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Émanant d’un colloque tenu à l’Université de Moncton à l’été 2002, ce recueil veut rendre compte du caractère interculturel de l’Amérique française, et ce, à toutes les époques, principalement au Québec et en Acadie, mais aussi dans l’Ouest et en Louisiane. S’il y a une thèse avancée par les directeurs de l’ouvrage, c’est que les petites collectivités qui composent la francophonie nord-américaine ne sont nullement fermées, même celles qui sont les plus isolées. Pour utiliser leur langage, cette dernière constitue « un véritable carrefour ». Cela, on le sait depuis longtemps, mais les trente textes du recueil veulent inciter les chercheurs à en prendre acte et à explorer la problématique de l’interculturalisme pour comprendre l’Amérique française, passée et présente. Certains collaborateurs vont plus loin en se faisant les apologistes de la rencontre des cultures et de la diversité.

« Diversité » est aussi le terme qui convient le mieux pour décrire l’ensemble des contributions ; celles-ci proviennent en effet de plusieurs horizons disciplinaires à partir desquels elles approchent des objets d’étude variés. Le résultat est parfois heureux, parfois moins heureux.

L’ouvrage est divisé en six parties de longueur inégale. Dans un premier temps, les directeurs du recueil ont réuni trois textes à saveur théorique sous l’appellation d’« Enjeux interculturels ». C’est l’occasion pour Michael Cronin de montrer que toutes les sociétés sont, depuis la nuit des temps, construites à partir d’influences extérieures, ce qui le conduit à prôner une politique de micro-cosmopolitisme. Paul Dubé va dans le même sens en proposant la création d’une nouvelle symbolique francophone fondée sur une identité interculturelle, seule planche de salut pour les communautés à l’ouest du Québec. Pour sa part, Luc Vigneault s’attache à étudier, avec beaucoup de sympathie, le modèle narratif exposé par Charles Taylor dans le contexte pluriculturel du Canada.

La deuxième partie du recueil est celle qui intéressera le plus les lecteurs de la RHAF. Intitulée « Histoires », elle rassemble cinq textes qui traitent des contacts interculturels dans une perspective diachronique. D’abord, Sandrine Boucher analyse les premières représentations cartographiques françaises de la côte nord-américaine en tant qu’affirmation d’une expérience civilisée face à une altérité sauvage. C’est sur la même époque que se penche Isabelle Lachance en offrant une relecture d’un Marc Lescarbot ethnographe bien plus intéressé par les faits et gestes des Français au Nouveau Monde que par le mode de vie jugé inférieur des autochtones. Les représentations de ces derniers au Canada français constituent la matière du chapitre d’Hélène Destrempes, qui montre combien il y eut confluence entre les images de l’Indien aux États-Unis et au Québec. Le meilleur texte du recueil est, selon moi, celui de Hans-Jürgen Lüsebrink, qui étudie le « cosmopolitisme populaire » à partir des almanachs canadiens-français du xixe et du début du xxe siècle. Quant à Martin Pâquet, il observe sous un jour nouveau les transferts et les adaptations de la culture politique britannique, notamment l’analogie avec le sport, elle-même liée aux rapports de classe.

La troisième partie du livre est consacrée aux « Paroles », c’est-à-dire au contact linguistique. Georges Lüdi s’intéresse ainsi à la pratique du « parler bilingue », dont les marques transcodiques refléteraient des traces d’expériences interculturelles, et Rainier Grutman fait ressortir le fait que les textes diglossiques exploitent la redondance créée par la présence simultanée de plusieurs langues en s’adressant simultanément à deux publics. Pour sa part, Sylvia Kasparian soupçonne l’émergence de nouvelles normes et de nouveaux modèles, tant linguistiques que littéraires, dans certains milieux multiculturels du Canada, alors que Chantal Richard établit une typologie de l’hétérolinguisme littéraire en Amérique francophone contemporaine, concluant à une « ouverture culturelle et linguistique sans précédent ». Finalement, en se fondant sur l’étude du discours de douze élèves d’une école de Dieppe, en banlieue de Moncton, Gisèle Chevalier et Bernise Doucet étudient les exclamations en chiac et leurs rapports aux langues française et anglaise.

La partie suivante porte sur la problématique de l’américanité, bien connue des historiens grâce aux travaux de Gérard Bouchard et d’Yvan Lamonde. Elle s’ouvre par un texte de Luc Bonenfant sur le dialogue interculturel entre les poètes québécois Robert de Roquebrune et Jean-Aubert Loranger et le poète flamand Émile Verhaeren ; Bonenfant réfère à une communauté d’esprit des deux côtés de l’Atlantique. Puis, Jean Morency, le littéraire qui a le plus exploré l’américanité québécoise, s’attarde au rôle joué par quelques médiateurs culturels, les Alfred Desrochers, Robert Choquette, Rosaire Dion-Lévesque et Louis Dantin, dans l’apparition d’une nouvelle image des États-Unis pendant l’entre-deux-guerres. Les mêmes préoccupations sont à la base du chapitre de Louise Vigneault sur l’attrait pour les États-Unis et l’individualisme américain chez les artistes Jean-Paul Lemieux et Gilbert Boyer. Les deux textes suivants, dus à la plume d’Ute Fendlet et de Paola Puccini, ont pour objet le cinéma. Dans le premier cas, il s’agit d’étudier le transfert du road movie d’origine américaine au Québec et, dans le deuxième, de réfléchir à la rencontre interculturelle qui constitue le thème central du film La Sarrazine, de Bruno Ramirez et Paul Tana. C’est à une autre rencontre interculturelle, celle-là d’une Espagnole et d’une Acadienne, que nous convie Blanca Navarro Pardinas, à partir du roman Madame Perfecta, d’Antonine Maillet. Enfin, dans la seule contribution ayant pour sujet la Louisiane, Anne Malena s’intéresse au métissage culturel et linguistique inhérent à la poésie créole.

La cinquième partie du recueil est consacrée en entier au phénomène d’hybridité dans les théâtres francophones d’Amérique. Elle commence par un survol de Jane Moss, qui décortique le rapport avec l’anglais dans les théâtres franco-ontarien, acadien, francophone de l’Ouest et franco-américain. Cette thématique est poussée plus loin par Louise Ladouceur dans une étude de la traduction en langue anglaise du théâtre franco-canadien, « dont les codes sont incompatibles avec ceux du destinataire ». Pour leur part, Pascale Solon et Jane Koustas abordent respectivement le théâtre de Wajdi Mouawad, qui représente un croisement des « paroles d’ici et d’ailleurs », et le théâtre « mondialisé » de Robert Lepage, plus particulièrement sa production Zulu Time.

Dans la dernière partie du livre, les collaborateurs s’intéressent aux « Écritures croisées », que ce soit Janine Gallant pour les références aux arts visuels des cultures exogènes dans l’oeuvre littéraire d’Herménégilde Chiasson ou Marie-Linda Lord pour les emprunts à Antonine Maillet dans les romans de David Adams Richard. Quant à Denise Merkle, son texte porte sur la traductrice Susanne de Lotbinière-Harwood, qui embrasse son identité hybride, synonyme de liberté. Florence Davaille fait le même exercice en étudiant l’expérience interculturelle d’Alison Lee Strayer, originaire de la Saskatchewan mais vivant à Montréal et écrivant dans sa langue seconde, le français. Puis, dans un texte aride, Jean-Christophe Delmeule étudie la confusion entre « Je » et « L’autre » chez l’énigmatique Réjean Ducharme. Cette partie, et en fait le livre lui-même, se terminent par un cri du coeur d’Eileen Lohka, qui se décrit comme une francophone des interstices.

Justement, il est dommage qu’aucun des quatre directeurs du recueil ne se soit commis dans une conclusion qui aurait fourni au lecteur des pistes de recherche à partir des nombreuses lectures de l’interculturalisme contenues dans ce livre. Car si plusieurs textes qui le composent sont très riches, ils sont toutefois perdus au milieu de contributions moins intéressantes, voire inutiles. De toute façon, Des cultures en contact sera rarement lu en entier ; le lecteur y pigera plutôt des éléments d’analyse, selon ses intérêts.