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Le Chantier des histoires régionales de l’Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), lequel a été intégré à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) en 1994, a débuté en 1980 sous la gouverne de Fernand Harvey. Depuis octobre 1991, j’en assume la direction. Il s’agit d’un ambitieux projet dont le premier objectif est la publication d’une synthèse historique de chacune des régions du Québec. Il visait dès le début à doter la collectivité québécoise de travaux qui fassent connaître les particularités des milieux régionaux et qui permettent de nuancer les hypothèses et les conclusions des ouvrages généraux sur l’histoire sociale, économique et culturelle du Québec. Ces synthèses, tout en répondant aux normes de rigueur scientifique, se veulent accessibles au grand public.

Le Chantier des histoires régionales est toujours en cours de réalisation, ce qui en fait certes l’un des plus anciens projets de recherche en activité dans le domaine des sciences sociales au Québec. Depuis 1981, seize synthèses ont été publiées dans la collection « Les régions du Québec » (Éditions de l’IQRC/Presses de l’Université Laval)[1]. Les travaux se poursuivent pour les huit dernières régions : Mauricie, Centre-du-Québec, Québec, Lanaudière, Montréal, Laval, Baie-James, Nunavik. La télésérie Les Pays du Québec (1989-1994)[2], la publication de brèves histoires sur les régions depuis 1999[3] et l’ouverture du site Encyclobec[4] en 2003 élargissent l’éventail de diffusion à l’intention du grand public.

Présentons maintenant diverses observations concernant ce vaste Chantier qui dure depuis plus de vingt ans en regard de la problématique de la Public History. Où se situe ce Chantier dans le cadre de l’émergence et du développement de l’histoire publique  ? Quelles sont les relations qu’il entretient avec les milieux régionaux  ? Répond-il à la fois aux attentes des historiens du milieu universitaire et à celles du public  ?

Dans les années 1970, des changements dans la pratique de l’histoire sont perceptibles. Des spécialistes en histoire commencent à produire en dehors de l’institution universitaire des ouvrages destinés au grand public. Des travaux sur des établissements d’enseignement et de santé sont, entre autres, confiés à des historiens professionnels. Ces derniers font aussi dès cette époque sentir leur présence dans d’autres créneaux jusque-là souvent dominés par des historiens amateurs. L’on pense ici aux revues d’histoire régionale de diverses sociétés d’histoire. La présence d’historiens en région, certes favorisée par le réseau des constituantes régionales de l’Université du Québec, avait créé un contexte favorable à ce changement.

Si le Chantier des histoires régionales est clairement identifié à l’ex-IQRC, il n’en trouve pas moins son origine dans l’intention de la Société historique de la Gaspésie de doter sa région d’une synthèse historique. Le projet d’une histoire de la Gaspésie est finalement le projet de Gaspésiens, le projet de gens du milieu qui ont confié à des historiens de métier le soin de donner à la région une véritable première synthèse[5]. Ce milieu veut alors davantage que les modestes histoires locales rappelant la vie des ancêtres et éveillant l’attachement au passé ; il veut une histoire qui permette de mieux comprendre la région actuelle et de s’identifier à celle-ci. Il se rapproche d’une réflexion de Mgr Albert Tessier qui, en 1929, tout en soulignant l’importance d’encourager la production de biographies et de monographies de paroisse par les « amateurs que groupe la Société d’Histoire régionale » trifluvienne, écrivait que les indispensables synthèses à venir sur sa région seraient l’oeuvre de « maîtres » en histoire[6].

La finalisation de ce projet sous la direction de l’IQRC mènera à la création du Chantier des histoires régionales. Ainsi naît un chantier dont les principaux paramètres de fonctionnement trouvent leurs origines dans le projet d’une publication destinée à la fois aux chercheurs et au grand public, produite par une équipe de chercheurs professionnels sous la direction de Marc Laterreur, un historien originaire de la Gaspésie et professeur à l’Université Laval. Le succès de librairie de cet ouvrage laisse par ailleurs croire qu’il répondait aux attentes d’un large public en quête d’un savoir sur une région et son histoire. Aborder l’histoire sous l’angle de la région, de la synthèse et du transfert des connaissances, en partenariat scientifique et financier avec le milieu, voilà ce qui allait caractériser le Chantier des histoires régionales.

Au début des années 1980, le Chantier des histoires régionales ne fait pas explicitement référence à la notion américaine de Public History, même si le projet véhiculait des préoccupations analogues en ce qui concerne la participation humaine et financière du milieu régional et l’accessibilité à un vaste public au-delà des seuls spécialistes. Ce Chantier, note Marc Riopel[7] dans une réflexion récente sur l’histoire appliquée, se rapprochait dès lors de la Public History en vogue aux États-Unis, où des historiens et universitaires publiaient à l’intention du grand public. Il est par ailleurs instructif de compiler les principaux objectifs que les équipes de chercheurs ont fixés à leurs travaux. En bref, ils souhaitent produire une synthèse utile aux chercheurs, aux décideurs, aux enseignants, tout en voulant être accessible au public désireux de mieux connaître une ou les régions qui composent le Québec. Il s’agissait donc de rendre disponibles des matériaux pour de multiples usages[8].

L’absence de statut universitaire de l’IQRC et sa particularité de ne pas être identifié à un centre de recherche établi dans une ville ou dans une région spécifique[9] ont probablement facilité le développement de partenariats avec les diverses régions du Québec. Plutôt que de miser seulement sur des chercheurs et sur des organisations particulières pour la réalisation d’un projet, le Chantier des histoires régionales a privilégié la formule d’un partenariat où sont représentés les milieux sociaux, économiques, culturels et politiques d’une région.

Des liens étroits ont alors été tissés autour d’un projet rassembleur avec la mise en place de comités nommés Comité d’honneur et Comité de financement. Ces deux comités, qui ont servi d’interlocuteurs au Chantier des histoires régionales dans les régions et qui ont donné à chaque projet une légitimité, regroupent diverses instances du milieu : administrateurs d’institutions financières, délégués des universités et des cégeps, dirigeants d’institutions religieuses, gens du milieu des affaires, intervenants dans les milieux culturels, préfets de municipalités régionales de comté et autres. Certains membres proviennent du milieu privé, d’autres du milieu public, y compris des élus de la population. Leurs rôles, outre de donner leur aval à un projet d’histoire régionale, peuvent être en bref ainsi définis : le Comité d’honneur a comme mandat de parrainer le projet de synthèse dans son milieu, tandis que le Comité de financement prend à sa charge la collecte des fonds nécessaires à la réalisation d’un projet.

Cet engagement des instances régionales reflète certes la préoccupation d’un institut de recherche à collaborer avec les principaux décideurs des régions. Rappelons que le Chantier des histoires régionales naît à une époque où différents intervenants de la société québécoise commencent à s’intéresser davantage aux réalités sociales et culturelles propres à chacune des régions. Les limites des plans de croissance économique des années 1960 ont laissé parfois un goût amer. Se développe un besoin de mieux connaître les régions et leur histoire, de saisir leur dynamisme, leurs particularités et leur évolution, cette tendance étant peut-être aussi favorisée par la perte de sens d’anciennes références territoriales, comme le diocèse, et l’apparition de nouvelles références, comme la région administrative. Bref, on s’intéresse à l’espace vécu dans ses dimensions démographiques, sociales, économiques et culturelles. Les attentes et les besoins des régionaux quant à la signification des espaces régionaux évoluent alors rapidement et les études historiques trouvent une utilité nouvelle. Comme d’autres spécialistes, les professionnels de l’histoire étaient maintenant conviés sur la place publique.

C’est peut-être à cette fonction utilitaire de l’histoire que les principaux partenaires régionaux sont les plus sensibles, les résultats des travaux menés pouvant être utiles à la défense de dossiers spécifiques. Ils se sont montrés, en particulier, préoccupés lorsque les limites des espaces régionaux étaient discutées, ce qui indique également que la région ne relève pas seulement d’une construction des chercheurs, mais tout autant de la perception que les habitants s’en font. Il est même possible d’y observer différents effets du démantèlement et de la restructuration des espaces régionaux depuis les années 1960. Régions admi-nistratives, municipalités régionales de comté, conseils régionaux de développement contribuent à remodeler les espaces régionaux, sans compter l’héritage plus ou moins gommé des diocèses catholiques. Ces structures récentes appartiennent de plus en plus au vécu des habitants d’un territoire et font sentir peu à peu leur influence sur le découpage des espaces régionaux. Selon leurs préoccupations et selon la conception que chacun se fait de l’histoire, les intervenants régionaux s’identifient plus ou moins à ces nouveaux espaces. Ajoutons que le sentiment d’ap-partenance régionale est fort variable suivant les caractéristiques admi-nistratives, géographiques, socio-économiques et culturelles des régions et que la synthèse d’histoire régionale peut apparaître comme un outil pour forger cette appartenance à la région et en affirmer l’existence, sans pour autant faire l’unanimité.

Aux membres des comités qui s’inquiètent de la nature d’une syn-thèse d’histoire, il faut en expliquer la signification. À ce sujet, il est intéressant de noter qu’au cours des années de démarrage du chantier, son directeur éprouvait souvent des difficultés à faire comprendre aux historiens locaux, aux amateurs d’histoire et autres intervenants qu’une synthèse d’histoire régionale n’était pas la somme d’histoires locales juxtaposées, mais bien une échelle plus large d’observation et d’analyse, à savoir le cadre régional. De tels exemples de synthèses régionales réalisées par des historiens professionnels ou universitaires étaient à peu près inexistants au Québec avant les années 1980, ce qui ajoutait à la diffi-culté. Les choses ont certes changé, mais le genre d’ouvrage que constitue la synthèse exige toujours une mise au point.

Il faut aussi expliquer aux intervenants du milieu comment une synthèse d’histoire régionale peut permettre à l’individu et à sa collectivité de se situer par rapport à des ensembles plus grands, comme l’État, et à des enjeux particuliers, comme le pouvoir politique, la mondialisation de l’économie, en somme, par rapport aux visions du monde qui transforment tous les milieux humains, y compris les espaces régionaux. Si les véritables synthèses, plus analytiques que descriptives, devaient être l’oeuvre de « maîtres », il n’en demeure pas moins qu’elles continuent de répondre à un besoin de mémoire, de savoir, de comprendre.

Les discussions avec les partenaires régionaux révèlent des préoccupations qui peuvent être reliées à des enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels. Elles sont indicatrices de l’intérêt de l’histoire et de la portée de la synthèse d’histoire, indépendamment du contenu. Elles sont en plus révélatrices de l’importance de conserver une distance entre les équipes de chercheurs et les partenaires régionaux.

D’où les questions cruciales : qui écrit la synthèse d’histoire régionale et qu’entend-on par partenariat scientifique  ? Ces questions nous amènent d’abord à traiter de la constitution des équipes de recherche. C’est un processus qui implique assez peu les intervenants de la région, même s’il faut tenir compte des inquiétudes manifestées par le milieu à propos des aptitudes professionnelles, de la disponibilité et des intérêts fort différents des chercheurs face au projet proposé, sans oublier les situations conflictuelles personnelles. Il revient surtout au Chantier des histoires régionales de former les équipes de recherche, recrutant des chercheurs qui, souvent, exercent dans la région d’étude et pratiquent dans les conditions les plus variées. Chercheurs de diverses disciplines — et non seulement des historiens — des milieux universitaires, enseignants dans les cégeps, certains professionnels à l’emploi des sociétés d’histoire et d’autres faisant carrière comme travailleur autonome composent en effet les équipes que dirige, dans la plupart des cas, un chercheur établi en milieu universitaire.

Le choix des chercheurs n’est par ailleurs qu’un aspect de l’organisation scientifique d’un projet et de la mise en place d’un partenariat. Ainsi, la participation de certains chercheurs à un projet peut nécessiter la négociation d’ententes formelles avec les universités, collèges et autres centres de recherche établis en région afin d’obtenir l’accord des établissements auxquels sont rattachés les chercheurs et afin d’établir les coûts financiers de leur collaboration.

Le Chantier des histoires régionales tient également compte de la présence d’autres intervenants régionaux comme partenaires scientifiques. Il invite spécialement les sociétés d’histoire à collaborer et à soutenir la réalisation des projets. Ces sociétés d’histoire, en contact beaucoup plus intime avec le grand public que ne pouvaient l’être, par exemple, les institutions universitaires, ont appuyé les différents projets, exprimant parfois le regret que la tâche ne leur soit pas confiée et craignant en outre que les travaux menés par des équipes scientifiques ne laissent plus beaucoup de place aux historiens amateurs. La collaboration des sociétés d’histoire et autres organisations semblables a été essentielle au bon fonctionnement et même à la réalisation des projets dont elles n’étaient pas les maîtres d’oeuvre, rendant accessibles des fonds de documents et des fonds iconographiques patiemment constitués au fil des ans.

Suit la délicate question de l’autonomie des équipes de recherche. Il est rapidement établi avec les différents intervenants que le contenu de l’ouvrage ne s’écrirait pas autour d’une table de concertation, les historiens des institutions universitaires n’étant, en plus, guère réceptifs à l’idée de négocier leur liberté de chercheurs. Aucun des deux comités mis en place pour la réalisation des projets n’était, par ailleurs, constitué avec l’intention d’en faire des comités de lecture. Soulignons néanmoins que des membres de comités régionaux ont parfois commenté en profondeur les chapitres de certaines synthèses. Ce fut notamment le cas de la synthèse d’histoire de la Côte-du-Sud, un projet dont les rédacteurs exerçaient, pour la majorité, à l’extérieur du milieu universitaire.

Par contre, si les équipes de chercheurs conservent jalousement leurs prérogatives sur les orientations de leur recherche et les interprétations de leurs données, cela ne veut pas dire qu’elles se sont isolées totalement des gens du milieu. Nombre d’équipes de recherche ont été en effet sensibles à des échanges avec des organismes régionaux et même avec des chercheurs amateurs dont les connaissances historiques sur les personnages, les municipalités et les institutions pouvaient être utiles. Dans certains projets, la participation du milieu a été aussi sollicitée sous d’autres formes, les chercheurs travaillant avec des intervenants afin de mieux connaître leurs attentes et d’échanger sur la perception de leur région et de son avenir.

Le Chantier des histoires régionales a donc opté pour un mode de fonctionnement où des instances de la région étaient représentées, mais où ses directeurs ont défendu le principe de non-ingérence dans la rédaction de la synthèse. Ce principe de non-ingérence a été également défendu face aux partenaires qui contribuaient financièrement à la réalisation des projets, repoussant la tentation pour les souscripteurs aux campagnes de financement de demander aux équipes de chercheurs des comptes sur le contenu. Par contre, la participation d’un nombre important de chercheurs provenant ou résidant dans les régions a eu pour effet de créer un rapport privilégié entre les comités régionaux et les équipes de recherche et de rendre plus acceptable la non-intervention dans la rédaction. S’il était impossible pour les équipes de chercheurs de prévoir les diverses utilisations de leurs travaux, elles en maîtrisaient à tout le moins le contenu.

Une fois convenu que le plan de l’ouvrage et l’écriture relèvent de l’équipe de chercheurs, une certaine inquiétude plane sur le niveau de langage utilisé et la facilité de lecture des textes.

Pour les chercheurs universitaires qui participent à la réalisation d’une synthèse d’histoire régionale et qui tentent de concilier les exigences scientifiques de leurs pairs et la production d’un ouvrage accessible au grand public, le défi reste considérable. Pour y parvenir, les chercheurs ont conservé certaines composantes des travaux scientifiques pendant que d’autres ont été délaissées, comme les chapitres relevant de la méthodologie. Cela aura d’ailleurs valu quelques mauvaises notes dans les comptes rendus parus dans des revues scientifiques, les synthèses étant traitées comme des ouvrages produits pour des universitaires sans égard au fait qu’elles étaient également destinées au grand public.

D’autres compromis sont bientôt apparus inévitables, le vocabulaire des spécialistes, les tableaux trop longs et d’une trop grande complexité, l’intégration de cartes et autres documents peu utiles à la majorité des lecteurs ne trouvant guère leur place dans des ouvrages destinés au grand public. Le chercheur doit donc mettre au rancart diverses habiletés purement académiques s’il veut communiquer adéquatement son savoir. Il doit par contre en acquérir d’autres. L’utilisation de documents iconographiques, comme complément au texte, est un exemple de cette adaptation, tout en n’ayant rien à voir avec les livres d’illustration.

La synthèse peut bien être l’affaire de « maîtres » en histoire, mais ceux-ci ne sont pas nécessairement des spécialistes de la communication et le transfert des connaissances ne constitue pas toujours une de leurs priorités. C’est peut-être même à ce chapitre que se situe le principal écart entre les ouvrages à l’intention des universitaires et ceux destinés au grand public. L’objectif de communication n’est tout simplement pas le même. En dépit de cette préoccupation en matière de transfert du savoir que l’on remarque en particulier dans les années 1990 chez les historiens en général, la diffusion d’ouvrages scientifiques à l’intention du grand public reste un objectif difficile à atteindre, un constat qui vaut d’ailleurs pour les synthèses d’histoire régionale.

Aussi, les directeurs du Chantier des histoires régionales ont-ils compris, vers la fin des années 1980 et le début des années 1990, que la diffusion des connaissances pouvait aller bien au-delà de la publication de synthèses. Ils croyaient en la possibilité d’atteindre un plus vaste public en développant divers « produits », tel la série télévisée Les pays du Québec, la collection « Les régions du Québec — histoire en bref » et le site Internet Encyclobec. Le projet Encyclobec vise en outre l’exploitation de l’énorme potentiel offert par les nouvelles technologies en matière de transfert de connaissances vers le grand public et vers la communauté scientifique. La structuration de son contenu reflète une préoccupation de diffusion adaptée à différentes catégories d’utilisateurs, tout en laissant la possibilité au grand public d’accéder à des sections du site qui s’adressent davantage à des professionnels de la recherche.

L’apport du Chantier des histoires régionales aux milieux régionaux s’étend par ailleurs au-delà de la seule production d’une synthèse historique et autres produits dérivés. Un bon nombre de projets ont donné lieu à la publication d’une bibliographie régionale. De plus, la collaboration avec le Chantier des histoires régionales aura été pour le milieu l’occasion d’un enrichissement sur le plan de la constitution des archives et du regroupement du matériel de recherche. Des dossiers de recherche ont été cédés à des partenaires régionaux, parmi lesquels les sociétés d’histoire et les centres des archives nationales en région. Ces cessions de fonds rendent disponible du matériel utile à d’autres recherches. Depuis le milieu des années 1990, l’utilisation plus intensive de l’informatique a permis la constitution de dossiers dont la diffusion par le biais d’Internet facilitera l’accès aux historiens amateurs et professionnels. C’est là une autre contribution d’historiens de formation universitaire à la démocratisation du savoir.

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Où se situe le Chantier des histoires régionales dans la sphère de l’his-toire publique  ? C’est, d’une part, un Chantier qui réalise ses projets en partenariat avec le milieu, ce qui a contribué à son succès. C’est, d’autre part, un Chantier dont les chercheurs exploitent les méthodes de l’histoire dite scientifique et dont la production est à la fois destinée aux spécialistes de l’histoire et au grand public. Le compromis entre les deux publics n’aura pas été sans désavantages. Les premiers reprochent certains silences par rapport à l’histoire universitaire, par exemple en ce qui a trait au peu de place accordée à la critique des sources et à la méthodologie. Les autres considèrent la lecture parfois trop difficile, ce qui met bien en évidence le défi d’écriture que pose la Public History pour l’historien professionnel. En fait, le souci de communiquer des résultats de recherches scientifiques dans un langage accessible au grand public n’est pas l’équivalent d’une simple vulgarisation scientifique. Les synthèses d’histoire régionale sont plutôt des ouvrages dont la forme de communication se situe entre celle qui est propre à l’exposé savant des connaissances scientifiques et celle qu’exige le grand souci d’accessibilité de l’ouvrage de vulgarisation.

Il est toutefois illusoire de croire que les synthèses d’histoire régionale puissent attirer les divers publics qui composent un large auditoire. Pour cette raison, dans le cadre des travaux du Chantier des histoires régionales, la volonté de diffusion de la recherche et de transfert des connais-sances à l’intention du grand public a pris des formes multiples avec le développement de produits dérivés des travaux réalisés sur les régions du Québec. Plutôt que de viser de multiples objectifs comme c’est le cas pour les synthèses d’histoire régionale, ces produits dérivés, en élargissant le faisceau de diffusion, témoignent d’une préoccupation de transfert des connaissances qui répondent plus spécifiquement au simple goût de connaître ou au plaisir de découvrir du lecteur, du téléspectateur et de l’internaute. Ces nouvelles activités de diffusion élargissent du même coup l’utilisation des connaissances historiques pour diverses fins, entre autres pour répondre aux besoins du tourisme culturel.

Enfin, le vécu du Chantier des histoires régionales montre l’existence de préoccupations très diverses envers l’histoire, allant d’un besoin culturel à celui de la promotion de causes pour des fins de revendication. Puisqu’il en est ainsi, mieux vaut éviter autant que possible les faussetés et les demi-vérités, ce qui est déjà suffisant pour inciter le chercheur universitaire à participer aux débats et à mettre les choses en perspective.