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Mathieu d’Avignon a raison : son ouvrage m’a dérangé, mais n’est-ce pas justement l’objectif d’un iconoclaste (Cornellier dixit), d’un spécialiste en déconstruction, comme il se définit lui-même, ou d’un historien qui « ose déranger », comme l’écrit Marcel Trudel dans sa préface ?

Dans Champlain et les fondateurs oubliés, d’Avignon a essayé de démontrer comment les historiens sont tombés « dans le piège mis en place par Champlain à la fin de sa carrière d’auteur » (p. 228), « piège » qui consistait à faire disparaître Dugua de ses récits pour se poser en fondateur unique de Québec ; Le Devoir a d’ailleurs titré une pleine page « Le complot de Champlain »… Mon compte rendu centré sur le traitement réservé à Dugua voulait expliquer pourquoi sa démonstration ne me convainquait pas.

En cette matière, il y a beaucoup de jugements et d’interprétations. Ce n’est donc pas ici qu’on videra le sujet mais je repose simplement la question : s’il voulait discréditer Dugua de Mons dans ses derniers écrits, pourquoi Champlain, dans l’édition de 1632, a-t-il ajouté de longs passages où (selon les mots mêmes de d’Avignon, p. 119) « il reconnaît haut et fort la contribution de Dugua à la fondation de l’Acadie », insistant « sur les actions et les mérites singuliers de cet entrepreneur, sur les efforts qu’il a déployés afin que réussisse son entreprise de fondation de l’Acadie » ?

Il y a cependant deux points qu’on peut régler plus facilement, puisque d’Avignon insiste.

Le document que le roi Henri IV adresse le 7 janvier 1608 à « [ses] amez & féaux Conseillers, les officiers de [son] Admirauté de Normandie, Bretaigne & Guienne, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Juges ou leurs Lieutenans » n’est pas une « commission » ni une « lettre officielle qu’Henri IV remet à Dugua » puisque ce document ne lui est tout simplement pas adressé. Ce n’est pas à Dugua que le roi donne « pouvoir, authorité, commission, & mandement special », mais à ses officiers de justice, pour qu’ils protègent le monopole de lieutenant général. Dugua a peut-être eu une confirmation écrite du renouvellement de son monopole, en 1607 ou 1608, mais un tel document n’a pas été retrouvé pour l’instant.

Second point. Le document reproduit par d’Avignon à l’annexe 1 de son ouvrage n’est pas une « lettre du 8 janvier 1603 », comme il l’écrit, mais une transcription de la commission obtenue par Dugua le 8 novembre 1603, malhabile, mal identifiée et surtout mal datée. Nul besoin d’une « recherche fouillée » pour l’établir : une critique élémentaire suffit. D’abord une simple critique externe du document : Dugua ne peut être nommé lieutenant général (objectif essentiel de cette commission) en janvier 1603 au moment où Chauvin occupe cette fonction qui sera ensuite assumée par Aymard de Chaste jusqu’à son décès en mai 1603. Puis une classique critique interne : le roi fait allusion à la commission de vice-amiral que Dugua a obtenue le 31 octobre 1603, soit quelques jours avant la commission de lieutenant général.

Tout cela est cependant superflu, car Marcel Trudel a tranché la question dans un ouvrage fondamental publié en 1966. « On a soutenu récemment, écrivait-il, que la commission du sieur de Monts était du 8 janvier 1603 et non du 8 novembre […] ; certes, nous trouvons dans BN, /Dupuy/, vol. 318, 100r-103r., des lettres-patentes en faveur du sieur de Monts, mais il s’agit d’une copie dont la date vient en contradiction avec les faits […] » (Histoire de la Nouvelle-France, 2 : Le comptoir, 1604-1627 (Montréal, Fides, 1966), 11, note 6).

Ce document n’a donc évidemment rien à voir avec la planification du voyage entrepris en mars 1603 par Pont-Gravé et Champlain. Dans son interprétation de l’alliance conclue à Tadoussac en mai de la même année, Alain Beaulieu « néglige l’existence de la lettre du 8 janvier 1603 » (M. d’Avignon, Champlain…, 493) et il a bien raison, car, autrement, il aurait commis un malheureux anachronisme.