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Matthew Hayday, détenteur d’une chaire doctorale au Centre d’études canadiennes à l’Université Mount Allison au Nouveau-Brunswick, nous livre ici une oeuvre magistrale et désormais incontournable au sujet de la création et du développement de l’éducation dans les deux langues officielles au Canada.

C’est un volet de l’histoire encore plus vaste et complexe qu’est celle du bilinguisme au Canada, produit, dans un premier temps, des constats de la Commission Royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme durant les années 1960, présidée par André Laurendeau et Davidson Dunton, et ensuite de la volonté implacable de Pierre Elliott Trudeau et de son allié inconditionnel, Gérard Pelletier, durant les années 1970 et 1980 dans l’implantation d’une vision particulière du bilinguisme au Canada.

Hayday présente admirablement bien le contexte plus large du débat, à savoir l’avenir de la fédération canadienne elle-même. Il revient constamment aux enjeux et aux visions en conflit, notamment celle d’un bilinguisme « territorial », où le Québec serait francophone et le reste du Canada anglophone (la vision préférée par Laurendeau lui-même et plus tard par des auteurs tels Kenneth McRoberts) versus la vision d’une dualité linguistique institutionnelle pancanadienne adoptée très tôt et sans déviation par le gouvernement Trudeau. Hayday présente toutes les nuances qui s’imposent, soulignant, par exemple, combien Laurendeau a été déchiré entre sa loyauté envers le Québec et son constat des injustices historiques infligées aux minorités francophones ailleurs au Canada.

Sur un autre plan, l’évolution du programme de bilinguisme en éducation (PBÉ) et de son successeur, le programme des langues officielles en éducation (PLOÉ), s’est déroulée dans le contexte d’un fédéralisme en rapide transformation, ou plutôt de visions largement contradictoires du fédéralisme. D’un côté se trouvaient (et se trouvent toujours) les adeptes du fédéralisme « intra-étatique », caractérisé par la coopération, le pragmatisme, le compromis et dominant depuis la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux années 1960 sous Pearson. De l’autre, on assiste à la montée du fédéralisme « inter-étatique », caractérisé par une concentration de l’autorité dans les hauts échelons des gouvernements, de conférences fédérales-provinciales hautement médiatisées, et de la dominance de questions touchant aux champs de compétence.

C’est dans ce contexte changeant, ponctué par les branle-bas politiques que provoquèrent des événements comme la première victoire du Parti québécois en 1976, le référendum de 1980, les débats constitutionnels de 1980-1981 et l’adoption de la Charte des droits et libertés en 1982 (pour ne nommer que ceux-là) que se développèrent les programmes de bilinguisme en éducation. Comprenant la complexité du sujet et la gamme éblouissante des acteurs qui y ont participé, Hayday a effectué des recherches dans la plupart des provinces canadiennes ainsi qu’à Ottawa. Cette recherche d’envergure se reflète dans la structure même du livre, alors que dans plusieurs chapitres, nous trouvons des sections touchant aux événements et aux politiques adoptées dans les provinces, notamment le Nouveau-Brunswick, l’Ontario, le Manitoba et l’Alberta. Cette structure devient un peu prévisible et il est difficile peut-être de maintenir le même niveau d’intérêt par rapport à l’histoire dans chaque province ; par contre, cette approche structurelle a l’avantage de nous faire comprendre le fait que ces lois et ces programmes touchaient toutes les régions du pays ainsi que la grande gamme de politiques et de programmes qui ont été adoptés au cours des années dans ce domaine par les différentes provinces.

En lisant cette histoire, nous nous rendons compte assez rapidement du long chemin parcouru depuis la fin des années 1960 en matière linguistique. À partir des tâtonnements du début et même d’hostilité active chez certaines provinces par rapport au bilinguisme en éducation et spécifiquement par rapport aux écoles entièrement françaises, en relativement peu de temps (10 ou 15 ans) un véritable réseau d’écoles françaises a vu le jour sur l’ensemble du territoire canadien. La Charte des droits et libertés est devenue une arme puissante pour les minorités de langue officielle, leur permettant enfin, durant les années 1990, d’acquérir le droit de gérer leur propre système scolaire. Ces succès dans le domaine scolaire ont permis à la plupart de ces communautés de stabiliser leur situation démolinguistique et leur a donné un nouvel essor dans d’autres domaines.

Hayday raconte l’histoire le plus objectivement possible, réservant (généralement) son point de vue pour la fin, comme tout bon universitaire. Dans sa conclusion (et ici et là dans le texte), il se prononce carrément en faveur du modèle de la dualité linguistique prôné par Trudeau et ses successeurs ; à partir de ce point de vue, l’histoire du bilinguisme en éducation est une très grande réussite, surtout si on la place dans un contexte international, par rapport à d’autres pays qui ont des minorités importantes. Pour les minorités francophones à l’extérieur du Québec, le programme fédéral de bilinguisme en éducation, en plus d’être un grand succès, a été une planche de salut sine qua non pour leurs communautés. Dommage que, pour bien des Québécois encore aujourd’hui, cela ne demeure que de la bouillie pour les chats, figés comme ils le sont dans une vision territorialiste du fédéralisme canadien, où inévitablement le Québec sera francophone et le reste du Canada, anglophone. La réalité est bien plus complexe et intéressante que cela.