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L’auteur, qui enseigne depuis plusieurs années l’histoire militaire au Collège militaire Royal de Kingston, nous présente dans cet ouvrage vingt-deux familles dont certains membres furent officiers militaires en Nouvelle-France de même qu’après la Conquête anglaise de 1760. Il tente ainsi de comprendre comment les individus ont réagi au changement de régime et aux nouvelles structures qui furent mises en place par le gouvernement britannique pour gérer la Province of Quebec.

Dans le premier chapitre, il s’étend sur les conséquences directes de la capitulation de Montréal pour les officiers des troupes franches de la Marine. Il décrit également deux événements des débuts du régime britannique où les militaires canadiens sont intervenus : le soulèvement de Pontiac et la cession de la Louisiane à l’Espagne.

Le chapitre deux présente un aperçu clair de l’organisation militaire de la Nouvelle-France à partir d’études déjà réalisées mais qui sont ici bien concentrées et résumées. L’auteur décrit la création de la milice canadienne, l’arrivée des troupes de la marine, la place de plus en plus importante des Canadiens dans l’armée jusqu’à la nomination de Pierre de Rigaud de Vaudreuil au poste de gouverneur de la colonie et de com-mandant des troupes. Il aurait été intéressant de faire mention également des troupes de terre envoyées à partir de 1755 pour assurer la défense de la colonie pendant la guerre de Sept Ans, puisque certains des officiers étudiés dans les chapitres ultérieurs proviennent de celles-ci (Vassal de Monviel par exemple). L’organisation militaire sous le régime britannique, de 1775 à 1815, est ensuite décrite, tâche complexe puisqu’il n’y a pas d’armée coloniale à proprement parler et que les Canadiens sont embrigadés dans différents corps.

Dans le chapitre trois, l’auteur fournit aux lecteurs des exemples d’individus, à l’intérieur de groupes familiaux, qui ont réussi à faire carrière dans les troupes anglaises après la Conquête. Parce que le gouvernement britannique refuse de créer des troupes canadiennes, seules cinq familles réussissent à trouver une place dans les troupes de l’armée régulière. Les hommes qui choisissent cette voie doivent souvent quitter la colonie, et souffrent d’un manque constant de patronage et d’argent.

Le dernier chapitre nous montre comment d’autres descendants d’officiers s’insèrent de façon différente dans l’organisation militaire. Par exemple, pendant la guerre d’indépendance américaine, le gouvernement se sert de certains d’entre eux comme leaders et interprètes auprès des nations amérindiennes. De 1795 à 1802, le gouvernement crée le Royal Canadian Volunteers dont un des deux bataillons est réservé aux Canadiens du Bas-Canada. L’aspect chronologique de ce chapitre le rend plus difficile à suivre que le précédent.

L’auteur nous décrit donc dans ce livre comment la destruction des structures militaires de la Nouvelle-France et des réseaux de relations de l’ancienne élite militaire canadienne après la Conquête, de même que les nouvelles conditions du service militaire britannique, ont causé le déclin de ce groupe. Dans une postface, il va plus loin et prétend que l’absence d’une élite militaire canadienne après la Conquête a joué un rôle dans les attitudes ultérieures de la société québécoise face à la guerre. Selon lui, si la tradition militaire glorieuse de la Nouvelle-France avait pu se poursuivre, les militaires francophones d’aujourd’hui n’auraient pas à se détacher du tissu social québécois pour faire carrière dans une armée majoritairement anglaise et seraient plus respectés (p. 162). La perte de l’élite militaire après la Conquête est donc, selon l’auteur, significative pour les Canadiens.

Ce livre est intéressant parce qu’il est centré sur des destins individuels, et qu’il nous apprend au détour des réalités étonnantes de la vie de la deuxième moitié du xviiie siècle. Par exemple, l’utilisation du serment du test après l’Acte de Québec (p. 89), l’importance du patronage qui existait en Nouvelle-France et dans la société d’Ancien Régime et qui persiste au Bas-Canada, comme dans le cas de la famille Sallaberry (p. 97-105) ou le caractère international des carrières de l’élite comme celles des frères de Léry qui servent en France, en Grande-Bretagne, en Prusse, en Hollande, en Russie et au Canada (p. 90-94). Son principal intérêt est de nous faire découvrir une période qui est encore trop méconnue, celle qui suit la Conquête. Il nous fait désirer encore d’autres recherches pour mieux comprendre le destin de l’élite canadienne après 1760.

Mentionnons que l’usage de l’iconographie est très soignée pour une petite maison d’édition. L’ouvrage contient en effet des reproductions de gravures ou de toiles judicieusement choisies pour illustrer le propos.

En terminant, si une critique peut être formulée à l’auteur, c’est qu’un flou existe dans sa définition du groupe étudié. Il décrit, dans son introduction, les officiers militaires comme un groupe social de la Nouvelle-France alors qu’il s’agit plutôt selon nous, d’une occupation (d’une profession dirions-nous aujourd’hui) qui est choisie par plusieurs membres du groupe social de la noblesse, mais pas par tous.