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Dans cet essai, l’historienne Marine Lefèvre démontre que les gestes faits par de Gaulle pendant l’été 1967 et le célèbre discours de Montréal, qui marque l’apothéose de son « activisme pro-Québec », ne sont pas le fruit d’un soudain « engouement », mais qu’ils résultent au contraire d’une « lente maturation » de la pensée du président français, amorcée depuis le début des années 1960.

L’attachement de de Gaulle à la réalité du Canada français remonte en fait à son enfance, grâce aux récits de son grand-père et de son père. L’homme du 18 juin a ainsi grandi en considérant « la perte du Canada par les Français comme une faute, comme une dette » (p. 11). Le premier chapitre observe les « retrouvailles » du général de Gaulle avec le Canada. Pendant la guerre, le chef de la France libre se rend par deux fois dans ce pays, dont il a encore une vision très globale. « Bien qu’il soit au fait de l’existence de la communauté française du Canada, et qu’il éprouve un certain attachement, écrit l’auteure, il ne remet pas en cause son enracinement dans la nation canadienne » (p. 41).

Dans les chapitres II et III, Lefèvre analyse les contradictions du président français et entend ainsi démontrer l’existence d’une rupture chez de Gaulle qui, tout en déclarant sa volonté de maintenir de bonnes relations avec Ottawa, va mettre en oeuvre « une politique québécoise qui ira crescendo » (p. 72). L’auteure observe les origines de la « discorde » entre la France et le Canada : condamnation des essais nucléaires français par Diefenbaker, et position jugée trop laxiste face au FLN algérien (p. 66) ; refus de Pearson de vendre de l’uranium à la France et achat par la compagnie Trans-Canada Airlines d’avions américains plutôt que la Caravelle française (p. 91).

Ces dissensions contrastent avec les liens qui s’établissent entre Paris et Québec. Dans le contexte des réformes de la Révolution tranquille, et pour répondre aux besoins du gouvernement Lesage, notamment en éducation, la France s’affirme comme le principal partenaire dans l’affirmation internationale du Québec. En 1964, Gérin-Lajoie signe une entente avec l’Association pour l’organisation des stages en France (ASTEF), mais également avec l’École nationale d’administration, que ne mentionne pas l’auteure. Le 27 février 1965, le Québec conclut son premier accord intergouvernemental avec la France, dans le domaine de l’éducation. Quelques mois plus tard, une nouvelle entente est signée par le ministre de la Culture, Pierre Laporte. La coopération franco-québécoise était née.

Le chapitre IV, le plus étoffé, est consacré au voyage de 1967, moment que choisit le président français pour « entrer en action ». Invité simultanément par Ottawa, à l’occasion du centenaire de la Confédération, et par le gouvernement Johnson, pour visiter l’Expo 67, de Gaulle se fait hésitant. Dans le premier cas, il considère qu’il n’y a pas lieu de « féliciter ni les Canadiens ni nous-mêmes de la création d’un “État” fondé sur notre défaite d’autrefois et surtout de l’intégration d’une partie du peuple français dans un ensemble britannique. Au demeurant, cet ensemble est devenu bien précaire » (p. 113). Il faut dire que le fossé entre Paris et Ottawa ne cesse de s’accentuer : en 1966, de Gaulle annonce le retrait des troupes de l’OTAN stationnées en France, malgré les efforts de conciliation de Pearson. Il refuse de recevoir à l’Élysée le gouverneur général Georges Vanier, en dépit de leur longue amitié ; un an plus tard, l’enterrement de ce dernier donne lieu à de nouvelles tensions diplomatiques. Les rapports avec l’ambassadeur canadien à Paris, Jules Léger, s’avèrent particulièrement ombrageux.

Quant à l’invitation à l’Exposition universelle, de Gaulle ne goûtait guère l’idée, selon ses termes, d’aller à la « foire ». Sa volonté affichée de renforcer les liens avec le Québec et la visite du premier ministre Johnson à Paris, en mai 1967, vont le convaincre d’effectuer son voyage outre-Atlantique. Johnson va notamment signifier au président français l’importance de sa venue au Québec, lui indiquant qu’elle serait d’un poids certain lors d’éventuelles négociations avec le Canada anglais : « Le Québec a besoin de vous et c’est maintenant ou jamais » (p. 116). De nouveaux accords sont signés, notamment dans le domaine des communications, avec la participation québécoise au satellite franco-allemand Symphonie – et non pas Harmonie tel qu’il est mentionné.

Plus que le déroulement de la visite du général de Gaulle, qui a suscité de nombreux écrits, il convient de s’intéresser à son impact. Le dernier chapitre analyse les retombées du voyage présidentiel avec, en premier lieu, l’accélération des relations franco-québécoises : de Gaulle estimait « avoir créé une étincelle dans la vie des Québécois », il fallait désormais « entretenir le mouvement pour qu’il devienne irréversible » (p. 155). Outre l’obtention d’un statut particulier pour le Consulat de France à Québec, un nouvel accord bilatéral est signé en septembre 1967 : si l’auteure se contente d’en citer les principales mesures, cette entente constitue un véritable coup d’accélérateur pour la coopération et va marquer durablement les relations franco-québécoises.

Le gain le plus important pour le Québec reste toutefois son intégration à la Francophonie naissante. À la demande de l’Élysée, le Gabon invite officiellement le ministre de l’Éducation du Québec à prendre part, en février 1968, à la Conférence des ministres francophones de l’Éducation (CONFEMEN), sans la présence des autorités fédérales. Même si ce coup d’éclat ne sera pas réédité par la suite, le Québec intègre l’Agence de coopération culturelle et technique, grâce à l’appui des diplomates français. L’auteure expose ici de nombreux documents d’archives du ministère canadien des Affaires extérieures – probablement tirés de son doctorat, consacré aux États-Unis face à la Francophonie, cité dans la bibliographie sans toutefois apparaître dans aucune note de bas de page –, mais qui apportent peu de nouveaux éclairages sur ces événements, après les travaux de Morin, Gendron ou Bastien.

Cet ouvrage offre donc une synthèse des relations franco-canadiennes, et s’inscrit dans la lignée du livre de Dale Thomson, qui demeure la référence pour cette période. Quant au général de Gaulle, doit-on véritablement parler d’un désir de « revanche » (p. 66) sur le Canada pour expliquer sa politique pro-québécoise ? Celle-ci ne s’inscrit-elle pas dans sa volonté de faire rayonner le fait français à travers le monde et dans sa vision de la décolonisation, de Gaulle ayant fait sienne la théorie du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Ces questions ne sont traitées que trop brièvement à la fin du premier chapitre et dans la conclusion, de même que l’on peut regretter que l’auteure n’ait pas porté plus d’attention au bilan de la coopération franco-québécoise, qui constitue le véritable gain de cette relation privilégiée.