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Gary R. Miedema nous rappelle avec raison qu’avant de devenir un symbole de l’ouverture de la société québécoise au monde, Expo 67 était une composante des célébrations du centenaire de la Confédération, une scène sur laquelle se déployait une identité canadienne en mutation. Plus largement, For Canada’s Sake innove en s’intéressant à la sécularisation de l’identité canadienne dans les décennies qui suivent la Deuxième Guerre mondiale. L’ouvrage se distingue ainsi d’une historiographie qui s’est surtout penchée sur la dimension sociale de ce processus durant la première moitié du xxe siècle.

Le livre compte huit chapitres. Les trois premiers couvrent les fondations théoriques de l’étude, le contexte dans lequel le Canada devient une nation chrétienne et celui dans lequel ce christianisme est remis en jeu. Les chapitres 4 et 5 traitent des efforts du gouvernement fédéral pour répondre à ce nouveau contexte durant les célébrations du centenaire du pays. Les trois derniers chapitres retracent les démarches qui ont mené à l’organisation de l’exposition universelle de Montréal, l’approche qu’ont adoptée les organisateurs de l’événement par rapport à la question religieuse et les résultats de l’entreprise.

Sur le plan théorique, Miedema fait écho à l’historiographie déjà abondante traitant des fêtes, spectacles et rituels publics. Si on peut se demander s’il est encore nécessaire de répéter que les identités, religieuses ou nationales, sont des constructions sociales, l’auteur fait les nuances qui s’imposent en ce qui concerne la diversité des élites productrices de discours identitaires, la nature contestée des cadres proposés et leur impact variable sur la société. Il souligne également l’importance de bien maîtriser le contexte dans lequel ont lieu ces fêtes pour en comprendre le sens et la portée.

Une part importante de l’ouvrage est d’ailleurs consacrée à cette question. Pour Miedema, les événements étudiés reflètent une transition majeure, mais encore incomplète : le passage d’un Canada se définissant d’abord par son héritage britannique et chrétien à un Canada multiculturel et « multireligieux ». Il décrit rapidement comment différents groupes religieux ont contribué à l’élaboration de l’identité nationale canadienne à la fin du xixe siècle et au début du suivant, puis il s’attarde plus longuement aux facteurs qui ont remis cette alliance en question à la suite de la Deuxième Guerre mondiale (expansion de l’État, diversification de la population, répercussions idéologiques et sociales de la guerre froide). Il se penche également sur les critiques qui sont venues à cette époque de religions minoritaires et de l’intérieur même des groupes dominants. L’État fédéral répond à ces critiques par une reconstruction de l’ordre symbolique canadien, alors que les grandes Églises y vont d’un mélange de résistances et d’accommodations.

Les célébrations du centenaire de la Confédération reflètent ces deux mouvements. Miedema se concentre sur les activités de la Canadian Interfaith Conference, le comité formé pour donner, d’un océan à l’autre, un visage pluraliste et ouvert à la composante religieuse des fêtes. L’auteur décrit un espace de discussion où évoluent de multiples groupes religieux, mais où les Églises dominantes conservent une bonne part de leur influence. De même, les réformistes écartent du comité les groupes qui n’épousent pas leur conception du Canada nouveau, ou alors se heurtent à ceux qui ne sont pas intéressés par leur projet. Cette section de l’ouvrage, bien qu’intéressante, n’a pas la densité de celle qui suit. Si l’auteur couvre adéquatement les activités de la Canadian Interfaith Conference, son portrait des célébrations du centenaire est plutôt éclaté, reflet de la diversité des groupes touchés et des événements organisés dans les différentes régions du pays.

Expo 67 est une affaire plus complexe, mais plus facile à circonscrire et ouvrant la porte à une analyse plus serrée et approfondie. De plus, les différents pavillons construits à l’occasion de l’exposition constituent des objets d’étude fascinants. Ce sont ces chapitres qui font vraiment la force de For Canada’s Sake. Dès le départ, Miedema met en évidence toute l’ambiguïté que soulève, d’un point de vue religieux, le thème de l’exposition : Terre des Hommes (Man and his World). Décidant de présenter la religion comme un facteur important de l’unité humaine, les organisateurs rêvent d’un unique pavillon regroupant les grandes religions du monde, mais doivent se contenter d’un projet plus modeste : un centre oecuménique chrétien. Comme dans le cas de la Canadian Interfaith Conference, les religions majeures conservent une grande influence et les réformateurs parviennent à écarter assez habilement les groupes religieux qui refusent d’embrasser la « multireligiosité ». Seul le groupe évangélique dirigé par l’Américain Bill Graham parvient à se faufiler entre les mailles du filet. S’y ajouteront un pavillon juif et de modestes installations représentant les religions musulmane et bouddhiste.

L’étude de ces pavillons se révèle très intéressante, l’auteur comparant les messages proposés et leur réception. Alors que le pavillon oecuménique chrétien tente de toucher l’homme moderne à l’aide d’un message teinté d’un existentialisme angoissé où disparaît entièrement le Christ, celui du groupe de Graham, Sermons of Science, utilise des documentaires scientifiques populaires pour appâter les visiteurs et les soumettre à un prosélytisme brutal. C’est probablement le pavillon juif qui offre le spectacle le plus proche de l’idéal recherché par les organisateurs de l’Expo. Il présente la religion juive avec clarté et simplicité, tout en faisant la promotion d’un monde au sein duquel différents groupes religieux travaillent ensemble au progrès de l’humanité.

Miedema conclut l’ouvrage en admettant que, sur le plan religieux, l’impact des célébrations du centenaire fut relativement limité et qu’il faudra attendre plusieurs années pour que l’identité canadienne complète sa mutation. À cet égard, il souligne que nous sommes les héritiers de cette sécularisation, même s’il faut admettre que la question de la place de la religion dans la cité canadienne demeure un sujet de controverse aujourd’hui. Bref, voilà un ouvrage qui traite de manière originale d’une période de transition importante dans l’histoire culturelle et intellectuelle canadienne.