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En 1996, Hélène Pelletier-Baillargeon terminait le premier tome de sa biographie d’Olivar Asselin sur une note surprenante : Olivar Asselin annonce son enrôlement dans l’armée canadienne. Les raisons qui poussent Asselin à s’engager sont presque de nature mystique. C’est par amour pour la France que le fougueux journaliste décide de se joindre aux forces alliées. « N’est-il pas entré dans l’armée comme on entre en religion, en faisant d’avance le sacrifice de sa vie pour la libération de la France ? » (p. 13) Cette conviction profonde d’oeuvrer non pas pour la Grande-Bretagne, mais pour la libération de la France alimentera les réflexions et les motivations de ce farouche partisan de l’indépendance du Canada.

Nous retrouvons donc le major Asselin en janvier 1916 dans une caserne montréalaise occupé à recruter des hommes de qualité pour le 163e bataillon, afin de démontrer au Canada anglais que les francophones aussi peuvent bien servir leur patrie et faire preuve de courage.

Le deuxième chapitre nous transporte aux Bermudes où le 163e bataillon doit prendre la relève de la garnison. C’est à la base militaire des Bermudes que la bataillon francophone poursuit son entraînement sous le regard critique du gouverneur de l’île. Dans les chapitres 3 et 4, Olivar Asselin, nouvellement installé avec ses troupes en Angleterre, est à la fois anxieux d’en découdre avec les Allemands et de connaître le sort réservé à son bataillon. En effet, les Britanniques, jugeant les bataillons canadiens mal préparés au combat, décident d’en démembrer plusieurs et de les intégrer à d’autres unités. En janvier 1917, le 163e bataillon est absorbé par un nouveau bataillon de réserve. Asselin accepte mal ce sort de réserviste et il entame les démarches afin d’être permuté au 22e bataillon, une unité canadienne-française qui a déjà fait ses preuves au front. Il obtient alors une recommandation pour parfaire sa formation militaire dans une école impériale d’officiers, augmentant ainsi ses chances de pouvoir se joindre au 22e bataillon.

Les chapitres 5 et 6 nous mènent au front. Asselin a finalement reçu sa permutation et il rejoint sa nouvelle unité. En cet hiver 1917, le bataillon installé dans le secteur de Vimy se prépare à une importante offensive. Le chapitre 6, « Vimy et Acheville », nous offre un récit militaire mené avec une grande habileté. Le rôle joué par les bataillons canadiens pendant cette déterminante offensive alliée y est nettement mis en valeur. On y retrouve aussi un Olivar Asselin déçu d’être tout d’abord assigné à un poste de réserve et d’être ainsi « écarté de l’action directe ». Il connaît toutefois son baptême du feu et s’en sort indemne. La fièvre des tranchées a cependant raison de sa santé et il doit quitter le front.

Pendant qu’Asselin ronge son frein dans un camp de convalescence, le Canada vit des heures difficiles liées au controversé projet de loi sur la conscription. Le chapitre 7 est principalement consacré à cet épisode alors qu’Asselin est mandaté comme conférencier en France afin de mettre en valeur la participation du Canada à la guerre. Il profite de cette tribune pour réaffirmer « le devoir filial qui incombe au Canada français de se porter au secours de la mère patrie » (p. 170), tout en exposant les raisons qui expliquent les réticences des Canadiens français à s’enrôler.

Les derniers mois de la guerre, où l’arrivée des troupes américaines aux côtés des alliés et la nomination du maréchal Foch comme commandant suprême des forces alliées en France sont des tournants, font l’objet des trois chapitres suivants. La crise de la conscription continue à faire des vagues au Canada et des élections fédérales deviennent l’occasion pour les militaires de s’exprimer sur la question. Les militaires canadiens-français, et Asselin, votent massivement pour Laurier et se prononcent ainsi contre la conscription. « L’idée de la contrainte répugne généralement à ces hommes qui tirent une fierté bien légitime de leur enrôlement volontaire. » (p. 182)

L’armistice est signée le 11 novembre 1918 sans qu’Asselin soit revenu au front. Il est partagé entre sa joie de voir enfin la France libérée et sa déception de ne pas avoir pu réintégrer la ligne de feu. Malgré ses déclarations concernant la conscription, il est nommé conseiller du délégué du Canada lors de la conférence de Versailles, conférence qui fait l’objet du dernier chapitre.

Asselin ne se berce pas d’illusions. Son rôle est secondaire, mais il devient tout de même un témoin privilégié des discussions qui vont mener à la signature du traité de Versailles. Il quitte finalement l’Europe en juin 1919. « Il n’a pas “versé une seule goutte de son sang pour la France” comme il disait autrefois “brûler” de le faire. » (p. 261) Son retour à la vie civile l’inquiète de même que ses retrouvailles avec son épouse Alice avec laquelle il entretient une relation ambiguë mêlée de remords et de promesses.

Nous le savions déjà, Hélène Pelletier-Baillargeon est une excellente auteure. Elle nous le prouve une fois de plus avec ce récit mené de main de maître. Encore une fois, elle utilise de manière très judicieuse la volumineuse correspondance privée d’Asselin. Ce dernier ne s’adresse pas de la même manière à son épouse, à ses fils ou à ses amis et madame Pelletier-Baillargeon interprète ces nuances avec soin pour nous présenter ce personnage on ne peut plus complexe. Asselin est un homme tourmenté dont les actions sont guidées par des motifs qui peuvent parfois nous échapper. L’auteure n’hésite pas à souligner ces tensions et avoue cependant être incapable de cerner la nature du différend qui semble opposer Asselin et son épouse Alice, mais sans aucun doute cette tension est importante puisqu’elle alimente abondamment leurs échanges. Le troisième tome nous en apprendra peut-être davantage.

Le tracé suivi par Asselin durant cette guerre devient aussi l’occasion d’offrir aux lecteurs quelques pages d’excellente histoire militaire. Sous la plume d’Hélène Pelletier-Baillargeon, la guerre n’est pas qu’une succession de batailles gagnées ou perdues, elle est aussi une expérience pénible où le courage et la hardiesse côtoient la souffrance et la peur. On comprend mieux le rôle joué par le Canada durant ce conflit, mais aussi le mépris dont les volontaires canadiens-français ont trop souvent fait l’objet de la part des élites militaires canadiennes. De plus, l’auteur met bien en lumière les difficultés éprouvées par l’armée canadienne dans ses relations avec l’état-major britannique.

Même si les lecteurs peuvent demeurer perplexes face aux raisons qui poussent Olivar Asselin non seulement à s’engager, mais à vouloir « expier des fautes » par cet engagement, il n’en demeure pas moins que la lecture de ce livre n’est jamais ennuyante. Ce court épisode de la vie du journaliste méritait-il un tel traitement ? Si nous en doutions avant notre lecture, la richesse du propos d’Hélène Pelletier-Baillargeon, autant sur le cheminement personnel d’Asselin que sur la nature de la participation du Canada à la guerre, nous a convaincue du contraire.