Corps de l’article

Introduction

Les marais maritimes comptent parmi les habitats les plus productifs (Adam, 1990 ; Keddy, 2000) et présentent une grande diversité floristique. Ils sont utilisés par de nombreuses espèces animales comme aire de reproduction, de fraie, d’élevage et d’alimentation en plus de constituer des haltes migratoires importantes. Ainsi, plusieurs chercheurs s’intéressent à ces écosystèmes. Parmi les phénomènes les plus étudiés au niveau international, mentionnons l’influence des processus hydrodynamiques et des glaces sur le bilan sédimentaire (Pethick, 1984 ; Keddy, 2000 ; Pejrup et Andersen, 2000 ; Davidson-Arnott et al., 2002), le rôle de la salinité ainsi que de la fréquence et de la durée d’inondation sur la végétation (Silvestri et al., 2005), le rôle de la végétation sur le bilan sédimentaire (Leonard et Reed, 2002), le rôle du système de drainage sur l’évolution des marais (Allen, 2000) et le rôle de la topographie sur la végétation (Silvestri et al., 2005).

Les recherches antérieures sur les marais maritimes de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent font état d’une description des formations végétales (Prat, 1933 ; Couillard et Grondin, 1986), de la dynamique sédimentaire (Morin, 1981 ; Drapeau et Morin, 1981 ; Drapeau, 1992 ; Sérodes et Dubé, 1983 ; Sérodes et Troude, 1984 ; Troude et Sérodes, 1990 ; Dionne, 2002), de l’influence du temps de submersion de la végétation (Sérodes et al., 1985), des processus d’érosion des marais (Gauthier et Goudreau 1983 ; Dionne, 1986, 2000, 2001a ; Bernatchez et Dubois, 2004), de l’influence des glaces littorales (Dionne, 1969, 1972a, 1984, 1985, 1989 ; Troude et Sérodes, 1988), de la productivité primaire (Giroux et Bédard, 1987), du recyclage des contaminants par les marais (Deschênes et Sérodes, 1986) et de leur reconstitution historique et paléoécologique (Garneau, 1998 ; Hatvany, 2003). Peu d’études ont quantifié la diversité végétale des marais maritimes tout en établissant son lien entre la répartition et la variabilité spatiale des caractéristiques physiques du milieu. L’accent est généralement mis sur la relation entre la succession des communautés végétales et le gradient d’inondation. Il est donc difficile de déterminer les facteurs abiotiques qui influencent réellement la diversité végétale des marais. Les côtes à marais maritimes partiellement abrités des processus marins occupent une forte proportion des types de marais sur les rives de l’estuaire maritime du Saint-Laurent (tabl. I). Ces côtes ont cependant été peu étudiées comparativement aux côtes à marais maritimes exposés aux processus marins. Plusieurs lacunes subsistent quant à la compréhension de la dynamique des marais maritimes abrités par une flèche littorale dont, entre autres, l’influence des processus géomorphologiques sur l’écologie végétale des marais.

Tableau I

Longueurs et proportions des côtes occupées par des marais maritimes sur les rives de l’estuaire maritime du Saint-Laurent classés selon leur degré d’exposition aux processus marins

Longueurs et proportions des côtes occupées par des marais maritimes sur les rives de l’estuaire maritime du Saint-Laurent classés selon leur degré d’exposition aux processus marins

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Cet article vise à vérifier l’influence des caractéristiques géomorphologiques et sédimentologiques sur la diversité végétale de trois marais maritimes qui sont soumis aux mêmes conditions marégraphiques. Les objectifs spécifiques sont : (1) de vérifier l’effet du degré d’exposition des marais maritimes aux processus marins sur la végétation en comparant deux marais partiellement abrités et un marais abrité par une flèche littorale ; (2) de quantifier la diversité végétale et de la spatialiser à l’aide d’une cartographie morphosédimentologique et selon les types de substrat, la variabilité des altitudes et la topographie des marais. Cette étude propose un schéma conceptuel décrivant les facteurs naturels qui influencent la diversité végétale des marais maritimes.

Localisation des sites à l’étude et principales caractéristiques physiques

Les trois marais à l’étude se situent sur la rive sud de l’estuaire maritime entre les localités de Saint-Georges-de-Cacouna et de Saint-Simon (fig. 1A). Deux rivières principales, Trois-Pistoles et Verte, ainsi que la rivière Centrale traversent cette région. Ces rivières se sont incisées près des embouchures dans les dépôts quaternaires. Ces dépôts sont caractérisés notamment par un important complexe d’argile marine et glacio-marine mise en place entre 12,7 et 10 ka BP (Dionne, 1968, 1972b ; Locat, 1976). Les marais sont bordés par un important niveau de terrasse qui culmine entre 20 et 30 m et sur lequel sont disposées des plages soulevées (Dionne, 1968).

Figure 1

A

B

(A) Localisation des marais de l’Isle-Verte et du Cap Marteau sur la côte sud de l’estuaire maritime du Saint-Laurent. (B) Localisation des transects dans le marais du Cap Marteau.

(A) Location map of Isle-Verte and Cap Marteau tidal marshes on the south shore of the Lower St. Lawrence estuary. (B) Location map of the studied transects in the Cap Marteau tidal marsh.

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Le marais de l’Isle-Verte borde une côte rectiligne située à l’extrémité sud-ouest de l’île Verte. Il est exposé aux vents dominants provenant de l’ouest avec un fetch maximal d’environ 25 km. Les deux autres marais sont situés à l’extrémité est du fond de la baie du Cap Marteau (fig. 1B). L’un est exposé aux vents dominants avec un fetch maximal d’environ 30 km alors que l’autre est abrité par la flèche littorale du Cap Marteau. Ce dernier relève un intérêt particulier puisqu’il est l’un des rares marais abrités par une flèche littorale de la rive sud de l’estuaire maritime (tabl. I). Les trois marais sont soumis à une marée semi-diurne de régime méso-tidal avec un marnage moyen de 3,4 m et de 5 m lors des grandes marées (Service hydrographique du Canada, 2006) et la salinité avoisine 27,0 ‰ (Environnement Canada, 2006). Seul le marais abrité par une flèche littorale est traversé par la rivière Centrale qui peut influencer la salinité locale.

Matériel et méthodes

Cartographie morphosédimentologique

Une cartographie morphosédimentologique a été réalisée à partir des photographies aériennes infrarouges acquises en 1990 (Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune). La cartographie a été complétée sur le terrain par une description des substrats en surface (15 premiers cm) et par des relevés topographiques à l’aide d’une station totale (TPS Leica Geosystems) (fig. 1).

Inventaire biophysique

Des inventaires biophysiques ont été réalisés aux mois d’août 2004 et 2005 pour 1 506 quadrats de 2,25 m2 positionnés systématiquement à tous les 1,5 mètres le long de transects perpendiculaires à la ligne de rivage (fig. 1 ; tabl. II). Les limites inférieures et supérieures des transects dans les marais correspondent respectivement au début de la couverture végétale et à la limite supérieure du schorre. Le nombre élevé de transects pour le marais abrité par une flèche littorale se justifie par une plus grande hétérogénéité écogéomorphologique du milieu comparativement aux deux autres marais. L’inventaire biophysique comprend d’abord une identification de toutes les espèces végétales présentes et une estimation de leur couverture dans le quadrat. Il comprend aussi une évaluation visuelle du type de substrat dominant en surface selon les classes suivantes : argile, silt, vase, matière organique, sable, gravier, bloc et non déterminé. La classe matière organique représente un substrat dominé par la matière organique peu ou non décomposée et compacte. Le substrat n’a pas été déterminé au fond du chenal principal de la rivière Centrale (non déterminé). Finalement, l’inventaire comprend des relevés topographiques et une mesure d’altitude obtenue à l’aide d’une station totale au centre des quadrats. Afin d’évaluer la relation entre l’altitude et le type de substrat, des tests non paramétriques ont été réalisés (Kruskall-Wallis). Le niveau de référence correspond au zéro marégraphique local mesuré lors du niveau inférieur des plus basses mers. Des visites durant l’automne, l’hiver et le printemps ont permis d’observer et de comprendre les formes et les processus liés aux tempêtes, aux glaces et aux crues de la rivière Centrale.

Tableau II

Caractéristiques de l’échantillonnage des quadrats

Caractéristiques de l’échantillonnage des quadrats

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Diversite végétale

La diversité végétale a été exprimée par la richesse végétale et par l’indice de Shannon. La richesse végétale correspond au nombre total d’espèces inventoriées. L’indice de Shannon est un indice écologique qui permet de décrire la variabilité de la diversité floristique et le degré de stress des espèces selon la topographie (Silvestri et al., 2005). L’indice de Shannon considère deux facteurs : le nombre total d’espèces présentes dans la communauté et la distribution du nombre d’individus par espèce. Il est déterminé par la formule suivante :

où Pi(z) est la proportion du nombre d’individus par espèce selon le nombre total d’individus pour l’altitude (z). Dans cette étude, les quadrats sont distribués selon des classes d’altitude d’intervalle de 0,5 m. L’indice est calculé pour chacune des classes d’altitude selon l’occurrence des espèces dans les quadrats.

Après l’analyse de la diversité végétale pour l’ensemble des quadrats, le transect le plus représentatif du marais abrité par la flèche littorale (transect 3) a été sélectionné pour calculer la diversité végétale et permettre une comparaison entre les marais basée sur un nombre équivalent de quadrats (tabl. II).

Résultats

Description morphosédimentologique des marais

Marais de la baie du Cap Marteau

Le système côtier actuel de la baie du Cap Marteau est composé de quatre sous-ensembles distincts au plan morphosédimentologique : un marais abrité et partiellement abrité, des flèches littorales, une rivière et un large estran à blocs (fig. 2A). Ce dernier a été taillé dans les argiles marines lors d’une importante phase d’érosion et s’étend au pied d’une falaise morte dont le sommet culmine à 30 m d’altitude. Cette surface d’érosion dans les formations meubles est aussi présente ailleurs sur les rives sud et nord du Saint-Laurent et daterait de l’Holocène moyen (Dionne, 1999, 2001b ; Dionne et al., 2004). La côte formait alors une vaste baie ouverte vers l’ouest, mais partiellement fermée aux extrémités par des crêtes rocheuses appalachiennes. C’est dans ce contexte géomorphologique que s’est mise en place la sédimentation fine intertidale et les sédiments sableux littoraux qui caractérisent le système côtier actuel. L’analyse morphosédimentologique du marais abrité par la flèche littorale du Cap Marteau montre de manière générale que le marais s’est développé sur la surface d’érosion qui faisait office d’un long estran argileux à blocs. La formation de flèches littorales successives ancrées au Cap Marteau a favorisé le développement et l’accrétion du marais. Cette sédimentation est récente puisqu’une date de 830 ± 145 ans BP (laboratoire Geochron, type de matériel daté : coquilles ; Morin, 1981) a été obtenue sur la flèche littorale interne (69° 8,0’ O, 48° 9,7’ N) située à environ 4 m d’altitude alors que la flèche littorale actuelle du Cap Marteau a donné un âge moderne (69° 8,1’ O, 48° 9,6’ N ; Laboratoire Ministère des Richesses Naturelles, type de matériel daté : coquilles ; Morin, 1981). Comme le suggère une étude réalisée dans la région de l’Isle-Verte (Garneau, 1998), il y a un important hiatus chronologique entre la sédimentation fine goldthwaitienne et les sédiments qui reposent sur la surface d’érosion.

Figure 2

A

B

Croquis morphosédimentologique des marais du Cap Marteau (A) et de l’Isle-Verte (B).

Morphosedimentological maps of the Cap Marteau tidal marsh (A) and the Isle-Verte tidal marsh (B).

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La rivière Centrale joue un rôle important sur la diversité des substrats du marais. La rivière s’est encaissée dans les argiles marines lors de l’émersion des terres formant ainsi des talus abrupts sur lesquels de nombreuses cicatrices récentes de glissements de terrain sont observées (fig. 2A). L’érosion des berges de la rivière constitue une source de sédiments fins qui peuvent contribuer à l’accrétion verticale du marais. Lors des crues, la rivière transporte également des alluvions grossiers qui s’accumulent en bancs près de l’embouchure et sur les berges proximales du chenal. Les bancs d’alluvions à l’embouchure sont recouverts de sédiments fins intertidaux et présentent des cicatrices d’érosion associées à la migration latérale des chenaux de la rivière. Ces indices de migration latérale indiquent que la dynamique fluviale influence le développement du marais. Le système de drainage du marais est également composé de quelques chenaux de marée et de canaux de drainage pour des fins agricoles. Finalement, il y a quelques mares et marelles sur le schorre supérieur et inférieur du marais. Le marais partiellement abrité par la baie est plutôt étroit. Bordé par une microfalaise, le schorre supérieur montre des signes importants d’érosion. Des lobes transgressifs de sable et de gravier sont présents sur le schorre supérieur.

Marais de l’Isle-Verte

Le marais de l’Isle-Verte s’est aussi développé sur une surface d’érosion sculptée dans l’argile glacio-marine. Toutefois, on retrouve souvent une unité de sable grossier sur l’argile glacio-marine. Quelques blocs épars sont observés à la surface de l’estran. Le marais comprend des schorres supérieur et inférieur bien délimités par une rupture de pente (fig. 2B). Le schorre inférieur est entrecoupé de quelques chenaux de marée. De plus, la présence de nombreux radeaux de schorre sur le schorre inférieur et de nombreuses marelles sur la partie inférieure du schorre supérieur indiquent que le marais est fortement influencé par les processus glaciels.

Altitude et substrat

La figure 3 présente la distribution des altitudes mesurées en lien avec les types de substrat inventoriés dans les quadrats selon chaque milieu. Le marais abrité par une flèche littorale se situe à une altitude variant entre 1,2 et 5,6 m avec une altitude moyenne de 3,7 m (fig. 3A). Quant aux marais partiellement abrités par la baie et par l’île, ils se situent respectivement entre 1,9 et 5,2 m, avec une altitude moyenne de 2,7 m (fig. 3B), et entre 1,7 et 4,7 m, avec une altitude moyenne de 2,6 m (fig. 3C). On note également une variabilité dans la distribution des fréquences d’altitudes pour le marais abrité par une flèche littorale avec un mode entre 3 et 4 m et un creux autour de 3 m d’altitude. Ce creux correspond à la transition entre le chenal et le marais.

Figure 3

A

B

C

Distribution de fréquences (%) des altitudes des quadrats échantillonnés dans le marais abrité par la flèche littorale (A), le marais partiellement abrité par une baie (B) et le marais partiellement abrité par une île (C). Les distributions sont fragmentées selon les types de substrat.

Frequency distribution (%) of the topographical heights for the sampled quadrats within the tidal marsh protected by a spit (A), the tidal marsh partially protected in a bay (B), and the tidal marsh partially protected by an island (C). The frequency distribution are subdivided by the subtract types.

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Les types de substrat inventoriés pour chaque milieu révèlent une grande diversité et plus particulièrement pour les deux marais situés dans la baie du Cap Marteau (fig. 3A-B) puisque tous les types de substrat sont présents. La diversité des substrats est maximale entre 3,5 et 4,5 m pour le marais abrité par la flèche. Selon la fréquence (%) du nombre de quadrats où le substrat est retrouvé, le silt est le substrat dominant dans les trois marais avec respectivement 30 %, 54 % et 76 % des quadrats pour le marais de la flèche, de la baie et de l’île. Toutefois, l’ordre de dominance du substrat pour les autres classes diffère selon les marais (fig. 3).

Il existe une forte relation entre l’altitude et le type de substrat pour le marais de la flèche littorale (fig. 3A) et celui de la baie (fig. 3B) (Kruskal-Wallis, p < 0,05). Associés au marais et à l’estran, le silt, l’argile et la vase se trouvent aux altitudes plus basses. Quant au sable et à la matière organique, ils sont localisés aux altitudes plus élevées. Le sable est associé aux flèches littorales et aux dépôts de tempêtes alors que la matière organique est associée à une plus forte production in situ de débris végétaux sur le schorre. Les substrats de graviers ne sont présents que dans le marais abrité par une flèche littorale à de basses altitudes. Ces positions les plus basses correspondent aux bancs d’alluvions de la rivière Centrale qui traverse le marais. Finalement, le substrat bloc ne se retrouve que dans le marais partiellement abrité par une baie à une altitude moyenne d’environ 2,5 m, soit dans la zone de déferlement des vagues. Les blocs inventoriés se distribuent principalement sur le schorre inférieur et sur le bas estran. Ils reposent sur la surface d’érosion sculptée dans l’argile glacio-marine. L’érosion actuelle par les vagues et les courants lessivent les sédiments fins qui les recouvraient.

Relation entre les caractéristiques géomorphologiques et sédimentologiques et la diversité végétale

Richesse végétale et substrat

Les inventaires végétaux ont permis d’identifier 44 espèces végétales pour les trois milieux (tabl. III). Le marais abrité par la flèche littorale présente la plus grande richesse (42 espèces) comparativement au marais situé près de l’île (17 espèces) et dans la baie (11 espèces). Ils possèdent aussi la plus grande variété de substrats (fig. 4). Les espèces dominantes pour le marais abrité par la flèche littorale représentant plus de 50 % de l’inventaire sont Salicornia europaea (12 %), Plantago maritima (11 %), Spartina alterniflora (10 %), Spergularia canadensis (9 %) et Limonium nashii (8 %). Les marais situés dans la baie et près de l’île sont dominés par une seule espèce, Spartina alterniflora, avec respectivement 73 % et 56 % des espèces inventoriées et présentent aussi une plus faible variété de substrats. Toutefois, la variété de substrats n’explique pas, à elle seule, la richesse végétale puisque le marais abrité par l’île présente une faible variété de substrats tout en ayant un plus grand nombre d’espèces végétales que le marais abrité par une baie (fig. 4).

Tableau III

Fréquences absolues et relatives des espèces végétales observées pour tous les quadrats selon les trois marais étudiés

Fréquences absolues et relatives des espèces végétales observées pour tous les quadrats selon les trois marais étudiés

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Figure 4

A

B

C

Fréquence relative (%) des observations d’une espèce végétale fragmentées selon le type de substrat pour les espèces recensées dans les quadrats du marais abrité par la flèche littorale du Cap Marteau (A), du marais partiellement abrité par une baie (B) et du marais partiellement abrité par une île (C). Les nombres en ( ) indiquent le nombre total de quadrats où l’espèce a été observée.

Relative frequency (%) of an identified floristic specie subdivided by substrate type for the quadrats located within the marsh protected by the spit (A), the marsh partially protected in a bay (B), and the marsh partially protected by an island (C). Numbers in ( ) are indicative of the total number of quadrats where the specie was observed.

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Richesse végétale, altitude et topographie

Les figures 5 et 6 comparent la distribution du nombre d’espèces végétales inventoriées selon l’altitude et la topographie pour les trois marais. Le nombre d’espèces végétales pour le marais abrité par une flèche littorale augmente avec l’altitude et atteint plus de 15 espèces entre 3,5 et 4,5 m d’altitude. Cette tranche altitudinale possède la plus grande variabilité topographique qui correspond aux zones de transition entre le marais et la flèche littorale, entre le chenal de la rivière et le marais, entre les schorres inférieur et supérieur et aussi à une zone de marelles (fig. 6A). On observe par contre une baisse du nombre d’espèces végétales sur la berge active de la rivière Centrale, sur la flèche littorale et sur un cordon de sable à la limite supérieure du schorre (fig. 5 et 6A). Le nombre d’espèces végétales pour le marais partiellement abrité par une baie demeure relativement faible dans le schorre inférieur avec une légère hausse entre 3 et 3,5 m, puis diminue vers 4 m. Ce dernier niveau correspond à la microfalaise en érosion qui se caractérise généralement par une absence de végétation (fig. 6B). Par la suite, le nombre augmente graduellement pour atteindre son maximum sur le schorre supérieur à près de 5,0 m d’altitude (fig. 5). Toutefois, la présence de lobes de sable et de laisses de tempêtes sur la partie supérieure du schorre entraînent localement la baisse du nombre d’espèces (fig. 6B). Ces accumulations provoquent la destruction des plantes de marais au profit de la colonisation d’un nombre restreint de plantes, notamment Ammophilia breviligulata et Elymus arenarius. Quant au marais partiellement abrité par une île, le nombre d’espèces végétales connaît sa plus grande croissance dans le schorre inférieur puis atteint plus de 10 espèces entre 4,0 et 4,5 m d’altitude, soit dans la zone de transition entre le schorre inférieur et le schorre supérieur. Cette zone correspond aussi pour les marais partiellement abrités à une plus grande variabilité topographique et microtopographique ainsi que du nombre d’espèces (fig. 6B-C). Cette variabilité microtopographique pour le marais abrité par une île est entre autres associée à la présence de nombreuses marelles (fig. 2B).

Figure 5

Distribution du nombre d’espèces végétales inventoriées selon l’altitude pour les trois types de marais.

Floristic species observed by topographical heights for the three tidal marshes.

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Figure 6

A

B

C

Inventaires floristiques représentatifs de transects échantillonnés dans le marais abrité par la flèche littorale (A), le marais partiellement abrité par une baie (B) et le marais partiellement abrité par une île (C). Les signes + indiquent la présence de l’espèce végétale dans le quadrat ainsi que la position du quadrat le long du profil topographique.

Representative floristic inventory along transects located in the marsh protected by a spit (A), the marsh partially protected in a bay (B), and the marsh partially protected by an island (C). + signs are indicative of the presence of the specie within a quadrat and of the location of the quadrat along the transect.

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Diversité végétale et altitude

L’indice de Shannon augmente avec l’altitude pour les trois marais pour atteindre une valeur maximale entre 4,5 et 5 m au niveau du schorre supérieur (fig. 7). Il diminue ensuite dans la partie supérieure du schorre supérieur pour le marais abrité par la flèche. Le marais abrité par la flèche littorale possède les valeurs les plus élevées des trois marais, viennent ensuite le marais partiellement abrité par une île et le marais situé dans une baie. Ces différences de l’indice de Shannon selon les trois marais reflètent la variabilité du degré de stress que subissent les espèces végétales dans leur marais respectifs. Cette variabilité provient des différences dans les altitudes et dans la topographie entre les marais (fig. 3 et 6). Elles influencent la durée et la fréquence d’inondation, mais également le degré d’exposition aux processus marins. L’indice de Shannon élevé pour le marais abrité par une flèche littorale s’explique par la plus grande diversité topographique et sédimentologique entre 3,5 et 4,5 m d’altitude (fig. 3A et 6A). La différence de l’indice entre les deux marais partiellement abrités semble s’expliquer par des processus d’érosion par les vagues plus intenses pour le marais dans la baie, où l’on enregistre de faibles valeurs associées à la microfalaise en érosion (4 m) et à des zones de surcreusement sur le schorre inférieur (3 m). Par contre, les nombreuses marelles à l’Îsle-Verte augmentent la microtopographie qui semble favoriser la diversité végétale.

Figure 7

Distribution des valeurs de l’indice de Shannon selon l’altitude pour les trois types de marais.

Vertical distribution of Shannon indices for the three types of tidal marsh.

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Discussion

Les résultats de cette étude peuvent être schématisés selon deux profils longitudinaux typiques des marais abrités par une flèche littorale et des marais partiellement abrités (fig. 8). Ces schémas soulignent de manière générale l’augmentation de la diversité végétale selon un gradient altitudinal allant vers les terres. Comme l’ont montré plusieurs études, cette succession végétale est déterminée par la fréquence et la durée d’inondation (Couillard et Grondin, 1986 ; Adam, 1990). Une étude réalisée sur différents marais dans le lagon de Venise révèle aussi que l’indice de Shannon variant entre 0,5 et 1,6 augmente en fonction de l’altitude (Silvestri et al., 2005). Notre analyse quantitative de la diversité végétale montre toutefois qu’il existe une variabilité spatiale à l’intérieur d’un même marais et entre les types de marais et qu’il n’y a pas nécessairement une croissance graduelle de la diversité végétale selon un gradient altitudinal. En effet, l’allure en dents de scie des droites de l’indice de Shannon (fig. 7) est le résultat d’une forte influence de la morphosédimentologie et de la topographie du milieu ainsi que des processus hydrodynamiques et glaciels sur l’organisation spatiale de la diversité végétale. Ces facteurs n’influencent donc pas seulement le patron de colonisation de la végétation, mais aussi la diversité végétale.

Figure 8

A

B

Profils longitudinaux schématiques d’un marais abrité par une flèche littorale (A) et du marais partiellement abrité par une baie ou par une île (B).

Schematic longitudinal profiles for a marsh protected by a spit (A) and for a marsh partially protected in a bay or by an island (B).

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Les valeurs nettement plus élevées pour l’indice de Shannon et pour la richesse végétale du marais abrité par la flèche littorale comparativement aux marais partiellement abrités résultent de sa plus grande variabilité topographique et de ses plus nombreuses transitions morphosédimentologiques (fig. 3, 4, 5 et 7). Cette diversité morphosédimentologique origine d’une succession de flèches littorales séparées par des dépressions comblées par la végétation halophyte. La construction de flèches littorales dans la partie supérieure de la zone intertidale par la dérive littorale a favorisé la diversification des substrats et a permis ensuite aux marais de se développer dans un environnement moins exposé aux processus marins, diminuant ainsi le degré de stress des espèces végétales. La plus grande sédimentation dans ce marais se reflète par des niveaux altitudinaux plus élevés (fig. 3 et 6), ce qui diminue la fréquence et la durée d’inondation. Les apports de la rivière et les modifications locales de la salinité peuvent aussi favoriser la diversité végétale des marais (Adam, 2002). Toutefois, la migration latérale des chenaux de la rivière peut aussi engendrer l’érosion et la diminution de la superficie du marais lors des fortes crues. Les variations microtopographiques sont liées principalement à la présence de mares et de marelles, de chenaux, d’une microfalaise et de lobes de tempêtes, mais également par la présence de blocs épars et de radeaux de schorre présents plus particulièrement dans les marais partiellement abrités. L’origine de la topographie observée est issue des processus d’érosion et de sédimentation par les vagues, les glaces et les courants de marée qui affectent le tapis végétal des marais (Gauthier et Goudreau, 1983 ; Dionne 1986). L’érosion latérale de la microfalaise du schorre supérieur et la formation répétitive de lobes transgressifs de sable et de gravier et de laisses de tempêtes expliquent la diminution de la diversité végétale du marais partiellement abrité par une baie. La tendance à l’érosion des schorres de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, qu’ils soient partiellement abrités par des îles ou situés dans le fond d’une baie (Dionne, 1986, 2000, 2001a ; Bernatchez et Dubois, 2004), aura pour effet, selon notre étude, de diminuer la diversité végétale puisque celle-ci est maximale sur le schorre supérieur. Par contre, la formation de marelles et la déposition des radeaux de schorre sur l’estran favorisent la diversité végétale. En effet, l’arrachement par les glaces du dépôt de schorre met parfois à découvert de nouveaux faciès sédimentaires, ce qui augmente non seulement la diversité des substrats mais aussi la variabilité microtopographique. Ceci permet à d’autres plantes ou à des algues de coloniser le fond des marelles. Ce processus explique la diversité végétale du marais abrité par une île comme le souligne le nombre élevé d’espèces et l’indice de Shannon dans la zone de transition des schorres inférieur et supérieur (fig. 5, 6C et 7). Cette grande diversité floristique avait été signalée dans cette zone où l’on observe de nombreuses marelles à l’Isle-Verte (Gauthier et Goudreau, 1983). Ces derniers évoquaient que cette diversité témoignait de la pérennité et de l’ancienneté des mares. La stratigraphie quaternaire peut donc jouer un rôle important dans l’évolution de la diversité végétale du marais. Ainsi, contrairement à ce qui est généralement véhiculé, l’existence de plusieurs processus géomorphologiques et sédimentaires dans la zone de transition entre les schorres inférieur et supérieur favorise la diversité végétale dans les marais étudiés. Ce constat est valable jusqu’à un point d’équilibre au-delà duquel la prédominance de l’érosion sur la sédimentation fine entraîne la diminution de la superficie des marais jusqu’à leur éventuelle disparition.

Pour terminer, l’examen détaillé de l’écogéomorphologie des marais indique que la diversité végétale des marais actuels est non seulement influencée par le gradient de la fréquence et de la durée d’inondation, mais aussi directement par les processus hydrodynamiques qui contrôlent la morphosédimentologie et la topographie des côtes (Davidson-Arnott et al., 2002). De plus, la morphosédimentologie quaternaire, qui détermine les sources et la nature des sédiments, influence le régime sédimentaire actuel des systèmes côtiers qui à son tour influence la géomorphologie et le gradient d’inondation des marais (fig. 9). Le déficit sédimentaire grandissant des systèmes côtiers aura pour effet de diminuer la diversité végétale des marais. Enfin, même si la densité et la forme du tapis végétal peuvent contribuer au bilan sédimentaire par l’accroissement vertical des marais en favorisant la sédimentation et la production de matière organique et par la consolidation des dépôts (Drapeau, 1992 ; Nyman et al., 1993 ; Leonard et Reed, 2002 ; Fagherazzi et al., 2004), ce sont surtout les nombreux processus hydrodynamiques en interactions qui conditionnent la variabilité de la diversité végétale entre les marais évoluant sous les mêmes conditions marégraphiques et de salinité. Ainsi, les modifications du couvert de glaces littorales, du climat des vagues et des niveaux d’eau (Bernatchez et Dubois, 2004 ; Xu et al., 2006) auront des conséquences sur la diversité végétale des marais maritimes du Saint-Laurent.

Figure 9

Schéma conceptuel sur les interactions complexes entre la végétation et la géomorphologie des marais maritimes.

Diagram illustrating the complex interactions between vegetation and geomorphology in tidal marshes.

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Conclusion

L’analyse des trois marais maritimes indique que la diversité végétale, exprimée par l’indice de Shannon et le nombre d’espèces, atteint une valeur maximale sur le schorre supérieur. La diversité végétale des marais est fortement influencée par les processus hydrodynamiques et glaciels qui conditionnent la morphosédimentologie et la topographie du milieu. La nature et la diversité des substrats qui découlent de l’histoire quaternaire influencent aussi la diversité végétale. Ces facteurs abiotiques peuvent déterminer la variabilité spatiale de la diversité végétale à l’intérieur d’un marais et entre les marais. L’analyse comparative des marais indique que le marais abrité par la flèche littorale possède une plus grande diversité végétale que les marais partiellement abrités par une île et par une baie. Cette plus grande diversité végétale s’explique par un degré d’exposition moins élevé aux processus marins qui favorise un bilan sédimentaire positif entraînant la diminution de la fréquence et de la durée d’inondation, mais aussi par une plus grande variété géomorphologique et de substrats au sein de ce système côtier. La richesse végétale et l’indice de Shannon peuvent donc constituer un bon indicateur de l’état d’équilibre hydrosédimentaire des marais. Dans le contexte d’une tendance au déficit sédimentaire et à l’érosion des schorres, il est donc possible d’anticiper une diminution de la diversité végétale des marais maritimes du Saint-Laurent.