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Cet imposant ouvrage est le fruit du travail d’une équipe dont la majorité des membres sont liés à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

La première partie de l’ouvrage, qui comprend trois chapitres, va de la préhistoire jusqu’au xviiie siècle. Les auteurs nous parlent d’abord de l’occupation amérindienne de la vallée de la Saint-Maurice. Cette présence amérindienne remonte à environ 6000 ans. Plusieurs groupes humains se sont succédé à l’intérieur de cette période. Les auteurs font un bilan des contacts entre les Français et les Amérindiens. Ces derniers jouent un rôle indispensable dans le commerce des fourrures. Le lecteur trouve aussi dans cette partie une description minutieuse des cadres institutionnels mis en place par les colonisateurs français : paroisses, seigneuries et, bien sûr, « gouvernement » de Trois-Rivières qui fait de cette ville et du territoire environnant une entité administrative distincte à la tête de laquelle on retrouve un gouverneur propre. La région se signale à cette époque par une activité économique particulière, la sidérurgie (naissance des Forges de Saint-Maurice et d’un village à vocation industrielle). Cette première partie se termine par un examen des premières années du Régime britannique (1760-1800). La population de la région fait plus que doubler pendant ces quelques décennies, principalement par accroissement naturel. Les nouveaux arrivants liés à la couronne britannique sont peu nombreux, mais ils occupent presque tous les postes d’influence dans le monde politique et dans la sphère économique.

La deuxième partie de l’ouvrage (cinq chapitres) est consacrée au xixe siècle. Les activités de production sont décrites avec beaucoup de soin. Le lecteur saisit les grandes forces qui ont modelé la vie économique du territoire dans les sphères agricole (établissement de la spécialisation laitière, entre autres), forestière et sidérurgique (jusqu’au déclin final dans ce cas). Les liens étroits que les activités forestières et sidérurgiques ont entretenus avec le monde rural sont mis en évidence. L’impact de la crise de 1873-1879 est bien illustré. Quelques faits marquants sur le plan politique sont soulignés : par exemple, l’écho du mouvement patriote et des rébellions dans la région mauricienne et l’accueil peu enthousiaste réservé au projet confédératif. Tout au long de ce siècle, l’Église, qui se distingue par ses positions conservatrices, voit son influence s’accroître : recrutement abondant du clergé, acquisition de positions fortes dans l’éducation et les services de santé, autorité morale grandissante.

La troisième partie de l’ouvrage (neuf chapitres) couvre les années 1900-1950. La région connaît pendant cette période un essor industriel remarquable, impulsé par l’hydroélectricité. Les trois secteurs phares qui prennent leur envol dans la première moitié du XXe siècle, chimie, aluminium et pâtes et papiers, y trouvent leur source d’énergie principale. D’autres activités industrielles, tels le textile et le vêtement, connaissent une croissance importante. La région s’urbanise rapidement : au noyau trifluvien, qui se modifie considérablement, s’ajoute un axe qui longe la Saint-Maurice avec Shawinigan, Grand-Mère et La Tuque. La forêt mauricienne est exploitée beaucoup plus intensément pour les besoins de l’industrie papetière. Dans le monde rural, la complémentarité entre l’exploitation forestière et l’agriculture se poursuit sur une grande partie du territoire. Chez les agriculteurs, on assiste à l’essor du coopératisme et du syndicalisme agricole. Le syndicalisme ouvrier s’implante difficilement dans la région avec ses deux variantes, internationale et catholique. L’emprise de l’Église demeure forte, tout en se modifiant : son influence se fait désormais sentir sur certains journaux et sur nombre de structures associatives, mais s’atténue dans le domaine de l’assistance sociale. Les auteurs s’intéressent de près aux effets matériels et idéologiques de la crise de 1929 qui frappe brutalement la région jusqu’à la fin des années 1930. La Grande Crise explique en partie l’émergence d’un régionalisme proprement mauricien célébrant la grandeur passée et les vertus d’autrefois.

La dernière partie du livre comporte trois chapitres, dont un chapitre omnibus de près de 100 pages. Elle traite de l’histoire récente de la région, soit de 1950 aux années 2000. Sur le plan économique, la région connaît un fort déclin industriel, caractérisé tantôt par un arrêt complet des activités dans des secteurs comme le textile, le vêtement et l’électrochimie, tantôt par une réduction draconienne de la production dans des domaines comme les pâtes et papiers et la métallurgie. Si la multiplication des emplois dans le secteur tertiaire et l’émergence d’une nouvelle génération de PME innovatrices en atténuent les effets, cela n’empêche pas la région d’être touchée par un chômage important pendant de longues périodes. Le tissu urbain se modifie considérablement : étalement de l’habitat, établissement de nouvelles zones commerciales loin du coeur des villes et difficile revitalisation des centres-villes, nouvelles constructions publiques pour abriter les services éducatifs et sanitaires, voies rapides à grand débit. À l’instar de ce qui se passe dans d’autres régions du Québec, cette dernière période est marquée par plusieurs changements : accès plus grand des francophones aux postes de responsabilité et réduction, en nombre et en influence, de l’élite anglophone, fin de l’emprise de l’Église sur l’éducation et les services sociaux, rénovation de l’enseignement supérieur (entre autres, avec l’arrivée d’un établissement universitaire), baisse de la pratique religieuse, essor d’un syndicalisme combatif, « succursalisation » du mouvement coopératif, domination du commerce par des chaînes extrarégionales, montée des médias électroniques, diversification de la vie culturelle et multiplication des formes d’expression artistique.

L’Histoire de la Mauricie est un ouvrage soigné et fort bien présenté qui s’intéresse à toutes les dimensions de la vie en société. Les changements dans les activités productives font l’objet d’un traitement détaillé. Pour chaque époque, l’ouvrage offre une synthèse des grands traits de la vie politique et de l’environnement institutionnel de la région. Les habitudes culturelles et les modes de vie des différentes catégories de la population sont également examinés époque par époque. L’ouvrage permet de suivre les fluctuations de la démographie régionale et les changements qui se produisent dans l’occupation de l’espace, et ce, tant dans le monde rural que dans le monde urbain. Selon les auteurs, la Mauricie est une « région identitaire ». Les représentations qui soutiennent cette identité ont certes fluctué au fil des âges et ont été remodelées pratiquement à chaque génération, mais elles se sont toujours enracinées dans l’« appartenance symbolique » éprouvée à l’égard de ce coin de pays particulier (p. 1055). Cette thèse est plaidée efficacement dans le livre.

Il y a peu de reproches que l’on peut faire à l’ouvrage et la plupart de ces reproches ne sont pas majeurs. On peut tout de même souligner quelques défauts qui affectent la forme de l’ouvrage. Les mesures (pmp et pieds cubes de bois, par exemple) sont livrées sous la forme où on les a trouvées dans la documentation qui a servi à la recherche et il n’y a pas eu d’effort pour convertir ces mesures dans les standards contemporains et officiels du système métrique. L’ouvrage comprend quelques encadrés qui sont tous bienvenus. Cependant, ces encadrés ne sont pas signalés dans la table des matières ni dans une liste des encadrés qui pourrait utilement compléter celles des tableaux, figures et cartes. L’index donne les pages d’au moins un encadré, soit celui sur les Atikamekw dans la seconde moitié du XXe siècle. Par ailleurs, il ne donne pas les pages de l’encadré consacré à chacun des hommes politiques les plus importants de la Mauricie, Maurice Duplessis et Jean Chrétien (l’index est même totalement muet sur Jean Chrétien !). La liste des maires (p. 898-901) et celle des députés (p. 991-994) forment chacune un encadré qui prend place dans la quatrième partie de l’ouvrage consacrée aux années 1950 et suivantes, alors que ces deux listes concernent aussi la deuxième (xixe siècle) et la troisième (1900-1950) parties du livre.