Corps de l’article

Les deux directeurs du collectif Historical Identities. The Professoriate in Canada déplorent, en introduction, le manque d’études historiques sur le corps professoral. Quelques travaux, affirment-ils, ont paru sur les contraintes censément croissantes qui pèsent sur ceux et celles qui aspirent à la permanence, mais guère plus, et le rôle du professeur dans l’enceinte universitaire ou dans la société plus large demeure à leurs yeux un champ négligé de la recherche historique. Alors que les étudiants, les programmes académiques, les recherches subventionnées et les administrations universitaires ont reçu l’attention des historiens, les professeurs continueraient de faire figure de négligés.

Certains diront que cette affirmation est quelque peu exagérée. Ils rappelleront que maintes biographies, par exemple, ont paru (Innis, Scott, Grant) qui nous en apprennent sur les aléas de l’enseignement et de la recherche dans les institutions de haut savoir. En outre, quelques travaux, portant sur des disciplines, auraient trouvé une place naturelle dans ce recueil (nous pensons, au Québec, à ceux de Marcel Fournier, ou à ceux de Stephen Brooks et Alain-G. Gagnon). Enfin, des articles et ouvrages portant sur le développement des universités ou des départements ont aussi levé le voile sur la vie des professeurs (Brian McKillop, Jean Hamelin, Lorne Tepperman). Il demeure que ce collectif est le premier à se concentrer sur la question du professorat universitaire de façon systématique. Ce mérite n’est, en soi, pas négligeable. Il l’est d’autant moins quand on considère la grande qualité de l’ensemble des contributions.

Seule ombre au tableau, il me semble que la volonté d’adopter une perspective centrée sur les personnes (leurs valeurs, leurs opinions, leurs croyances, leurs attitudes) est inégalement servie par les collaborateurs. Certes, l’étude des caricatures des professeurs, signée par E. Lisa Panayotidis, est excellente et elle permet d’éclairer de manière vivante et amusante le stéréotype de la tour d’ivoire. Certes, Elizabeth M. Smith s’attaque à un sujet inusité et marginal, celui des religieuses enseignantes canadiennes-anglaises. Néanmoins, en définitive, les chapitres, sans perdre de leur valeur, s’inscrivent dans le sillon de la bonne vieille histoire. L’utilisation du concept d’identité (voir le titre) nous paraît davantage un tribut payé à la dernière mode intellectuelle qu’une démarche profonde, partagée et prometteuse.

Il n’est pas facile de résumer un tel collectif. Les différentes sections ne me paraissent pas toujours bien définies. Selon un découpage tout personnel, un premier groupe d’essais s’intéresse aux liens entre professeurs et politique, un second au développement institutionnel et un troisième aux thèmes consacrés gender-queer-race-class. Le chapitre introductif de William Bruneau, qui annonce une histoire internationale du professorat, résume quelques études parues, essentiellement, en France, au Canada, en Angleterre et aux États-Unis. Le lecteur du Québec sera déçu qu’un seul chapitre (celui de Thérèse Hamel) sur quatorze porte sur le Québec, mais l’équilibre est à peu près impossible à réaliser dans ce genre d’entreprise collective.

Le chapitre qui nous semble peut-être le mieux traduire le projet de départ des directeurs du recueil est celui de Paul Stortz, qui se penche sur l’origine et les premières expériences d’enseignement des professeurs de l’Université de Toronto (1935-1945). Basée sur une recherche empirique, son étude est fascinante à plus d’un titre, et permet de mettre un peu de chair autour de l’image d’Épinal du professeur ontarien de la première moitié du xxe siècle. Ses analyses des itinéraires et des carrières de ces professeurs, depuis leur lieu de naissance et leur classe sociale, nous approchent un peu plus d’une réponse éclairée et objective à la question : « Qui sont-ils ? » Il est à espérer que cet essai s’étirera vers le xixe siècle et vers le xxie, et se prolongera vers la Colombie-Britannique et vers Terre-Neuve, de manière à ce que nous puissions obtenir un plus juste portrait global des cheminements de ceux qui décident de faire carrière à l’université.

Historical Identities est, tout bien pesé, un livre excellent. Il ne fait pas tout ce qu’il annonce mais il propose des coups de sonde, toujours bien faits et solidement appuyés par des recherches empiriques, du corps professoral canadien à un moment où celui-ci – l’explosion des inscriptions étudiantes aidant – est devenu désormais un petit monde en soi.