérieure de l’estran. La surface d’érosion n’a donc pas été observée en coupe. Par ailleurs, la falaise active ayant permis l’examen des faciès est latérale et non frontale comme dans les deux autres sites mentionnés.

Le point commun entre les trois sites est la présence en surface, sous le sol organique ou la tourbe, d’un dépôt de limon sableux gris, laminé, contenant des débris de plantes en place dont des tiges et des racines de spartines (Spartina alterniflora), une espèce caractéristique de la zone du schorre inférieur. Ce dépôt contient aussi des fragments de bois et des débris organiques divers transportés.

À Petite-Rivière et à la pointe aux Alouettes, il existe une surface d’érosion taillée dans de l’argile marine, du till ou des varves glacio-lacustres d’âge wisconsinien, durant un épisode de bas niveau marin. Le dépôt intertidal susjacent, à faciès de schorre inférieur à ces endroits, a été attribué à une hausse du niveau marin relatif (Dionne, 1996a, 1996b). Il est possible qu’il en fut de même à la pointe de Mille-Vaches, bien que les indices morpho-sédimentologiques soient moins évidents. Ajoutons qu’un dépôt intertidal correspondant à la zone du schorre inférieur caractérise aussi la terrasse Mitis à Raguenau et qu’il a à peu près le même âge que celui à la pointe de Mille-Vaches. Selon Bernatchez (2003), il aurait été mis en place lors de l’émersion des terres après la transgression laurentienne.

Âge comparé de la terrasse Mitis

L’âge médian au 14C de la terrasse Mitis pour l’ensemble du Saint-Laurent estuarien est de 2030 ± 80 BP (Beta‑10819) (Dionne, 2002a). Sur la rive nord, l’âge au 14C médian de la terrasse Mitis est de 2000 ± 50 BP (Beta‑38605) à Petite-Rivière (Charlevoix), alors qu’à la pointe aux Alouettes (Saguenay), l’âge médian est de 1370 ± 50 BP (Beta‑28370). À cet endroit, si on utilise uniquement les dates sur des fragments de bois dans l’unité sableuse (plages) au-dessus de l’unité intertidale limoneuse, l’âge médian au 14C est seulement de 1290 ± 70 BP (Beta‑24661). Cet âge est de 100 ans plus jeune que l’âge médian 1390 ± 60 BP (Beta‑28366) de l’unité intertidale sous-jacente. Il y a donc une différence d’environ 600 ans en comparaison de la plupart des autres localités où la terrasse Mitis a été datée.

À la pointe de Mille-Vaches, si on prend en compte l’ensemble des dates au 14C pour les diverses unités exposées dans la falaise active entaillant la terrasse Mitis (Tabl. II), l’âge va de 1550 ± 70 (UL‑1864) à 2440 ± 70 BP (UL‑1889) avec une médiane de 1880 ± 90 BP (UL‑1730). Toutefois, si on utilise uniquement les dates au 14C pour l’unité intertidale, l’âge médian va de 1570 ± 50 (UL‑2001) à 1970 ± 70 BP (UL‑1912) avec une médiane de 1830 ± 60 BP (UL‑1890). Les médianes pour l’ensemble des dates au 14C et celles de l’unité intertidale sont donc semblables. Ainsi, il y a bien une différence de 440 ans entre l’âge de l’unité intertidale à la pointe aux Alouettes et celui de la pointe de Mille-Vaches.

Tableau III

Datations au 14C du glissement de terrain à la pointe de Mille-Vaches (Porneuf-sur-Mer)

Datations au 14C du glissement de terrain à la pointe de Mille-Vaches (Porneuf-sur-Mer)

Médiane = 570 ± 60 BP

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Par contre, dans les deux sites, la couverture organique (tourbe) qui s’est développée après l’émersion à la surface de la terrasse Mitis a un âge comparable. En effet, la base de la couverture tourbeuse a été datée de 980 ± 90 (UL‑2249) et de 1060 ± 90 BP (UL‑2260) à la pointe de Mille-Vaches et de 960 ± 70 (Beta‑24662) et de 1050 ± 60 BP (Beta‑28364) à la pointe aux Alouettes.

À Ragueneau, du côté ouest de la péninsule Manicouagan-Outardes, l’âge au 14C de l’unité intertidale de la terrasse Mitis va de 1220 ± 70 (UL‑1368) à 2590 ± 70 BP (UL‑1699) avec une médiane à 2030 ± 60 BP (UL‑1550) (Bernatchez, 2003). Toutefois, des débris de plantes (tiges, racines) en place ont donné des âges 14C de 1930 ± 100 (UL‑2080) et 2130 ± 120 BP (UL‑1734) (Dionne, 2002a ; Bernatchez et al., 2000 ; Bernatchez, 2003).

Bref, l’âge estimé de la terrasse Mitis à la pointe de Mille-Vaches est semblable à celui de la majorité des localités du Saint-Laurent estuarien où la terrasse Mitis a été datée (Dionne, 2002a). On peut donc conclure que le niveau marin relatif lors de l’édification de la terrasse Mitis sur les deux rives de l’estuaire était semblable ou uniforme. La différence d’âge de la terrasse Mitis à la pointe aux Alouettes a été attribuée à la déglaciation tardive de l’embouchure du Saguenay (Dionne, 1996a ; Dionne et Occhietti, 1996).

Le niveau marin relatif à l’holocène

Comme nous disposons de peu de dates au 14C pour le secteur côtier de Portneuf-sur-Mer, nous utiliserons ici les données disponibles des localités les plus approchées, soit celles des Escoumins, en amont, et des rivières Laval et Blanche, en aval (Tabl. IV).

Le niveau minimal atteint par la Mer de Goldthwait dans le secteur étudié est approximativement de 140 m d’altitude. Les plus vieilles dates au 14C pour la région vont de 12 à 11 ka pour le début de la mer postglaciaire, alors que le front de l’inlandsis Laurentidien était sur le rebord externe du plateau en bordure du littoral actuel. Les dépôts marins de la phase principale de la Mer de Goldthwait et les dépôts deltaïques datent respectivement de 10 à 11 ka et de 9 à 10 ka. Le relèvement isostatique, effectué entre 11 et 6 ka, a laissé derrière lui une série d’escarpements de hauteur variable et plusieurs séries de flèches et de cordons littoraux à des altitudes décroissantes du NE au SO (Fig. 3). La rivière Portneuf s’est encaissée dans ses propres dépôts découpant ainsi une série de terrasses latérales et quelques méandres reliques (Fig. 2). Le niveau d’environ 10 m a probablement été atteint vers 8 ka. Entre 6 et 6,5 ka, le NMR était vraisemblablement voisin du niveau actuel, du moins si on se base sur les dates au 14C obtenues sur des myes (Mya arenaria) en position de vie dans une couche de vase argileuse au-dessus du substrat argileux érodé, le long de l’estuaire de Petites-Bergeronnes (Dionne, 1996b).

À la pointe de Mille-Vaches, les indices d’une remontée du NMR après le bas niveau de l’Holocène moyen mis en évidence dans plusieurs sites de la rive sud de l’estuaire (Dionne 1988, 2001, 2002b ; Dionne et Coll, 1995 ; Dionne et Pfalzgraf, 2001) sont rares. Seule la date de 3870 ± 60 BP (UL‑1920) sur des valves de clovisses arctiques (Mesodesma arctatum), trouvées dans une poche sableuse entre des couches déformées du substrat argileux du glissement de terrain relique, permet d’affirmer la présence, quelque part dans la péninsule de Portneuf, d’un dépôt sableux infratidal, en autant que ce dépôt repose bien en discontinuité sur la surface d’érosion correspondant au bas niveau de l’Holocène moyen. Malheureusement, nous ignorons l’emplacement exact de ce dépôt dans la séquence lithostratigraphique de la péninsule de Portneuf.

Le dépôt sableux contenant les clovisses arctiques appartient à un milieu peu profond mais infratidal. Selon les biologistes (Bousfield, 1964 ; Abbott, 1982 ; Bourget, 1997 ; Chabot et Rossignol, 2003), cette espèce d’eau froide colonise des substrats sableux du Saint-Laurent estuarien maritime à partir de la limite des basses mers jusqu’à des profondeurs de plusieurs dizaines de mètres. La zone infratidale étant située sous le zéro hydrographique ou à partir de ‑2,4 m géodésique, le niveau marin relatif de l’époque est, aujourd’hui, situé à quelques mètres au-dessus du niveau actuel, en assumant que les clovisses proviennent de la partie supérieure de la zone infratidale.

Les diverses unités sableuses et sablo-graveleuses observées dans la falaise active ont été interprétées comme des faciès littoraux et surtout de bas estran. En principe, ils surmontent le dépôt de sable gris contenant les clovisses, ce qui signifie un abaissement progressif du niveau marin relatif ; ce dernier est alors passé d’infratidal à intertidal inférieur, moyen puis supérieur. Ces dépôt littoraux sont, sur l’ensemble de la falaise active, coiffés d’une couche de limon gris sableux, laminé, caractéristique de la zone intertidale correspondant au schorre inférieur ; ceci implique vraisemblablement une légère remontée (1‑2 m) ou une stabilité du NMR lors de l’épisode Mitis ; l’absence de faciès de schorre supérieur ne permet toutefois pas d’affirmer que l’unité 6 (Fig. 6) ait été mise en place lors de l’émersion du rivage.

Tableau IV

Dates au 14C pour la Mer de Goldthwait dans la région de Portneuf-sur-Mer

Dates au 14C pour la Mer de Goldthwait dans la région de Portneuf-sur-Mer
*

Âge corrigé pour réservoir marin.

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Une autre possibilité consiste à considérer l’ensemble des unités comme une séquence normale en continuité à partir du substrat limono-argileux érodé au cours du bas niveau marin durant l’Holocène moyen. Le dépôt sableux à clovisses (Mesodesma arctatum) correspondrait alors à un faciès de milieu infratidal, alors que l’ensemble de la séquence sableuse et graveleuse exposée dans la falaise active serait un faciès de bas estran, et le dépôt limoneux en surface, un faciès équivalent à celui de la zone du schorre inférieur. Dans cette séquence indiquant un abaissement progressif du NMR, l’absence de plages au-dessus de l’unité intertidale à faciès de schorre inférieur dans la coupe étudiée, pourrait être attribuable à l’érosion latérale de la basse terrasse. La figure 3 montre, en effet, qu’il existe des flèches littorales à la surface de la terrasse, qui sont orientées perpendiculairement au rivage actuel, c’est-à-dire ESE‑ONO. Il convient de rappeler ici que la coupe synthèse décrite est une vue latérale et non frontale de la basse terrasse, ce qui n’est pas le cas à la pointe aux Alouettes, site où des plages de sable recouvrent l’unité limoneuse intertidale.

La large batture limono-argileuse ainsi que la falaise morte taillée dans l’argile dans le secteur de Saint-Paul-du-Nord et de Rivière-Éperlan impliquent une faible profondeur d’eau à l’époque, c’est-à-dire un bas NMR et une phase relativement longue d’érosion. Les dépôts mis en place au-dessus de la surface d’érosion correspondent à des conditions transgressives qui se sont terminées après l’édification de la terrasse Mitis et son émersion vers 1500 ans BP.

En résumé, l’évolution du niveau marin relatif, à l’Holocène, sur la Haute Côte Nord du Saint-Laurent estuarien peut difficilement être retracée à partir de la seule coupe étudiée à la pointe de Mille-Vaches. Néanmoins, cette coupe renseigne sur l’édification et l’âge de la terrasse Mitis. Bien que la surface d’érosion dans l’argile de la Mer de Goldthwait ne soit pas adéquatement datée, nous croyons qu’elle a été taillée lors d’un bas niveau survenu au milieu de l’Holocène et que, à l’instar des événements survenus sur la rive sud (Dionne, 1998, 2001), le bas niveau a été suivi d’une remontée. Les données obtenues à partir des coupes de Ragueneau et de la péninsule de Manicouagan–Outardes (Bernatchez, 2003) devraient permettre sous peu de retracer les principales étapes du NMR sur la Haute Côte Nord.

Conclusion

La basse terrasse à l’extrémité sud-ouest de la péninsule de Portneuf, sur la rive nord de l’estuaire maritime du Saint-Laurent, a été édifiée au cours de l’Holocène supérieur. Elle est en grande partie constituée de dépôts sableux, surtout du sable fin mais avec des couches de sable moyen à grossier à certains niveaux ainsi que d’une unité de gravier sableux vers la base de la coupe. Ces dépôts ont été mis en place dans un milieu allant de infratidal à intertidal inférieur, moyen et supérieur, voire même littoral par endroits. L’épaisse séquence sableuse est coiffée d’une couche de 60 à 80 cm de sédiments limoneux gris, laminés, contenant des débris de plantes en place correspondant à un faciès de schorre inférieur à spartines alterniflore. Les dates au 14C sur des fragments de bois et des débris organiques divers vont de 1570 ± 50 (UL‑1864) à 2740 ± 70 BP (UL‑1889) pour un âge médian de 1880 ± 90 BP (UL‑1730). Cet âge correspond à celui de la terrasse Mitis pour l’ensemble des deux rives du Saint-Laurent estuarien (Dionne, 2002a), ce qui implique un NMR similaire pour l’ensemble du plan d’eau à cette époque.

La terrasse Mitis à la pointe de Mille-Vaches a été édifiée après un épisode de bas niveau marin qui a érodé les dépôts limono-argileux de la Mer de Goldthwait laissant derrière une vaste batture et une falaise morte d’environ 10 m de hauteur dans le secteur de la baie de Mille-Vaches.

Un glissement de terrain remontant vraisemblablement au grand séisme de 1663 a été mis en évidence dans le secteur de la falaise active au sud-ouest de la pointe de Mille-Vaches. L’absence de cicatrice ou d’amphithéâtre relique dans la basse terrasse actuelle permet de penser que le glissement a affecté le substrat argileux et la partie externe de la terrasse Mitis qui a depuis été érodée.

Une évolution du NMR a été esquissée à partir des dates au 14C disponibles pour les régions avoisinant la péninsule de Portneuf. La limite supérieure de la Mer de Goldthwait d’environ 140 m d’altitude, dans le secteur étudié, fut atteinte entre 11 et 11,5 ka. Le niveau de la mer s’est ensuite abaissé par étapes lors du relèvement isostatique de sorte que le niveau de ±10 m a été atteint entre 8 et 8,5 ka. Entre 6 et 5 ka, il aurait été semblable au niveau actuel ou légèrement inférieur, puis il aurait remonté de quelques mètres, mettant en place les dépôts sableux constituant la terrasse Mitis. Dans l’état actuel des connaissances, nous ne possédons pas d’indices suffisants pour affirmer que ces dépôts ont été mis en place lors d’une phase continue d’émersion. Quoi qu’il en soit, l’émersion de la basse terrasse vers 1,5 ka indique clairement que le NMR était en régression.

Les données recueillies dans la falaise active entaillant latéralement la terrasse Mitis donnent un aperçu sommaire des événements survenus à cet endroit à l’Holocène supérieur. Une étude plus approfondie permettrait de dresser un tableau plus complet et plus précis de l’évolution littorale depuis la déglaciation dans la région des rivières Portneuf et du Sault-aux-Cochons (Forestville).