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Les rapports que les Québécois d’aujourd’hui entretiennent avec la guerre demeurent encore souvent ambigus. L’évocation de la guerre renvoie surtout aux deux conflits mondiaux du xxe siècle et à la farouche opposition qu’ont manifestée les Canadiens français à l’endroit de la conscription, faisant d’eux d’ardents adversaires à toute participation aux guerres. Cette étude réalisée par Yves Tremblay vise à nuancer quelque peu cette assertion. Elle s’appuie sur le contenu des interviews effectuées en 1995 par Patrick Capolipo auprès de 19 anciens combattants canadiens-français qui se sont enrôlés volontairement lors de la Deuxième Guerre mondiale pour aller servir outre-mer. Ces témoins ont été amenés à préciser leurs motivations, à évaluer leur préparation militaire, à partager leur expérience du combat et leur rapport à l’ennemi, à qualifier la nature de leur réintégration à la vie civile et à évaluer le niveau de reconnaissance témoignée par la société canadienne depuis.

La grande majorité des combattants interrogés se sont enrôlés pour vivre l’aventure de la guerre, apprendre un métier ou pouvoir compter sur de bonnes soldes. Peu font le geste par sentiment patriotique. Étant majoritairement bilingues, ils ont pu facilement s’intégrer dans une institution essentiellement anglophone. Issus pour la plupart de famille ayant une tradition militaire, ces combattants avouent paradoxalement avoir essuyé de fortes critiques de la part de leurs proches qui jugeaient leur enrôlement insensé. Tous déplorent les faiblesses sérieuses dans la préparation militaire, tant au Canada qu’en Angleterre, et l’incompétence de nombreux officiers. Ils soulignent la supériorité militaire des Allemands, qui, contrairement aux Canadiens, ont pu, par ailleurs, compter sur un appui indéfectible de leurs concitoyens. Leur retour à la vie civile se fait sans trop de difficulté, mais tous sont unanimes à déplorer la faiblesse de la mémoire collective à propos de leur contribution à cette guerre.

L’analyse et la mise en contexte des témoignages offrent une vision nuancée de l’interprétation traditionnelle associant le Canada français à un bloc homogène contre la conscription. Malgré la faiblesse de l’échantillonnage et des lacunes méthodologiques, cette étude présente un intérêt dans la mesure où elle va au-delà de l’histoire militaire traditionnelle en explorant les dimensions socioculturelles de la guerre et en mettant en perspective les expériences personnelles des militaires. Ce faisant, elle contribue à aborder la guerre non pas exclusivement du point de vue de ceux qui la conduisent mais aussi du point de vue de ceux qui y combattent.