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Dans cet ouvrage, tiré d’une thèse de doctorat soutenue en sociologie à l’Université du Québec à Montréal, l’auteur propose une « analyse socio-historique » du nationalisme au Québec. Passage obligé pour tous ceux qui travaillent sur la nation, Raphaël Canet explique comment il conçoit le nationalisme. À ses yeux, le phénomène national « est indissociablement lié au principe démocratique » (p. 17), c’est-à-dire que la démocratie représentative a dû nationaliser le champ social pour apparaître légitime aux yeux du peuple. « Ainsi, écrit-il, la nation apparaît comme une entité assurant la médiation entre la société et l’État. » (p. 17) C’est pourquoi, selon Canet, les transformations de l’identité nationale doivent être comprises en relation avec ce qu’il appelle le contexte sociétal (p. 129). En d’autres termes, il s’agit de mettre en parallèle l’évolution de la société avec celle du nationalisme, les transformations de la nation étant en relation avec les changements survenant dans la sphère sociale.

L’auteur montre, dans le premier chapitre, l’évolution politique du Canada. La première partie du chapitre consiste en un survol des grands moments qui ont marqué le développement du système politique canadien depuis la Conquête, alors que la seconde est une description du cadre institutionnel (les trois pouvoirs et la répartition entre les deux ordres de gouvernement ou encore l’organisation du système judiciaire). Quant au deuxième chapitre, il offre un portrait du contexte, surtout économique et culturel, dans lequel le nationalisme québécois s’est développé. Essentiellement, il s’agit de montrer que le Québec a d’abord été pensé comme un espace social relativement fermé, celui de la « culture enclavée », alors qu’il constitue maintenant un espace de plus en plus ouvert, celui du « village global » (p. 128).

À mon sens, ces deux chapitres occupent trop d’espace dans l’économie générale de l’ouvrage. Certes, Canet soutient qu’il est nécessaire de connaître le contexte sociétal pour comprendre l’évolution du nationalisme. Mais il faut aussi identifier le contexte pertinent à l’analyse. Sinon, on se retrouve devant une accumulation d’éléments contextuels et l’on ne parvient plus à distinguer l’essentiel de l’accessoire. Ainsi, pourquoi parler ici du Sénat canadien ou encore de l’organisation du système judiciaire ? Qu’est-ce que cela est censé apporter à la compréhension du phénomène nationaliste ? En ce sens, le paragraphe consacré à la Chambre haute est soit insuffisant, soit inapproprié (p. 60).

Dans le troisième et dernier chapitre, Canet identifie trois types de nationalisme au Québec, chacun correspondant à une époque particulière. Le premier type, le nationalisme canadien est borné par la Conquête (1760) et par l’échec des Patriotes (1840). Selon le sociologue, on parle ici d’un nationalisme inclusif et ouvert aux « Autres », et surtout politique parce qu’il cherche à doter les colonies d’institutions démocratiques. Ainsi, ce nationalisme aurait été dénué d’ethnicité au contraire de ce que croyait lord Durham quand il disait qu’il s’agissait d’une « guerre de races ». Mais après 1840, le nationalisme canadien se met en état d’hibernation pour laisser la place au nationalisme canadien-français. Délaissant le politique, le nationalisme canadien-français de François-Xavier Garneau à Lionel Groulx, sans oublier Henri Bourassa, s’arc-boute sur la défense de la langue et de la religion et promeut l’idée que les Canadiens français sont appelés par Dieu à une divine mission. Exclusif et peu ouvert à la diversité, ce nationalisme perdure jusqu’à la Révolution tranquille. Or, avec celle-ci, le nationalisme se transforme et renoue avec le politique. On passe d’un autonomisme « négatif », dont le symbole est Duplessis, à un nationalisme « positif » : il ne s’agit plus seulement de défendre le Québec mais de le doter d’un véritable État pour assurer l’épanouissement de la collectivité. Toutefois, le nationalisme d’alors n’arrive pas à s’émanciper totalement de la forme nationale antérieure, le néo-nationalisme restant marqué par des tendances à l’exclusivisme.

Ce dernier chapitre est le plus intéressant et le plus riche, en raison du cadre historique de l’évolution du nationalisme qu’il propose. On aurait cependant souhaité que l’auteur pousse davantage ses analyses. Ainsi, en ce qui concerne le nationalisme canadien, n’y aurait-il pas eu lieu de se demander si on n’avait pas davantage affaire, à l’époque des Rébellions, à un épisode « proto-nationalitaire », pour reprendre les termes de Gérald Bernier et Daniel Salée, plutôt qu’à un épisode national[1]  ? Un autre filon aurait également mérité d’être mieux exploité, soit l’idée wébérienne d’un nationalisme « politiquement neutralisé » (p. 174). Pourquoi à un moment donné le nationalisme est-il politiquement neutralisé ? Est-ce seulement affaire de contexte ? Après tout, Jules-Paul Tardivel parlait de séparation à la fin du xixe siècle. Enfin, l’auteur aurait pu discuter plus en détail des auteurs qui, comme Jacques Beauchemin, Jocelyn Létourneau et Gérard Bouchard, s’affrontent présentement autour de la redéfinition de la question nationale, ce qu’il fait mais trop brièvement.

À vrai dire, si l’auteur n’a pas poursuivi ses analyses, c’est, me semble-t-il, parce que son ouvrage hésite entre deux directions. D’une part, il affiche de hautes ambitions, celle d’être « une analyse socio-historique » du phénomène national au Québec, d’autre part, il se veut un ouvrage d’introduction destiné à un public peu spécialisé. À cet égard, il plaira très certainement aux étudiants de premier cycle, notamment en raison des encarts explicatifs que l’auteur a jugé bon d’inclure, encore que parfois il en abuse. Par exemple, pourquoi un encart sur l’utilisation de la notion de race, à partir de Claude Lévi-Strauss, dans une section consacrée à l’Acte d’union ? (p. 49) Et s’il est approprié de présenter Jules-Paul Tardivel, cela l’est-il pour René Lévesque ? Cela dit, les chapitres sont rédigés dans un langage clair et accessible, ce qui n’est pas toujours le cas des ouvrages tirés d’une thèse de doctorat. Sur le plan informatif, il s’agit donc d’un ouvrage bien fait. Mais voilà, n’était-on pas en droit de s’attendre, de la part d’un nouveau docteur en sociologie, à une étude bien plus novatrice ?