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Introduction

Depuis Davis (1895), l’intérêt des géomorphologues pour l’étude des réorganisations hydrographiques ne s’est guère démenti. La recherche des traces morphologiques de capture a été complétée par l’analyse sédimentologique des dépôts conservés, permettant de reconstituer les profils longitudinaux des paléotracés successifs (Weisrock, 1997). Les études récentes insistent sur les impacts géomorphologiques à l’amont et à l’aval des captures (Mather, 2000 ; Maher et al., 2007). Ces recherches ont révélé la complexité des mécanismes et des causes des réorganisations hydrographiques : par exemple, la capture de la Moselle est expliquée par des facteurs généraux, tectoniques, climatiques et morphodynamiques, auxquels s’ajoutent des facteurs locaux comme les diffluences karstiques (Harmand et al., 1995 ; Losson et Quinif, 2001). Néanmoins, les processus précis des changements de cours sont souvent mal élucidés (Bishop, 1995). C’est le cas dans le Bassin parisien où la plupart des captures ont été repérées, mais où leurs mécanismes continuent à être discutés (Tricart, 1952 ; Harmand et al., 1995 ; Larue et Étienne, 1997 ; Pastre et Leroyer, 1997 ; Losson et Quinif, 2001). Dans la région parisienne, les changements de tracé de la Seine et de la Marne demeurent mal connus malgré de nombreux travaux (Chaput, 1923 ; Cailleux, 1943 ; Lécolle, 1989 ; Roblin-Jouve, 1995 ; Le Béchennec et al., 1998). Aussi, l’étude détaillée de la dépression de Claye-Souilly–Saint-Denis peut-elle contribuer à mieux comprendre la formation et l’évolution d’une vallée fossile qui résulte de l’interaction entre plusieurs processus géomorphologiques.

Au nord et au nord-est de Paris, cette dépression topographique, d’une longueur de 22 km, relie d’est en ouest la vallée de la Marne à celle de la Seine (fig. 1). Étroite à l’amont (250 m à Claye-Souilly) et à l’aval (moins de 1 km à Saint-Denis), elle s’étend sur plus de 5 km dans le secteur de Sevran-Bobigny. La ligne de hauteurs qui la délimite au sud, de Montmartre à Lagny, est interrompue par les couloirs de Rosny-sous-Bois et de Gagny-Villemomble qui la relient à la vallée de la Marne. Drainée par le réseau du Crould à l’ouest et par celui de la Beuvronne à l’est, cette dépression, marécageuse dans la zone de partage des eaux, présente un fond plat dans lequel s’encaissent faiblement les cours d’eau actuels. Les altitudes du fond diminuent graduellement vers l’ouest : 65 m à l’ouest de Claye-Souilly, 55 m à Sevran et 45 m à Bobigny.

Figure 1

Carte de localisation de la dépression de Claye-Souilly–Saint-Denis.

Location map of the Claye-Souilly–Saint-Denis depression.

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Les strates sédimentaires du centre du Bassin parisien présentent un pendage faible vers le sud, ce qui a permis le dégagement de plateformes structurales (Soyer, 1953 ; Pomerol, 1967 ; Pomerol et Feugueur, 1974 ; Diffre, 1980). Le fond de la dépression est modelé dans les marnes à gypse et les sables de Monceau bartoniens sus-jacents au calcaire de Saint-Ouen qui donne au nord la plateforme structurale de la Plaine de France (fig. 2). Au sud, les buttes de l’interfluve allant de Montmartre à Lagny, forment la terminaison des plateformes de Brie et de Beauce (calcaires et meulières du Stampien inférieur). La partie occidentale de la dépression correspond à l’ondulation synclinale de la fosse de Saint-Denis encadrée par le prolongement de l’anticlinal du Bray, au nord-est, et par l’anticlinal Meudon-Saint-Maur, au sud-ouest (Cavelier et Lorenz, 1987).

Figure 2

A

B

Coupes géologiques de la dépression de Claye-Souilly–Saint-Denis : (A) à l’ouest de Claye-Souilly et (B) au droit de Bobigny, entre Montmorency et Clichy-sous-Bois.

Cross-sections in the Claye-Souilly–Saint-Denis depression : (A) west to Claye-Souilly and (B) at Bobigny, between Montmorency and Clichy-sous-Bois.

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Cette morphologie suggère une vallée fossile qui aurait pu être façonnée par la Beuvronne avant sa capture par la Marne (Dollfus, 1903 ; Caudron et al., 1971), mais également par la Seine ou le Crould (Roblin-Jouve, 1995). Un paléotracé de la Marne dans la dépression de Claye-Souilly–St-Denis a été envisagé par Pastre et Leroyer (1995), puis abandonné par ces mêmes auteurs (Pastre et Leroyer, 1997). En outre, le dégagement de cette dépression a pu être favorisé par la dissolution du gypse qui engendre périodiquement des effondrements spectaculaires (Dollfus, 1903 ; Hirschauer, 1991). La dépression comprend trois ensembles morphologiques : les fonds de vallée vers 50 m d’altitude, une terrasse en forme de replat vers 60 m d’altitude et la présence d’un glacis vers 75 m d’altitude sur le versant nord du massif de l’Aulnay (fig. 2).

Les dépôts quaternaires qui tapissent la dépression ont été classés différemment selon les auteurs. Caudron et al. (1971), Diffre (1980), Roblin-Jouve (1995) distinguent les alluvions récentes (Fz) des plaines d’inondation des cours d’eau et les dépôts anciens (Fy) des terrasses. Hirschauer (1991) cartographie trois ensembles principaux qui présentent des faciès différents : les dépôts des lits majeurs en amont, ceux des basses vallées situées entre Dugny et Saint-Denis et ceux des « pseudo-terrasses » qui couvrent les plaines de Bondy, Drancy, La Courneuve et Bobigny. Si la mise en place des alluvions récentes est bien connue (Roblin-Jouve, 1995 ; Le Béchennec et al., 1998 ; Lafarge, 1998), celle des dépôts anciens demeure très hypothétique.

Pour tenter d’expliquer la genèse de cette dépression, nous utiliserons principalement l’étude sédimentologique des formations détritiques conservées et en particulier l’analyse des minéraux lourds pour déterminer les sources des matériaux et séparer les apports des différents cours d’eau. Une fois les formations bien caractérisées, leur raccordement de l’amont à l’aval permet de préciser la chronologie de leur mise en place et des changements de cours.

Analyse des formations détritiques conservées

Données de terrain

Ces dépôts ont pu être étudiés à partir des sondages et forages répertoriés par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), à la faveur de tranchées comme à l’ouest de Claye-Souilly, de fouilles archéologiques comme La Vache à l’aise à Bobigny et grâce aux sondages effectués par les Ponts et Chaussées dans le bois de la Tussion à Sevran, suite aux effondrements survenus en 1999. Les dépôts quaternaires, d’une épaisseur variant entre 1 et 8 m, sont constitués de sables fins ocres à gris, plus ou moins argileux et sont presque toujours dépourvus de galets, ce qui les différencie des alluvions de la Seine et de la Marne qui en contiennent toujours. Leur limite inférieure est parfois délicate à fixer lorsqu’ils entrent en contact avec les sables de Monceau éocènes qui présentent des faciès très semblables. À Livry-Gargan, les coupes établies lors de l’entretien du lac de Sévigné et de l’étang de Verchain, situés dans la vallée supérieure du Rouailler, montrent que les colluvions du versant nord-ouest du massif de l’Aulnay sont ravinées par 8 m de sables grossiers à moyens qui forment une terrasse de 63 m d’altitude. Les granulométries indiquent des alluvions bien classées de 0,3 mm de diamètre médian (Hirschauer, 1991).

Des échantillons, présentés au tableau I et sur la figure 1, ont pu être prélevés sur le site archéologique de La Vache à l’aise (71, 72, 73) et dans les carottes de sondage du Bois de la Tussion (T0, T8, T9, T12). Les coupes du premier site (Roblin-Jouve, 1995) montrent, du bas vers le haut, sur environ 2,50 m : (1) des sables et des limons blanc-jaune (2,5 YR 8/3) disposés en grandes rides obliques présentant des concrétionnements d’alios et des rubéfactions, (2) des sables argileux blancs à galets calcaires, (3) des sables et des argiles stratifiés, (4) des sables jaunes à taches grises et à langues jaunes, puis un sol gris et le sol noir actuel. L’échantillon 71 provient du niveau 1, les échantillons 72 et 73, du niveau 4. Les sondages du Bois de la Tussion montrent des dépôts dont l’épaisseur varie de 2 à 5 m et présentent tous la lithostratigraphie suivante : des sables fins à moyens à la base, des marnes plus ou moins limoneuses au milieu et des limons café au lait (7,5 YR 4/4) au sommet, puis le sol actuel. Les quatre échantillons sont issus de la strate inférieure qui est aussi la plus sableuse. De plus, d’autres échantillons ont été prélevés, à la faveur de terrassements urbains, d’affleurements et de sablières, dans les dépôts des seuils de Rosny-sous-Bois et de Gagny-Villemomble, dans les alluvions des vallées actuelles de la Marne, de la Seine, du Grand Morin et de la Beuvronne, dans le substrat sédimentaire (sables de Monceau, de Beauchamp, de Mortefontaine, de Fontainebleau), dans les limons sommitaux et dans les dépôts de glacis (fig. 1 et tabl. I) afin de pouvoir comparer les matériaux et déterminer l’origine des dépôts de la dépression.

Tableau I

Localisation et lithostratigraphie des échantillons prélevés

Localisation et lithostratigraphie des échantillons prélevés

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Méthodologie

Les échantillons ont subi l’analyse granulométrique et morphoscopique, la diffractométrie des rayons X et la détermination des minéraux lourds. Le granulomètre laser LS Coulter permet de classer les particules comprises entre 0,375 et 2000 µm, ce qui couvre la totalité des fractions sableuses, limoneuses et argileuses. Les courbes cumulatives bi-logarithmiques à ordonnées de probabilité font apparaître les écarts de distribution par rapport à une distribution gaussienne, ce qui permet d’individualiser les différents stocks granulométriques (Visher, 1969). Concentrés selon la méthode densimétrique de séparation au bromoforme (Parfenoff et al., 1970), les minéraux lourds ont été identifiés au microscope optique. Les pourcentages de minéraux transparents (tabl. II) ont été calculés à partir de l’analyse d’au moins 200 grains. Les résultats chiffrés ont été soumis à l’analyse factorielle des correspondances (AFC) afin de réaliser une discrimination objective des échantillons. Les poudres de la fraction <40 µm ont été soumises à la diffractométrie des rayons X afin de déterminer les minéraux argileux qui fournissent des données sur l’origine des sédiments et sur l’altération qu’ils ont subie (Moore et Reynolds, 1997). Les spectres ont été réalisés avec un diffractomètre de poudre muni d’une sonde à compteurs à scintillation, pour la raie K alpha du cuivre.

Tableau II

Composition en minéraux lourds

Composition en minéraux lourds

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Résultats

Les courbes granulométriques (fig. 3) montrent des sédiments sablo-limoneux, où des différences sont observables entre le Bois de la Tussion et Bobigny. Les sédiments du Bois de la Tussion donnent deux modes : le premier se situe entre 350 et 430 µm et le second vers 45 µm alors que ceux de Bobigny n’en possèdent qu’un entre 430 et 480 µm. Mieux classés, les dépôts de Bobigny sont aussi plus grossiers que ceux de Sevran : la médiane est plus forte à Bobigny (466 µm) qu’à Sevran (325 µm), la teneur en argiles est beaucoup plus faible à Bobigny (0,22 %) qu’à Sevran (entre 1,12 et 3,39 %). Révélatrice du milieu de dépôt, l’asymétrie est positive à Sevran et négative à Bobigny. L’asymétrie négative s’explique par l’évacuation des éléments fins par le courant. Les courbes bi-logarithmiques indiquent que les dépôts du Bois de la Tussion résultent d’un transport en suspension et d’un dépôt par décantation, alors que ceux de Bobigny comportent en plus un stock transporté par saltation et même par roulage.

Figure 3

Courbes granulométriques cumulatives à ordonnée de probabilité des dépôts de la dépression (voir fig. 1 et tabl. I pour la localisation des échantillons).

Grain-size distributions (cumulated curves with logarithmic ordinate scale) of the depression deposits (samples are located on Fig. 1 and Table I).

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La morphoscopie révèle une majorité (75 %) de grains émoussés et mats pour les particules supérieures à 200 µm et environ 90 % de grains non-usés pour les fractions fines inférieures à 100 µm. Ces résultats distinguent ces dépôts des alluvions de la Seine et de la Marne analysées par Cailleux (1943) : les fractions sableuses de 700 µm de la Seine possèdent 24 % de grains non-usés, 55 % d’émoussés-luisants et 21 % de ronds-mats, celles de la Marne, 63 % de non-usés, 18 % d’émoussés-luisants et 19 % de ronds-mats.

Les spectres diffractométriques révèlent des minéraux argileux très peu abondants : les pics d’illite et de kaolinite peu marqués témoignent d’une faible altération in situ. La silice domine la calcite dans tous les échantillons, y compris ceux des terrasses de la Marne et de la Seine. Cependant, à Sevran et Bobigny, on y trouve de la sépiolite et de la palygorskite qui individualisent ces dépôts par rapport aux alluvions de la Seine et de la Marne. Ces minéraux argileux peuvent provenir du calcaire de Saint-Ouen qui en renferme.

L’analyse des minéraux lourds (tabl. II) ajoute des précisions sur l’origine des dépôts de la dépression. Les sédiments tertiaires sont caractérisés, (1) par un faible nombre d’espèces minérales (6 à 10), (2) par la prédominance nette, soit de la tourmaline pour les sables de Beauchamp (éch. 23), soit du zircon pour les sables de Monceau (éch. 20), de Mortefontaine (éch. 22) et de Fontainebleau (éch. 25), (3) par un faible pourcentage de staurotide et (4) par l’absence de minéraux volcaniques. Cette composition les sépare des dépôts de la dépression qui possèdent une composition minéralogique plus variée (14 à 16 espèces minérales), sont plus riches en staurotide et renferment toujours des éléments d’origine volcanique. En revanche, les limons sommitaux (24), les dépôts de glacis (21) et les alluvions présentent de fortes similitudes avec les dépôts de la dépression. Les alluvions de la Beuvronne (11) renferment du grenat et de la hornblende verte que l’on retrouve dans les dépôts de la partie orientale de la dépression. Les alluvions de la Seine (15, 16, 17, 18, 27) et de la Marne (1, 2, 3, 6, 7, 8) présentent de fortes teneurs en staurotide. Les dépôts conservés sur les seuils de Gagny-Villemomble (26) et de Rosny (29) ont une composition peu différente des alluvions anciennes de la Seine, où la présence d’augites émoussées supérieures à 400 µm de diamètre témoigne de leur transport fluviatile depuis le Massif central (Tourenq et Pomerol, 1995 ; Larue, 2003).

Les dépôts de la dépression n’ont cependant pas une composition homogène. Ainsi, les teneurs en minéraux volcaniques varient verticalement et latéralement : à Bobigny, elles atteignent 30 % dans les sables supérieurs et seulement 7 % dans les sables inférieurs, à Sevran, elles fluctuent entre 1 et 4 %. À Bobigny, le zircon domine la tourmaline dans les sables inférieurs (71), alors que l’inverse se produit pour les dépôts supérieurs (72, 73). La composition des premiers est assez peu différente de celle des alluvions de la haute terrasse de la Seine. La présence d’orthose signalée par Roblin-Jouve (1995) renforce cette similitude. À Bobigny et à Villemomble, les apports fluviatiles lointains sont attestés par la découverte d’augites très émoussées supérieures à 400 µm de diamètre, provenant du volcanisme du Massif central (Pastre et Cantagrel, 2001). Les alluvions de la moyenne terrasse de la Marne renferment quelques augites de taille inférieure à 200 µm, mais sont dépourvues de sphène et de hornblende, alors que celles de la Seine contiennent les trois minéraux.

Pour la partie orientale de la dépression, il apparaît que les dépôts pourraient provenir d’un mélange entre des alluvions de la Beuvronne et des apports colluviaux issus du versant du massif de l’Aulnay. Pour le secteur de Bobigny, les apports locaux sont mêlés à des alluvions plus grossières pouvant être issues du remaniement d’alluvions de la Seine déposées antérieurement.

Interprétation

Origine et âge des dépôts de la dépression

De par leur altitude, les dépôts tapissant la partie orientale de la dépression se situent dans le prolongement de la haute terrasse de la Marne conservée à Jablines à 63 m (soit 20 m d’altitude relative par rapport au lit mineur actuel de la Marne) et absente plus en aval (fig. 4). Ils ne peuvent appartenir aux nappes formant les terrasses inférieures qui jalonnent la vallée actuelle de la Marne entre Jablines et la confluence avec la Seine (fig. 1). Ils sont donc plus anciens que les alluvions de Chelles placées entre le Mindel et le Würm par la découverte de deux faunes, l’une froide à Elephas primigenius, l’autre chaude à Elephas antiquus (Bourdier, 1969). Rapportées au Riss par Michel (1972), ces terrasses sont composées de plusieurs nappes alluviales qui forment, soit des glacis alluviaux, soit une terrasse de 10-15 m d’altitude relative. Dans la Région parisienne, Roblin-Jouve (1980), Rodriguez (1994) et Roblin-Jouve et Rodriguez (1997) ont distingué trois phases d’incision : au Saalien, le substrat est creusé jusqu’à l’étiage actuel et l’accumulation, datée à Maisons-Alfort de 162 000 ± 9000 et 206 500 ± 16 500 BP (Durbet et al., 1997), atteint 6 à 10 m d’altitude relative ; au Weichsélien, le fond rocheux est incisé de 5 à 10 m au dessous de l’étiage actuel et le remblaiement suivant culmine à 7 m d’altitude relative ; enfin le creusement tardiglaciaire qui débute au Bølling atteint 10 m sous l’étiage actuel. D’épais limons sableux recouvrent le fond de la vallée. Pastre et al. (1997) montrent un dispositif semblable dans la vallée de la Marne au droit de Jablines, dans la zone de passage du TGV-Interconnection. Pastre et Leroyer (1995) émettent l’hypothèse d’une capture de la Marne par le Grand Morin au Pléistocène moyen (antérieur au stade isotopique 6 ou 8) : le cours aval de la Marne correspondrait à l’ancien cours aval du Grand Morin et les dépôts de la dépression jalonneraient l’ancien cours de la Marne avant la capture réalisée dans le secteur de Jablines. Les minéraux lourds du Grand Morin (13, 14) ne confirment toutefois pas cet ancien tracé. En effet, dépourvues d’augite, les alluvions du Grand Morin contiennent également moins de staurotide que celles de la Marne.

Figure 4

Profils longitudinaux des cours d’eau, des terrasses de la Marne et de la Seine et des terrasses de la dépression de Claye-Souilly–Saint-Denis.

Longitudinal profiles of the rivers, the Seine and Marne terraces and the terraces in the Claye-Souilly–Saint-Denis depression.

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Pour le secteur de Bobigny, des apports de la Seine pouvaient passer par les seuils de Rosny vers 70 m d’altitude ou de Gagny-Villemomble vers 60 m d’altitude et situés dans le prolongement de la très haute terrasse du Mont Mesly (72 m d’altitude). La présence d’augite émoussée dans ces deux seuils atteste du passage d’une paléo-Seine au début de l’incision des cours d’eau au Pléistocène inférieur. En effet, les principales émissions pyroclastiques du Mont Dore contenant des clinopyroxènes se sont produites entre 2,6 et 1,5 Ma (Pastre et Cantagrel, 2001), soit au tout début de l’encaissement des cours d’eau. En revanche, les alluvions peu altérées de Bobigny, situées seulement à 42 m d’altitude, n’appartiennent pas à cette nappe, mais elles peuvent inclure des éléments remaniés de cette dernière.

La finesse des matériaux et l’absence de galets distinguent les dépôts de la dépression des alluvions périglaciaires de la Marne et de la Seine (Cailleux, 1943), mais pourraient en faire des alluvions interglaciaires ou tardiglaciaires (Leroyer et al., 1997). La présence d’orthose et de minéraux volcaniques rapproche les sables inférieurs de Bobigny des matériaux transportés par la Seine. Hadjouis (2001) signale la présence de minéraux lourds volcaniques dans les alluvions saaliennes, weichséliennes et tardiglaciaires de la Seine, à Maisons-Alfort. Toutefois, en raison des apports éoliens, l’augite n’est pas spécifique à la Seine puisqu’on en trouve dans les alluvions de la moyenne terrasse de la Marne. Juvigné (1991) a montré que les projections éoliennes des volcans du Massif central et de l’Eifel ont atteint à plusieurs reprises le centre du Bassin parisien. Toutefois, la taille des augites peut renseigner sur leur origine. Toujours inférieures à 200 µm, celles de la Marne et de l’est de la dépression ont pu être apportées par le vent ; par contre, celles de la Seine et de Bobigny sont plus hétérométriques et quelques-unes dépassent 400 µm, ce qui exclut pour ces dernières un transport aérien et impose une origine fluviatile (Tourenq et Pomerol, 1995). La découverte de ces augites de grande taille à Villemomble, à Rosny et à Bobigny donne en outre un nouvel indice pour le tracé du « fleuve à augite » qui passait à l’est de Paris et non au sud-ouest comme le suggéraient Tourenq et Pomerol (1995).

Les profils longitudinaux des terrasses de la dépression montrent, entre le Bois de la Tussion et Saint-Denis, une pente forte, peu différente de celle des petits cours d’eau actuels mais beaucoup trop importante pour correspondre au passage d’une rivière comme la Marne (fig. 4). Si cette dernière était tout de même passée par là, les dépôts conservés ne pourraient pas être originels, ils auraient forcément été remaniés par le travail des petits affluents de la Seine. Il apparaît donc que les dépôts de la dépression ne sont pas des alluvions en place de la Marne ni de la Seine. En revanche, la Beuvronne a pu emprunter la dépression et rejoindre la Seine qui empruntait le seuil de Gagny situé à 60 m d’altitude : la finesse des alluvions et la présence de grenat et de hornblende tendent à prouver de tels apports. La capture de la Beuvronne par recul de tête d’un affluent de la Marne passant par Claye-Souilly a pu se produire après l’accumulation des alluvions de la dépression, ainsi que le suggérait Dollfus (1903). La pente anormalement forte du cours aval de la Beuvronne est un argument supplémentaire à cette capture. Cela indique aussi que ce cours d’eau n’a pas régularisé son profil longitudinal depuis cette capture ancienne, bien que le creusement post-glaciaire atteigne plusieurs mètres sous l’étiage actuel. Ensuite, le remblaiement holocène s’est effectué en quatre phases successives datées par des données archéologiques de la période atlantique, du Subboréal, du Subatlantique et après l’époque romaine (Lebret et Halbout, 1991 ; Le Béchennec et al., 1998 ; Orth et al., 2004).

Les dépôts conservés à Bobigny sont plus récents en raison de leur moindre altération et de leur plus faible altitude (42 m). Ils se raccordent avec la terrasse saalienne de la Seine à Saint-Denis, et traduisent deux séquences de mise en place. Les matériaux inférieurs, plus grossiers et affectés de quelques figures de gel, ont subi des conditions climatiques périglaciaires dont l’âge reste incertain : saalien ou weichsélien (Roblin-Jouve, 1995). Les formations supérieures, plus fines et plus riches en augite, pourraient correspondre à des débordements tardiglaciaires. Des saupoudrages éoliens, comme ceux du Tardiglaciaire reconnus par Juvigné (1991) et Étienne et Larue (1996) dans le centre du Bassin parisien, semblent indispensables pour expliquer les 24 % d’augite de l’échantillon 73.

Rôle des phénomènes de dissolution

La dissolution du gypse et du calcaire de Saint-Ouen et les effondrements qui en résultent contribuent à une exportation de matériau vers les vallées principales, mais des transports fluviaux sont nécessaires pour expliquer le dégagement de la dépression par érosion différentielle avant la mise en place des alluvions anciennes. Dollfus (1903) a observé entre Sevran et Aulnay un effondrement elliptique de 15 m sur 12 m et de 15-17 m de profondeur, qui s’est rempli d’eau jusqu’à ‑1,50 m. Des entonnoirs identiques, appelés torrents ou bouillons, se sont produits en 1685 et 1858, sur la rive droite du canal de l’Ourcq. Récemment, le Bois de la Tussion a dû être interdit aux promeneurs suite à des effondrements identiques. Tous ces effondrements jalonnent l’axe de la dépression et résultent de la dissolution du substrat gypseux et calcaire et de son évacuation, non par «une rivière cachée» selon Dollfus (1903), mais plutôt par la nappe souterraine s’écoulant vers la Seine.

Par ailleurs, les extrémités de cette dépression ont pu être envahies par les eaux de la Marne et de la Seine, à la faveur de crues. Lors des crues historiques de la Seine, Wyss (1996) signale que les eaux de cette dernière repoussaient celles du Crould et inondaient le secteur de Saint-Denis. Ces entrées pourraient expliquer localement la présence de minéraux spécifiques aux deux cours d’eau et également la régularisation topographique des creux engendrés par les effondrements.

Conclusion

Ainsi, les dépôts anciens de la dépression sont constitués essentiellement d’alluvions et d’apports locaux mêlés à des retombées éoliennes de projections volcaniques. Dans la partie orientale, il s’agit surtout d’alluvions de la Beuvronne déposées avant sa capture par la Marne et de colluvions issues du massif de l’Aulnay. Cette capture a permis la conservation vers 60 m d’altitude de ces dépôts contemporains de la haute terrasse de Jablines. Dans le secteur de Bobigny, il s’agit surtout d’alluvions des affluents du Crould qui remanient des apports plus anciens de la Seine ; leur altitude plus faible (42 m) est due au déblaiement effectué par le réseau du Crould en fonction de l’évolution du niveau de base de la Seine à Saint-Denis. Ces alluvions, plus récentes, se raccordent à la terrasse saalienne de la Seine. La présence d’augites supérieures à 400 µm de diamètre dans les seuils de Gagny-Villemomble et de Rosny témoigne du passage d’une paléo-Seine, le « fleuve à augite », au Pléistocène inférieur. Le creusement de la dépression apparaît donc plus ancien dans la partie orientale, puisque antérieur à l’accumulation des hautes terrasses, que dans la partie occidentale où il s’est poursuivi jusqu’au Saalien. Des datations des alluvions de la dépression permettraient probablement de mieux préciser. La conjonction de plusieurs processus dans le façonnement de la dépression, tels les effondrements d’origine karstique, rend délicate une reconstitution plus fine.